n°199.La maladie du roi et la maladie du système de santé
Le mercredi 7 septembre 2017, une dépêche de l’agence de presse officielle MAP relaie un communiqué co-signé par les professeurs Jean Philippe Nordmann et Abdelaziz Maaouni, respectivement chef de service au centre hospitalier d’ophtalmologie des quinze-vingt à Paris et médecin personnel du roi Mohammed VI. Ce communiqué faisait état d’une intervention chirurgicale subie par le monarque : Une exérèse complète d’un ptérygion de l’oeil gauche avec extension sur la cornée. En d’autres termes : une intervention ophtalmologique banale largement maîtrisée par nos compétences locales en la matière.
Comme une traînée de poudre, fait normal à l’ère de la viralité de l’information, le communiqué a été partagé massivement par les utilisateurs des réseaux sociaux. Il ne s’agit pas d’un événement banal puisqu’il concerne la santé du chef d’état.
Ce n’est pas la première fois où le Palais communique sur la santé du roi. Déjà en août 2009, un communiqué signé par le même Pr. Maaouni, rapportait l’atteinte du roi par une infection à rotavirus avec des signes digestifs et déshydratation.
La position centrale du roi sur l’échiquier politico-économique marocain font de sa santé l’un des sujets les plus convoités aussi bien par le citoyen lambda que dans les salons feutrés de l’intelligentsia mais aussi dans les chancelleries alimentant parfois les rumeurs les plus invraisemblables.
A ce titre, communiquer sur la santé du roi est une attitude sage et louable dans un pays qui est encore en phase d’apprentissage dans les classes de démocratie et du droit à l’information.
Toutefois, le communiqué du mercredi n’a pas suscité que compassion et sincères souhaits de prompt rétablissement en parfait respect à nos us et coutumes marocaines ancrées dans l’ADN collectif de toutes les souches sociales de notre nation.Certains commentateurs ont préféré alimenter la polémique sur la sémiologie du choix d’un centre parisien pour une intervention réalisée quotidiennement par des centaines de praticiens marocains sur le territoire national. Les pourvoyeurs de cette polémique arguent qu’il s’agit là d’un désaveu tacite du système de santé marocain par celui qui incarne la souveraineté nationale et que la santé du chef d’Etat est une affaire sensible non externalisable même à un pays considéré comme allié du régime marocain.
Loin de donner raison ou tort à cette vision des choses, nous estimons qu’il ne s’agit là que d’une “nième” expression de malaise à l’égard d’un système de santé national frustrant à moult égards et que le communiqué, peut-être sans vouloir le faire, a ravivé la question de l’efficacité et efficience d’un système de santé source de malaises multiples.
Personne ne pourra réfuter les améliorations significatives d’indicateurs de santé comme la mortalité infantile, maternelle et juvénile ou encore l’espérance de vie dans les 60 dernières années. En même temps, l’urbanisation rampante et les changements drastiques dans notre mode de vie ont engendré un virage épidémiologique vers les maladies chroniques (Diabète, pathologies cardio-vasculaires, cancers…) aux complications parfois lourdes et où le bilan est plutôt terne par rapport à des pays économiquement comparables.
Pour une monarchie qui s’est ouvertement positionné en faveur d’un renforcement du capital immatériel, la persistance des dysfonctionnements du système de santé constitue un véritable talon d’Achille. Au delà d’être un facteur de précarisation de larges franges de la population marocaine, ces anomalies constituent un facteur sérieux d’instabilité sociale et une menace politique grandissante. La mouvance du Rif en est le parfait témoin.
Le Maroc figure parmi les 57 pays avec une offre médicale insuffisante selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La pénurie des ressources humaines qui demeurent inférieures aux normes internationales et au seuils minimaux tolérés par les instances mondiales. (A peine 6,2 médecins pour 10 000 habitants contre 11,9 en Tunisie ou 12,1 chez les voisins algériens). A cette pénurie se greffe, une anomalie structurelle où la médecine tertiaire spécialisée et suréquipée est le principal bénéficiaire de l’effort d’investissement (public et privé) au détriment des prestations de médecine de famille et des soins primaires qui sont la colonne vertébrale de tout système de santé qui se respecte.
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Les disparités entre les régions dans l’offre de soins anormalement concentrée dans l’axe Casa-Rabat, notamment au niveau des allocations des ressources sont de véritables bombes sociales à retardement. Ces disparités risquent de s’aggraver davantage avec la fuite des compétences vers des cieux plus cléments malgré les mesures coercitives imposées par le ministère de la santé pour garder ses ressources humaines.
La gouvernance défaillante, l’absence de vision claire pour l’avenir du système de santé, la libéralisation à outrance, la couverture maladie insuffisante et fragmentée ainsi que le poids important de la contribution des ménages dans les dépenses de santé sont autant d’éléments qui laissent croire que ce secteur, à l’instar de l’éducation, a été livré à des mafias qui ont fait émerger une médecine à deux vitesses : une pour les nantis et une pour les moins lotis. Un système qui a conduit à constat amer et douloureux : Plus d’un quart des marocains ne se font pas soigner lorsqu’ils sont malades comme l’a clairement mentionné la banque mondiale dans son dernier mémorandum économique sur le Maroc en 2017.
Tout en souhaitant un prompt rétablissement au roi, nous rappelons que la santé est l’un des trois piliers de la stabilité. Et malheureusement, les deux autres piliers (l’éducation et la justice/sécurité) sont aussi défaillants.
L'auteur est docteur en médecine, diplômé dans les maladies de système et pharmacoéconomiste.
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