n°497.Les discours royaux, de l’introspection sans fin face à l’urgence
La presse internationale a retenu du discours royal donné à l’occasion du 20 ème anniversaire de l’intronisation du roi Mohammed VI, la reconnaissance par le souverain des inégalités persistantes et des conditions socio-économiques précaires d’une large frange des Marocains. La veille, deux conseillers royaux, Omar Azziman et Abdelatif Menouni, en donnaient le ton dans des déclarations à l’AFP. Une certaine forme d’autocritique qui est pourtant de mise depuis cinq ans, sans résultats tangibles.
Dès 2014, à l'occasion des quinze ans de règne du roi, Mohammed VI appelait déjà à « une pause introspective ». Dans son discours donné à l'occasion de la Fête du trône, il rappelait que la même halte avait été faite, en 2005, incarnée à l'époque par le Rapport du Cinquantenaire, un document colossal qui exposait déjà noir sur blanc les grandes difficultés du Maroc d’aujourd’hui…
Mohammed VI déclarait alors : « Aujourd'hui, quinze années après notre accession au Trône, il me paraît nécessaire de renouveler cette pause nationale ». Principale défaillance observée par le roi : la promotion du développement humain, qui malgré les éloges faites au programme de l’Initiative nationale du développement humain (INDH), lancé neuf ans plus tôt, n’avait pas atteint les objectifs escomptés. Le roi s’était alors interrogé « Où est la richesse ? », une expression largement commentée à l’époque…
Le modèle du développement marocain était déjà présenté par le souverain comme « ayant atteint un seuil de maturité qui nous habilite à adopter des critères avancés et plus pointus pour évaluer la pertinence des politiques publiques et la portée de leur impact effectif sur la vie des citoyens ». L'occasion pour lui de souligner l'importance du capital immatériel qui devait, selon la position officielle de l’époque, constituer un indicateur correctif à ceux pris en compte par les organismes internationaux, jugés trop sévères à l’endroit du Maroc ..
La remise en question du « modèle de développement » marocain ne se fera concrètement qu’en 2017. Se défendant de tout pessimisme, le roi appelait « à mettre au point le plus efficient des modèles de développement ». La même année, il appelait les partis politiques, les élus de la nation et le gouvernement à élaborer des propositions pour un nouveau modèle à l'occasion de son discours prononcé à l'ouverture de la session parlementaire.
Un discours introspectif similaire sera servi quatre ans plus tard. L’occasion pour la presse nationale et internationale d’aborder – encore une fois - la capacité du souverain à remettre en question les politiques publiques qu’il avait engagées...
En 2013 déjà, toujours à l’occasion de la Fête du trône, le souverain avait sévèrement tancé la coalition gouvernementale menée depuis deux ans par les islamistes pour n’avoir pas suffisamment pris en main le dossier de l’enseignement, point noir du Maroc depuis des années, reprochant particulièrement au PJD de porter atteinte à « des composantes essentielles du plan de l’éducation ».
Ainsi, deux années après l’adoption en 2011 de la nouvelle Constitution dans le sillage des révolutions arabes, les discours royaux avaient repris leur tonalité de prédilection : celle de consacrer le roi dans une posture d’arbitre s’opposant à certaines politiques menées pourtant en son nom, d’autant qu’il concentre entre ses mains l’essentiel des pouvoirs exécutifs…
L’exercice aboutit parfois à une certaine contradiction, notamment lorsque le roi a exprimé son souhait de voir certains fondamentaux de sa politique de développement sociale et économique révisés. Ce fut ainsi le cas de l’INDH. Alors que ce programme entamait sa troisième phase fin 2018, pour un horizon de cinq ans, et que son efficacité avait largement été décriée, il était toujours présenté comme un succès par la communication officielle…
Exercice certes salutaire, cette introspection perpétuelle sur les cinq dernières années de règne n’a cependant pas accouché d’idées novatrices. Elle renseigne sur une impossibilité, voire une incapacité des institutions à offrir au pays une réelle dynamique de changement sur ses échecs les plus patents.
Durant cette phase, le souverain a souvent eu recours à des concepts tels que celui « de l’échec collectif » ou du nécessaire « renouvellement des élites » qui tarde en raison de l’inaction des acteurs politiques.
Autant d’allégations ressassées qui évacuent la cause fondamentale de cette trajectoire sans issue, celle de l’omnipotence d’un pouvoir régalien qui relègue au second plan un gouvernement mal né des urnes et qui décrédibilise une représentation nationale dont le corps législatif démuni se complait dans un rôle de caisse de résonance de décisions prises ailleurs.
Face à cette situation d’urgence politique, économique et sociale de plus en plus complexe, plusieurs questions demeurent posées : sommes-nous toujours inscrit dans cette « pause nationale » sans fin ou avons-nous basculé dans le temps de la réflexion ? La seule remise en question du modèle de développement est-elle suffisante ? Celle de l’ADN du système politique n’étant pas plus appropriée pour sortir du marasme ambiant ?
Alors que ces questions centrales sont éludées, sur le terrain, la précarité des Marocains a devancé le momentum de la réflexion pour s’exprimer sur le terrain de la contestation, se manifestant par la recrudescence des mouvements sociaux. L’évolution du monde aussi n’attend pas que le Maroc songe par à-coups à son modèle de développement, ce qui ne peut qu’impacter la situation socio-économique du pays et par conséquent la confiance en un avenir serein.
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