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29.09.2022 à 12 H 08 • Mis à jour le 29.09.2022 à 12 H 18 • Temps de lecture : 9 minutes
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Débat Le Maroc accuse Adidas de s’être approprié le zellige au profit de l’Algérie

À l'utilisation pour la conception d'une tenue sportive algérienne de motifs inspirés du palais El Mechouar de Tlemcen, le ministère en charge de la Culture a décidé de réagir officiellement en mettant en demeure, par avocat interposé l'équipementier Adidas. Sauf que l'argumentaire de contestation se révèle truffé d’anachronismes. Explications

Ce jeudi, l'avocat Mourad El Ajouti, par ailleurs président du Club des avocats du Maroc, a annoncé sur les réseaux sociaux avoir été mandaté par le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, pour mettre en demeure l'équipementier Adidas. Mise en cause : une tenue sportive réalisée sur la base d'éléments présentés comme provenant de la culture et de l'histoire algérienne. Le vêtement est orné de polygones bleu ciel, bleu foncé, jaune et vert représentant l’assemblage géométrique des tesselles, ces morceaux de carreaux de faïence colorés faits de de terre cuite émaillée caractéristique du zellige. Dans un tweet diffusée le 23 septembre, la section MENA d'Adidas présente  « la nouvelle collection de vêtements de culture algérienne, inspirée de l'emblématique palais El Mechouar », situé à Tlemcen.


Pour El Ajouti, « il s'agit d'un énième cas d'appropriation culturelle, qui consiste à s’emparer d’une expression culturelle traditionnelle, pour l’adapter à une autre culture dans un contexte différent, sans autorisation ni mention de la source », indique-t-il. Contacté par Le Desk, celui-ci confirme agir au nom du ministère de Mehdi Bensaid, nous transmettant le texte de mise en demeure envoyée par courrier électronique et par voie de huissier à Adidas.



« Le ministère de la Culture marocain dont je défends les intérêts, m'a transmis des éléments dont il ressort que, les motifs utilisés dans ce nouveau design, comportent des représentations de l’art du zellige marocain, ce qui s’apparente à une tentative manifeste d’appropriation culturelle par le biais de votre marque », précise-t-il. Un « zellige marocain » aujourd'hui devenu récurrent dans la communication visuelle des institutionnels, à l'instar de la Royal Air Maroc, se fiant ainsi à l'avis partagé par de nombreux historiens spécialistes de l'art architectural islamique fixant l'origine du zellige au Royaume.


En guise d'arguments scientifiques, la correspondance détaille que « les carreaux de céramique émaillée, sont apparus la première fois au Maroc au 10 ème siècle, les motifs présents dans le palais du Mechouar de Tlemcen sont d’inspiration marocaine et ont été aperçus la première fois à la Madrasa Bū ʿInāniyā de Fès et la Madrasa-Zāwiya de Chellah. Ces informations ont été rapportées par un article scientifique intitulée 'Palais du Meshouar (Tlemcen, Algérie) : couleurs des zellijs et tracés de décors du XIV ème siècle publié par la revue ArcheoSciences 2019/2 (n° 43-2)' ». 


Aussi, au nom du Maroc, Me El Ajouti demande le retrait de la création vestimentaire dans les 15 jours, ou «  en cas de carence, prévoir une communication relative aux motifs utilisés issus de l’art de zellige marocain, et éventuellement verser une partie des bénéfices pour les artisans marocains détenteurs de droits ».


L'injonction ne manque pas de souligner qu'il s'agit là d'une appropriation culturelle, définie comme étant « l'acte par lequel une personne ou un organisme issu d’une culture différente s’empare d’une expression culturelle traditionnelle, pour l’adapter à une autre culture dans un contexte différent, sans autorisation ni mention de la source ou rémunération d’une façon qui porte préjudice aux détenteurs de l’expression culturelle traditionnelle en question ».

Une étude reprise de manière parcellaire

Consultée par Le Desk, l'étude sus-mentionnée fournit des éléments supplémentaires et permet par ailleurs de nuancer l'utilisation, à tort selon ce qu'elle expose, du concept d'appropriation culturelle. Publié en 2019, l'article de recherche scientifique a été co-écrit par quatre auteurs : Agnès Charpentier, une spécialiste du Tlemcen médieval, l'historien d'art Michel Terrasse, Redouane Bachir chercheur à l'Université de Tlemcen et enfin Ayed Ben Amara, spécialiste à l'Université de Bordeaux des analyses physico-chimiques de céramiques.


Le travail s'intéresse particulièrement aux décors du palais El Mechouar de Tlemcen, se penchant sur l'origine, la nature des pigments, la matière première et le mode de fabrication de différents éléments, dont des zelliges. Il est procédé ainsi à « une analyse géométrique des motifs décoratifs, considérés comme des témoignages historiques de l'avancée de la science de leur temps, et de leur diffusion au sein de l'Islam d'Occident ».


Au téléphone, l'avocat mandaté par Mehdi Bensaid nous affirme qu'il s'agit d'« un article réalisé par des scientifiques français et algériens qui mentionnent ce palais de Tlemcen. Ils ont identifié que ces motifs sont d'inspiration marocaine », précise-t-il. Il ajoute : « la dénomination de zellige, ce n'est utilisé que pour les Marocains. A ma connaissance, je n'ai jamais entendu le mot zellige ailleurs ». « On ne s'inspire pas d'un lieu en faisant obstruction de l'histoire ! », martèle-il.


Dans le corps de l'étude, les éléments repris par le ministère sont en fait un peu plus nuancés. Les motifs dont s'est inspiré le vêtement d'Adidas semblent avoir été puisés dans ce que l'étude présente comme étant le type 2, photos à l'appui. « Les éléments juxtaposés se composent de demi-hexagones blancs flanquant un losange noir. L’ensemble ainsi formé se combine avec des carrés bleus, verts et jaunes de 3 cm de côté », décrivent les chercheurs. Une description collant à ce qu'a pu réaliser Adidas.


Présentation des compositions identifiées (Institut méditerranéen, 2008), type 2. Image tirée de l'étude réalisée par Agnès Charpentier, Michel Terrasse, Redouane Bachir, Ayed Ben Amara.


L'étude avance dans la foulée que « ce motif couvrant est assez fréquent dans les architectures du XIV ème siècle, qu’elles soient islamiques comme la Madrasa Bū ʿInāniyā de Fès ou la Madrasa-Zāwiya de Chellah où l’on retrouve une riche polychromie ou encore chrétienne comme à l’Alcázar de Pierre Ier à Séville. Il est également attesté sur des bordures de vasque comme le montrent les vestiges retrouvés par A. Bel dans une muniya proche de Tlemcen ou encore des ensembles conservés au musée de Tlemcen », peut-on lire.


Même chose pour le type 3 analysé, représentant des étoiles jaunes, noires ou vertes. Là encore, les auteurs indiquent que « ce décor typique des compositions que l’on trouve souvent en lambris sous les portiques, est présent, par exemple, à la Cour des Myrtes de l’Alhambra de Grenade qui date du début du XIV ème siècle ».


Présentation des compositions identifiées (Institut méditerranéen, 2008), type 3. Image tirée de l'étude réalisée par Agnès Charpentier, Michel Terrasse, Redouane Bachir, Ayed Ben Amara.


Autrement dit, à aucun moment, il n'est question « d'inspiration » comme avancé par le ministère et sa défense. Il est mentionné que cette architecture est bien présente à cette époque au niveau d'autres lieux, autres que ceux installés dans ce qui représente actuellement le Maroc. Une architecture propre à une aire civilisationnelle, dont on ne saurait aujourd'hui distinguer par des frontières.


Présentation des compositions identifiées (Institut méditerranéen 2008), type 1. Photo tirée de l'étude réalisée par Agnès Charpentier, Michel Terrasse, Redouane Bachir, Ayed Ben Amara.


La spécificité des ornements de Tlemcen est d'ailleurs étayée par l'article scientifique lui-même, expliquant que « la polychromie (les différentes couleurs utilisées et qu'on retrouve dans le vêtement d'Adidas, ndlr) semble toutefois n’être attestée que dans le domaine ʿabd al-wādide, les décors présents à Séville ou à Chellah (Rabat-Maroc) n’offrent, le plus souvent, que des carrés d’une seule couleur », se basant sur les motifs du type 3.


Voilà pour ce qui est de ce qu'avance l'étude, citée, rappelons le comme principal argument opposé à l'équipementier sportif Adidas pour assoir la thèse de l'appropriation culturelle et non de s'engager dans un débat d'historiens sur l'origine de la création du zellige.


Appropriation culturelle, un anachronisme

Et c'est en cela précisément que la posture prise par le ministère de la Culture et sa défense se voit compromise : s'agissant de l'appropriation culturelle en elle-même et à l'aune des éléments sus-mentionnés, il paraît évident que l'application de ce concept est dans ce cas tout à fait anachronique. On ne saurait accuser les artisans de Tlemcen des sultans zianides du XIII ème siècle de s’approprier la culture d'un autre pays, comme on ne pourrait reprocher aujourd'hui aux constructeurs du palais de l'Alhambra à Grenade de s'être appropriés des motifs « purement marocains ».


Si on venait à suivre cette logique, il faudrait aussi demander à l'Espagne de se garder d'utiliser dans son marketing territorial, culturel ou touristique les motifs de ses palais datant de l'Andalousie musulmane, en exigeant qu'il faudrait que Madrid verse un certain pourcentage des bénéfices engrangés par ses actions de soft power aux artisans marocains.


Une situation qui confine à l'absurde qui n'a d'égale que l'euphorie touchant à la véritable « bataille » menée, de part et d'autre, au Maroc comme en Algérie, contre tout élément culturel puisé de leur histoire, spécifique ou commune, qu'il soit culinaire, architectural, musical, etc.


Une rivalité aux relents hostiles sur les réseaux sociaux ou à travers certains médias dans laquelle le ministère en charge de la Culture risque de verser maladroitement et d'alimenter au nom de son initiative - du reste louable - de préservation du patrimoine national et de son identité à travers le label « Moroccan Heritage » lancé en avril dernier. Une opération visant à la base à faire rayonner la richesse de la culture marocaine en partenariat avec l'ambassade de France et le Centre Jacques Berque.


Le risque d'attaquer sabre au clair avec des arguments pouvant se révéler fragiles, voire infondés vient assurément contredire ce qui a été affirmé par le Roi Mohammed VI lui-même à l'occasion de son discours du Trône de cette année : « Je souligne une fois de plus que les frontières qui séparent le peuple marocain et le peuple algérien frères ne seront jamais des barrières empêchant leur interaction et leur entente », ou encore « que « les allégations selon lesquelles les Marocains insulteraient l’Algérie et les Algériens sont le fait d’individus irresponsables qui s’évertuent à semer la zizanie entre les deux peuples frères ». Ce que rejette la plus haute autorité de l'Etat dans son appel à la communion maghrébine ne devrait donc pas souffrir d'inquisitions sur l'histoire commune du Maroc et de l'Algérie. Aux « passerelles » appelées de ses vœux par Mohammed VI, on substitue et dresse des murs de zelliges.

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