A Imzouren, la carcasse d’un hôpital inachevé, symbole de la lutte
De notre envoyé spécial à Imzouren
Il est vingt-trois heures passées quand une clameur monte du bas de la colline. Plus d’un millier de personnes sont rassemblées et marchent, l’air décidé, éclairés seulement par les torches de leurs téléphones portables. Sur les côtés, deux jeunes entament des live sur Facebook, afin de témoigner des manifestations quasi quotidiennes à Imzouren, la petite bourgade distante d’Al Hoceima d’une quinzaine de kilomètres et tout aussi rebelle. C'est dans cette petite cité de 40 000 âmes que des émeutiers avaient incendié fin mars une résidence de la police, dont les occupants avaient dû sauter du toit pour échapper aux flammes.
Sur les hauteurs, une dizaine de fourgons de la police anti-émeute sillonnent la petite route escarpée et suivent au pas les contestataires. Les slogans traditionnels fusent, « Le peuple réclame la libération de tous les prisonniers », « Pacifiques ! Pacifiques ! ».
En direction du centre-ville, tous les accès sont barrés par des dizaines de policiers casqués et protégés derrière leurs boucliers. Mais les manifestants ne comptent de toute manière pas aller au contact.
Ils préfèrent un lieu plus éloigné, devant le grand hôpital dont la construction n’a jamais été terminée. « Ca, c’est depuis des années » s’exclame Mohamed, un jeune homme de vingt-deux ans. Les travaux sont au point mort et le revêtement blanchi par la poussière peine à cacher un béton grisâtre.
En 2004, Imzouren fut l'épicentre d'un tremblement de terre meurtrier - plus de 600 morts, 15 000 sans-abris - qui a donné à la périphérie de la ville ce visage de banlieue reconstruite à la va-vite, un agrégat de constructions cubiques dispersées dans un paysage rocailleux au pied des montagnes.
« L'hôpital local d'Imzouren, rénové et rééquipé en matériel médical après le séisme du 24 février qui a frappé la région d'Al Hoceima, est aujourd'hui à même de répondre aux besoins de la population, après le renforcement de son staff médical », écrivait déjà la presse à l’époque, ajoutant même : « Après cette catastrophe, les autorités se sont employées à combler le déficit en personnel médical dont souffrait cet établissement sanitaire situé au cœur de la région la plus touchée par le tremblement de terre ».
En réalité, le replâtrage était de façade. En 2013, une femme enceinte a dû accoucher devant sa porte, faute de présence du médecin de garde et de matériel adéquat. Malgré le scandale, l’établissement tant promis pour remplacer le dispensaire vétuste n’a jamais vu le jour.
Le chantier a été déserté par ses pelleteuses et ses grues depuis cinq ans attestent des militants locaux. Reste cette carcasse imposante devenue un symbole, presque un monument attestant de la lutte pour les droits sociaux des habitants de la ville.
Une poignée d’ouvriers sont toutefois revenus récemment sur les lieux et s’affairent en journée autour de baraquements en préfabriqués, signe annonciateur d’une renaissance ?
« Une enveloppe budgétaire de 520 millions de dirhams a été mobilisée par le ministère de la santé pour la réalisation d’un plan intégré visant la promotion des prestations médicales dans la province d’Al Hoceïma, l’amélioration d'accès aux soins et le renforcement de l’offre médicale », a affirmé le ministre de la santé, Lahoussine El Ouardi, lors d'une réunion avec des acteurs de la société civile et des élus, le 9 juin dernier.
Parmi ces projets, figure « la construction d’un nouvel hôpital de proximité multi-spécialité à Imzouren, qui sera équipé en appareils biomédicaux pour une enveloppe de 63 millions de dirhams dont les travaux sont complétés à 80 % », a ajouté le ministre par voie de communiqué, notant qu’il sera opérationnel vers la fin de cette année…
En lot de consolation, en face, un centre pour la jeunesse flambant neuf et illuminé contraste avec la ruine. A l’intérieur, une cafétéria, une terrasse et des jeux de société. Des jeunes garçons lancent leurs pions, tout en scandant les chants de la manifestation qui se déroule à leurs pieds. Un terrain de foot en pelouse synthétique et bien éclairé accueille un petit match entre adolescents de la ville. Un gamin frappe dans le ballon de toutes ses forces, le maillot d’Isco du Real sur le dos, les cris de joie d’un but marqué retentissent…
Assis à même le goudron à une vingtaine de mètres de là, les centaines de manifestants de tous âges présents écoutent un homme parler au mégaphone. L’heure tourne, vient pour lui la mission de chauffer les foules pour un dernier au revoir avant la manifestation du lendemain.
Imzouren s’endormira peu après la dispersion, avec la certitude de voir les nuits prochaines dans ses rues ces mêmes hommes qui réclament depuis sept mois « du travail, une université et … un hôpital ».
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