À Tanger, des chiens errants abattus par centaines pour les beaux yeux de la FIFA ?

Des centaines de chiens errants auraient été « brutalement tués à Tanger, afin d'impressionner une délégation de la Fédération Internationale des Associations de Football (FIFA) », attendue cette semaine pour inspecter le Grand Stade de Tanger, qui accueillera la Coupe du Monde des Clubs de la FIFA du 1er au 11 février, avancent des défenseurs des droits des animaux au site d'information américain The Daily Beast.
« Ils essaient de nettoyer les rues des animaux errants avant la visite de la FIFA en février. Rien qu'aujourd'hui, ils ont tué plus de 25 de nos chiens », s'indigne Sally Kadaoui, fondatrice de SFT Animal Sanctuary, une association à but non lucratif qui sauve et soigne les animaux sans abri de la ville.
« C'étaient des chiens adorables et amicaux qui vivaient près des magasins et des cafés autour de la Corniche et tout le monde les nourrissait », poursuit-elle. Selon les militants, les animaux ont été empoisonnés ou abattus, malgré la présence d’une marque jaune qui signifie qu’ils ont déjà été stérilisés et vaccinés contre la rage.
Cette pratique a été auparavant mise en lumière par le Rapad Maroc (Réseau Associatif pour la Protection Animale et le Développement Durable) via un communiqué dans lequel il expliquait que la plupart des chiens errants stérilisés ont été exterminés par les communes, « réduisant à néant tout le travail effectué » par les associations au profit des animaux et des citoyens ».
Rappelons que dans un courrier adressé au procureur général du roi près de la Cour d’appel de Rabat, et consulté par Le Desk, la Société Protectrice des Animaux du Maroc (SPA Maroc) avait porté plainte contre les responsables de l’opération d’abattage de chiens ayant eu lieu à Sidi Yahya Zaër le 23 janvier 2022, à cinq minutes d’un refuge où vivent de nombreux chiens errants.
« Des images insoutenables d’internautes montrent des chiens jetés dans des camions par-dessus d'autres cadavres, ou encore un membre des autorités locales en train abattre un chien à l'aide d'une fléchette empoisonnée, sous prétexte de contrôler la rage », fait savoir Kadoui.
Maltraitance animale : hiatus entre lois et pratiques
Dans une lettre adressée à Mohammed VI, l'ex-actrice française Brigitte Bardot, connue pour son activisme pour la cause animale, avait sollicité le Roi au sujet de « l’inefficacité des méthodes actuelles, cruelles et brutales, de tir au fusil et d’empoisonnements », le priant d’intervenir en faveur de la gent canine.
Le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit lui avait répondu deux semaines plus tard : « Un plan opérationnel de stérilisation des chiens errants pour réduire leur nombre à un seuil tolérable est en cours d'élaboration en concertation avec l'Office national de sécurité des produits alimentaires ».
Deux années plus tard, une circulaire du ministère de l’Intérieur, datée de 2019 était envoyée à toutes les communes du Maroc pour « fixer un cadre réglementaire de coopération entre le ministère de l’Intérieur, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires et le Conseil de l’ordre national des vétérinaires dans le domaine de la prévention des maladies dangereuses transmises par les chiens et les chats errants, en particulier la rage. Afin également de prévenir la prolifération de ces animaux de manière dangereuse ».
L'adoption, la vaccination et la stérilisation y sont présentées comme des alternatives à l'abattage. La même année, une convention quadripartite sur la gestion de la population canine à travers la mise en œuvre de la TVNR a été signée entre le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Santé, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) et le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires du Maroc (OVM).
La TNVR, acronyme de Trap, Neuter, Vaccinate and Return (capturer, stériliser, vacciner et relâcher), est reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), comme étant la seule stratégie réussie. Une manière efficace de lutter contre la reproduction des chiens errants, et d’écarter tout danger sanitaire pour les citoyens et les autres animaux.
« Il s’agit dans un premier temps de former les équipes de la fourrière à une capture éthique, non violente. Ensuite, une fois l’animal stérilisé, ses hormones diminuent et n’attirent plus les autres animaux ni pour la bagarre ni pour l’accouplement. Ainsi, les nuisances et la reproduction diminuent considérablement. La vaccination participe ensuite à la santé publique dans le sens où les animaux ne constituent plus un danger pour leur entourage et deviennent plutôt des agents sanitaires », nous avait expliqué Ahmed Tazi, président de l’Association de défense des animaux et de la nature (ADAN).
Les autorités locales pointées du doigt
« Le ministère de l'Intérieur a promis 70 millions de dirhams (MDH) pour soutenir l'initiative TNVR visant à réduire humainement la population errante de la ville. (…) Personne n'a vu une partie de cet argent et ils essaient de créer cette fausse image », prétend Sally Kadaoui.
Malgré la signature en 2019 d’une convention pour le déploiement de la TNVR, et par conséquent la stérilisation et la vaccination des chats et chiens errants comme alternative aux méthodes d’extermination, les opérations d'abattages se poursuivent, les autorités locales se déresponsabilisent et les fourrières nient toute implication dans ces opérations.
En 2021, une convention a été signée, avec la Wilaya de Rabat-Salé-Témara et le département des Eaux et Forêts pour la construction d’un centre régional animalier et d’un centre de sensibilisation environnemental à la forêt de Maâmora à Rabat. La construction de ce centre régional a coûté près de 8,5 MDH, nous avait confié Ahmed Tazi.
Ce centre est prêt depuis une année, et il ne reste plus qu’à définir le budget d’équipement et de fonctionnement afin de démarrer « ce projet pilote » qui permettra de mettre en œuvre la méthode TNVR. Toutefois, l’association ADAN attend depuis plus d’une année le lancement de ce projet pour « une meilleure gestion, et surtout une gestion efficace et éthique des animaux de la rue » et ne comprend toujours pas les raisons derrière ce retard.
Rappelons qu'en mars 2021, nous révélions que la commune d’Imlili avait lancé un appel d’offres portant sur « cent opérations d’abattages » de chiens errants par armes à feu, contre 295 000 dirhams. Dans le cahier de prescriptions spéciales, consulté par Le Desk, il est écrit que la commune exige « la réalisation de cent opérations d'abattages des chiens errants qui constituent une menace sur la santé publique et ce par utilisation d'armes à feu dans les zones périurbaines de la commune Imlili, ses sites d'estivage et ses zones d'influence ».
La commune en question s’engageait à fournir au « prestataire » un véhicule pour le « ramassage des cadavres des chiens errants abattus » et « deux ouvriers qui seront chargés du ramassage et l’élimination des cadavres de ces chiens ». Toutefois, la commune d’Imlili a fini par annuler son projet brutal d’abattage, sous le feu des critiques des défenseurs de la cause animale.