
n°776.#UberFiles, un leak pour dévoiler les coulisses de la stratégie d’Uber
Après les Paradise Papiers, les Panama Papers, les Implants Files et les Pandora Papers, le Consortium International des journalistes d'investigation (ICIJ) revient avec une nouvelle enquête mondiale. Cette fois-ci, elle est copilotée par le journal britannique The Guardian, ayant obtenu un leak de documents, mails et SMS internes de la compagnie américaine Uber, commercialisant la célèbre application de VTC.
Afin de pouvoir exploiter cette masse de documents, pas moins de 124 000 éléments, The Guardian et l'ICIJ ont décidé de les partager avec leurs partenaires habituels pour enclencher une enquête mondiale : plus de 42 médias installés dans 19 pays différents, dont Le Desk au Maroc, et constituant un total de 180 journalistes. Ceux-ci ont, pendant quatre mois, épluché une quantité considérable de documents s'étalant sur la période de 2013 à 2017. Le résultat en est édifiant : le leak The Uber Files permet d'exposer la stratégie de la firme commercialisant l'application de VTC, aujourd'hui utilisée par plus de 118 millions de personnes mensuellement.
Les éléments documentés que le projet The Uber Files fournit donnent la possibilité de détailler avec force précision les stratégies adoptées dans chacun des pays où Uber a voulu s'installer, les réseaux constitués et les méthodes, pour le moins non orthodoxes, auxquelles le top management de l'entreprise a recours.
L'enquête mondiale permet de révéler qu'Uber a tenu de nombreuses réunions gardées secrètes avec des politiques, afin de demander des faveurs, y compris l'abandon d'enquêtes et l'entame de réformes pour faciliter le quotidien de la compagnie américaine, comme l'indique l'ICIJ. En faisant allusion à l'actualité, notamment les sanctions prises à l'encontre de Moscou dans le cadre de l'invasion russe contre l'Ukraine, ICIJ souligne qu'Uber a aussi recours à des oligarques russes afin de s'introduire au Kremlin.
Selon nos recherches, au Maroc, la situation n'est en rien différente par rapport à ce qui a pu se faire ailleurs, (par exemple en France pour le deal avec Macron) : comme nous le démontrons dans notre récit-enquête, Uber a choisi d'accélérer son implantation dans le royaume, faisant fi de la législation nationale et encore moins de contacts noués avec les officiels pour pouvoir préparer l'arrivée. « It is better to ask for forgiveness than for permission » (Il vaut mieux demander pardon que l'autorisation), avait notamment déclaré le lobbyiste en chef d'Uber Mark MacGann, pour résumer l'approche d'Uber dans un autre pays.
De plus, selon nos investigations, aucune étude sérieuse n'avait encore été faite au Maroc. De l'avis même de personnes impliquées, on sait qu'Uber n'a même pas pensé à mettre sur point une étude d'impact économique et social, à faire valoir auprès des autorités marocaines.
Uber agit comme un « buldozzer »
Agissant comme un « buldozzer », comme le décrit le lobbyiste marocain engagé par Uber pour le Royaume, Uber souhaite toujours s'affranchir des processus traditionnels : quand on demande s'il y a une autorisation pour transporter des personnes, le subterfuge est rapidement trouvé, en Europe ou au Maroc : Uber est une application qui fournit un service technologique, et ne s'occupe pas du transport de personnes. Un argument que nous ressortait Meryem Belqziz, en décembre 2015 déjà.
De quoi permettre à Uber de toujours opérer sous les radars, s'imposer dans le marché, rameuter des clients mais aussi des chauffeurs Uber, et ainsi être dans une position de force face aux autorités. Ce n'est qu'arrivé à cette étape que les employés d'Uber décident enfin de s'assoir à la table des négociations.
Dans les pourparlers entamés, Uber choisit de toujours viser les autorités détentrices de pouvoirs, ce qu'on relèvera aussi en France : lorsque les contestations deviendront violentes, à Marseille plus précisément, Uber s'appuiera directement sur Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'Économie et des Finances. Même chose dans d'autres pays, comme en Israël, où les plus hautes sphères du pays seront impliquées dans le lobbying d'Uber.
En matière de gestion, l'enquête des Uber Files révèle l'utilisation d'un Kill Switch, activé à chaque crise au sein des filiales d'Uber de par le monde pour empêcher les enquêteurs d'accéder à des données sensibles lors des perquisitions. Selon nos recherches, le dispositif n'a pas été actionné au Maroc, malgré la convocation de la patronne d'Uber au Royaume à l'époque.
Mais au-delà de la stratégie, les révélations dont fait état le leak The Uber Files permettent aussi de relever un niveau de violence sans précédent, utilisée à la fois dans les éléments de langages du top management d'Uber, mais aussi dans ce que vivent quotidiennement les chauffeurs Uber.
Contacté par l'ICIJ, un porte-parole du fondateur d'Uber, par ailleurs P-DG écarté de la gestion de la compagnie américaine, précise que Travis Kalanick « n'a jamais suggéré qu'Uber devrait profiter de la violence au détriement de la sécurité des chauffeurs ».
Lire nos enquêtes :
UberFiles : Comment Uber a raté son créneau au Maroc
UberFiles : Emmanuel Macron et Uber, le récit d'un « deal » tenu secret
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite
