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30.07.2022 à 18 H 41 • Mis à jour le 01.08.2022 à 01 H 05 • Temps de lecture : 7 minutes
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n°780.Ali Bouabid : « Conjurer la spirale du soupçon »

Face au « climat de suspicion délétère qui entrave tout débat de fond sur les prix des carburants », Ali Bouabid, Délégué Général de la Fondation Abderrahim Bouabid appelle, dans une tribune au « Desk » Aziz Akhannouch à « déclarer solennellement renoncer personnellement durant la totalité de son mandat à la perception de tout dividende des entreprises de distribution du groupe Afriquia. Et verser ce ‘manque à gagner’ dans un fonds public, voire le cas échéant le convertir en baisse symbolique du prix à la pompe au bénéfice du consommateur »

L’intérêt public dans notre pays est en butte à un climat de suspicion délétère qui entrave tout débat de fond sur les prix des carburants à partir d’une base de connaissances partagées. Au vrai, cette controverse succède à plusieurs évènements dont les effets concourent à entretenir une atmosphère détestable de soupçon : atermoiements du Conseil de la concurrence, retrait du Parlement de qu’il est significativement convenu d’appeler le texte sur l’enrichissement personnel  freins à un fonctionnement normal et régulier de l’Instance de lutte contre la corruption (INPPLC ) etc.


Néanmoins, la controverse porte au jour une question majeure de morale publique : Comment envisager l’avenir quand prévaut le sentiment de n’avoir plus en face de soi des responsables qui portent à titre personnel l’intérêt public ? Une question qui interpelle bien sûr la citoyenneté de chacun, mais dont il revient naturellement au premier responsable de la bonne marche des affaires publiques, le Chef du gouvernement, d’en personnifier la réponse. Car la morale publique ne fonctionne qu’au jeu de l’identification entre gouvernés et gouvernants.


Face à la flambée des prix des carburants le gouvernement essuie une salve de critiques dont il ne suffit assurément pas d'anathémiser l'inspiration pour se débarrasser. Certaines des passions qui s’y expriment ont leur charge de vérité et méritent d’être entendues. On ne peut donc se contenter d’y répondre en brandissant tantôt le thème de la conspiration, tantôt l’épouvantail de la contrainte de financement de la compensation ou encore de la protection sociale qui, nous dit-on, serait compromis si l’on envisageait de revoir à la baisse les prix des carburants ! Le procédé est inepte, car avant de devenir une contrainte ce mode de financement est un choix politique qui n‘est pas exclusif de tout autre. Surtout, comment opposer aux Marocains de tels arguments aux allures de chantage à peine masqué, quand ils ont d’ores et déjà payé le tribut de la faillite des derniers gouvernements dans la défense de l’intérêt général. En témoigne l’incurie attestée dans la libéralisation des hydrocarbures.


En réalité, et au-delà des objections qui réfèrent à des choix de politique publique, ce qui est principalement en cause ce sont les effets potentiellement ravageurs de la dialectique du soupçon qui s’est emparée des esprits : Soupçon d’opacité volontaire sur la composition des prix du carburant qui ravive le soupçon sur les bénéfices tirés d’une situation de conflit d’intérêts en des temps d'inégalités aggravées devant l’inflation. Cette dialectique fournit un instrument de contestation indéfinie de toute autorité publique. Et c’est peu dire que la sagesse voudrait que le gouvernement prenne la juste mesure de ce qui est en jeu.


D’abord en faisant preuve d’humilité dans un exercice réflexif. On ne peut en effet s’offusquer de la tournure prise par la campagne sur les réseaux sociaux quand le gouvernement (et le Conseil de la concurrence au passage ) se révèle incapable de lever le voile d’opacité qui entoure la « vérité sur les prix » : à savoir la transparence sur l’évolution mensuelle de leur structure depuis 2018. Curieusement, les seules données tangibles et accessibles sur le sujet datent de 2015, c’est-à-dire avant la libéralisation ! On peut y ajouter la confusion dans les esprits que génère la multiplicité des sources d’« informations officielles » sur le sujet. Tout se passe comme si elles étaient distillées de manière volontairement partielles et lacunaires !


Saignés à blanc par la flambée des prix à la pompe, les Marocains fustigent les faux-semblants d’une « vérité des prix » qui leur est brutalement imposée et qui semble dissimuler la « vérité sur les prix » réclamée au nom de la transparence. Pour éviter donc que ne soient entretenues de vaines polémiques parfois nées de l'ignorance des polémistes, et faire en sorte que le débat de politique publique sur « la vérité des prix » puisse enfin s’engager en dehors de tout soupçon, il appartient au gouvernement (et accessoirement au Conseil de la concurrence) de commencer par satisfaire à l’exigence élémentaire de transparence, relayée dans la mesure du possible, par des éléments de langage communs à l’ensemble des responsables publics.


Mais cette exigence de transparence sur les prix pour essentielle qu’elle soit, n’est cependant plus suffisante. Elle se double en effet d’une redoutable question de fond : Peut-on admettre après la Constitution de 2011 que pèse sur le Chef de gouvernement un soupçon de conflit d’intérêts dont il pourrait tirer bénéfice au cours de son mandat, qui plus est dans le secteur dont les Marocains ont le plus à souffrir ?


Convenons que la réponse à cette question ne relève plus d’aucune évidence. Elle n’en exprime pas moins des choix lourds de sens qui doivent être pleinement assumés. Le Chef du gouvernement sait qu’il doit composer avec cette donne. Le sujet ne peut être éludé. La flambée inédite des prix des hydrocarbures excite le ressentiment à son égard et abîme sa fonction. Dans tous les cas, l’issue qu’il trouvera éclairera l’appréciation qu’il se fait des obligations liées aux charges publiques dont il est le dépositaire réel et symbolique. Entendons-nous. Il ne s’agit pas pour le Chef du gouvernement de se mettre en conformité avec des dispositions légales. Sa légitimité électorale n’est pas davantage en cause, même si elle n’accorde qu’un permis de gouverner qui n’équivaut pas à un blanc-seing définitif. Ce qui est fondamentalement en cause, c’est le devoir d’exemplarité qui incombe à tout dirigeant de premier plan et singulièrement en temps de crise. Aussi, le Chef du gouvernement, à défaut de l’incarner si telle n’était pas son ambition, est à tout le moins en première ligne pour ne pas le compromettre en liant la légitimité à gouverner autrui avec la capacité à se discipliner soi-même.


Souvenons-nous. Du temps où il était ministre de l’Agriculture, M. Akhannouch en renonçant à percevoir son traitement de ministre a sans doute voulu signifier que ce ne sont pas les commodités liées à la fonction qui le retenaient. Soit. Sauf que de manière contre intuitive cette marque de désintéressement n’en demeurait pas moins mal inspirée. Elle opérait en effet une confusion dans les esprits entre deux registres qui devraient être rigoureusement séparés :  d’une part, l’aisance matérielle et personnelle d’un homme issu du secteur privé, et d’autre part, la rétribution normale d’une fonction publique dirigeante qui gagnerait à devenir exclusive. A ce propos, est-il besoin de rappeler que la rémunération octroyée aux dépositaires d’une charge gouvernementale est avant tout destinée à protéger la fonction de toute interférence privée en mettant son titulaire à l’abri, non du besoin, mais des tentations collusives public-privé. Or M. Akhannouch, en renonçant dans l’exercice de ses charges publiques à tout revenu d’origine publique a, en qualité d’entrepreneur-actionnaire, de facto contribué (sans doute involontairement) d’une certaine manière à légitimer le mélange des genres.


Aujourd’hui, pour conjurer cette spirale du soupçon, c’est à faire le contraire qu’il devrait précisément consentir. En l’occurrence, déclarer solennellement renoncer personnellement durant la totalité de son mandat à la perception de tout dividende des entreprises de distribution du groupe Afriquia. Et verser ce « manque à gagner » dans un fonds public, voire le cas échéant le convertir en baisse symbolique du prix à la pompe au bénéfice du consommateur.


Un choix de conscience avant tout, sur lequel pèse une exigence que dicte à la fois le devoir de solidarité et d’empathie envers ses compatriotes, et la préservation d’une éthique dans l’exercice d’une fonction dirigeante.


En somme un choix qui rappelle qu’en politique, on ne plaide bien que par l’exemple  et qu’œuvrer à la formation de l’esprit public n’est pas une tâche superflue à un moment ou la logique vénale colonise la sphère politique et infuse l’imaginaire des marocains tel un poison lent dont on finit par s’accommoder.


A l’inverse, s’y refuser reviendrait à laisser s’installer le mélange des genres au cœur de l’action publique en faisant de la probité le privilège des idiots ! J’ose espérer que l'idée fasse son chemin, en attendant d’être sanctionnée par une loi.


Ali Bouabid est Délégué Général de la Fondation Abderrahim Bouabid

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