Mark MacGann, l’ex-lobbyiste d’Uber ayant agi au Maroc à la source des Uber Files

Ce 11 juillet, le Guardian révèle l'identité du lanceur d'alerte ayant été à l'origine du leak de plus de 124 000 documents du projet The Uber Files. C'est le journal britannique qui avait obtenu les documents, pour ensuite les partager avec le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), auquel Le Desk est associé au Maroc, en plus de 41 autres médias partenaires à travers le monde.
Il s'agit du lobbyiste Mark MacGann, 52 ans, ayant travaillé pour le compte de la multinationale américaine Uber, afin de convaincre les gouvernements en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique de l'intérêt d'autoriser l'application de VTC. Avant d'officier pour Uber, MacGann avait eu une longue carrière dans les affaires publiques. Il a notamment dirigé DigitalEurope, un collectif d'associations qui défend des entreprises comme Apple, Microsoft et Sony.
Contre une rémunération de 160 000 dollars par an, Mark MacGann était le lobbyiste en chef d'Uber pour les régions sus-mentionnées et supervisait les activités de la firme californienne au niveau d'une quarantaine de pays, dont le Maroc où elle a tenté une incursion en 2015 avant de jeter l'éponge en 2018 pour revenir plus tard sous la bannière Careem. Ses activités avec la société de VTC ont commencé en 2014, alors qu'il était sous contrat avec l'agence européenne Fipra, avant d'être débauché par Uber. Officiellement, il a quitté son poste en février 2016 et est resté consultant pour la société pendant quelques mois.
Un lobbyiste à la recherche de relais au Maroc
Dans l'enquête du Desk publiée le 10 juillet, nous révélons que Mark MacGann a joué un rôle central dans les tentatives d'Uber de convaincre les autorités marocaines d'approuver sa présence dans le royaume en dépit de son caractère illégal et des fortes résistances de la corporation des taxis classiques, notamment à Casablanca et Marrakech, villes à fort potentiel ciblées en priorité par le spécialiste du covoiturage. En tant que lobbyiste en chef, il a supervisé toute la stratégie d'entrisme d'Uber au Maroc, intervenant au moment des crises et coordonnant avec la direction juridique d'Uber pour la région MENA, lors des frictions avec les autorités locales ou pour répondre aux enquêtes judiciaires ouvertes à Casablanca et confiées à la sûreté nationale.
À ce titre, il n'avait pas manqué d'avertir ses collaborateurs marocains, dès août 2015, soit un mois après le lancement d'Uber à Casablanca. Il avait souligné, dans un mail à notre disposition, avoir « une info par des amis comme quoi Casa, mais aussi Marrakech feront tout pour nous bloquer. Sommes-nous sûrs d'avoir les bons conseillers politiques sur place ? On m'a donné un ou deux noms, selon besoin ».
Ce qui avait poussé MacGann a prendre les devants pour tenter de recruter un « lobbyiste top niveau », selon ses propres termes, pour le Maroc. Un nom lui a été recommandé, celui d'Abdelmalek Alaoui, patron du cabinet d'influence Guepard. Ce dernier avait refusé la mission. Cette recherche d'un nouveau cabinet de lobbying était intervenue lorsque MacGann avait constaté que les contacts avec les officiels marocains tardaient à être noués, et alors que l'agence PASS, dirigée par Hatim Benjelloun avait été mandatée pour concocter un plan d'action et un mapping de personnalités politiques et du monde des affaires susceptibles de favoriser l'installation d'Uber en dépit de son caractère décrété illégal.
Mark MacGann avait décidé de quitter Uber car il était devenu, avec le temps, le visage public et décrié de la compagnie en Europe. Une position l'ayant placé comme cible de campagnes anti-Uber menée par l'industrie des taxis. Un harcèlement visant aussi sa famille et ses amis, raconte-t-il dans son interview exclusive au Guardian. Les campagnes le visant avaient atteint des proportions inquiétantes, au point qu'Uber avait embauché des gardes du corps pour le protéger.
MacGann a décidé de leaker les informations obtenues par le Guardian, car il considère que le top management était au fait des violations de la loi au niveau de dizaines de pays. Il affirme qu'Uber a vendu aux gens un mensonge, sur les avantages économiques des conducteurs et le business model de la multinationale.
Une complicité assumée
Dans l'interview accordée au Guardian, Mark MacGann revient sur sa participation aux activités d'Uber mais aussi de son implication personnelle. Loin de vouloir se défausser par rapport à la stratégie agressive de la compagnie américaine, il reconnaît : « Dans la plupart des pays sous ma juridiction, Uber n'était pas permis, n'était pas autorisé et n'était pas légal »
À la question posée par le Guardian de savoir si MacGann se sentait responsable de ce qu'il a fait, l'ex-lobbyiste répond par l'affirmative. « Oui. Et je suis en partie responsable. C'est pour cela que je fais ce que je fais maintenant, en étant un lanceur d'alerte. Bien évidemment, ce n'est pas une chose facile à faire, parce que j'étais là, j'étais celui qui parlait aux gouvernements, j'étais celui qui poussait les médias, j'étais celui qui disait aux gens qu'ils devraient changer la réglementation parce que les conducteurs allaient en bénéficier et qu'il allait y avoir des opportunités économiques. Quand cela s'est avéré ne pas être le cas, nous avions en réalité vendu des mensonges aux gens. Comment pouvez-vous avoir la conscience tranquille si vous vous ne levez pas face à comment les gens sont traités aujourd'hui ? », déclare-t-il.
« S'agit-il de faire amende honorable ? », se demande le journaliste britannique ayant interviewé MacGann. « Il s'agit de faire amende honorable et de faire la bonne chose. Écoutez, je suis maître de ce que j'ai fait, mais s'il s'avère que ce que j'essayais de vendre aux gouvernements, ministres, premiers ministres, présidents et chauffeurs, est finalement horriblement faux, alors il m'incombe de revenir en arrière et de dire : Je pense que nous avons fait une erreur. Et je pense, dans la mesure où les gens voudront que je les aide, je veux jouer un rôle en essayant de rectifier l'erreur commise », répond l'ex-lobbyiste repenti.
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