n°143.L’intolérable infantilisation de la presse marocaine
Le Desk révélait avant-hier, sur la base d’informations recueillies auprès de sources étrangères, qu’une importante cérémonie était en préparation au Palais royal autour de la coopération économique du Maroc avec le Nigéria, notamment concernant le fameux projet de gazoduc devant relier les deux pays et dont les contours sont aussi insondables que la fosse des Mariannes.
« Vu l'importance de ce projet, la presse internationale a été conviée à couvrir cet événement », a écrit dans la foulée Le360, qui apprenait lui aussi la nouvelle tenue jusqu'alors secrète. Très bien, mais si les médias étatiques, télévisions et agence officielle MAP en particulier, étaient aux premières loges de l’événement, les organes de presse privés en ont tout simplement été écartés.
Ce n’est certes pas la première fois qu’un tel traitement est réservé aux médias privés marocains, sans parler des indépendants parmi eux qui sont systématiquement bannis quand il s’agit d'occasions ayant pour enceinte le Palais royal ou pour des manifestations servant d'abord à sublimer l’image du Maroc à l’international.
Pourtant, quand une crise éclate ou lorsqu’il s’agit de bomber le torse sur des thématiques sécuritaires ou encore pour des couvertures en mode embedded, on les convoque en rang d’oignons pour leur faire apprendre la récitation. Au mieux, les plus sérieux sont contactés au cas par cas et surtout en off et avec préciosité pour en faire un vecteur de crédibilité, voire un alibi, d’une quelconque cause qui souffre de manque d’exposition, justement hors frontières. A quoi sert donc la presse dans l’esprit de nos dirigeants ? A inaugurer les chrysanthèmes ou régurgiter la propagande d’Etat ?
Au début du règne de Mohammed VI, les journalistes s’étaient pris à rêver de briefings ouverts, de conférences de presse royales où ils seraient mêlés comme dans toute démocratie qui se respecte avec leurs confrères étrangers. L’idée même d’une interview avec le roi semblait à portée de main pour certains. Il n’en fut rien, le souverain et son cabinet ayant préféré la sanctuarisation, laissant le gouvernement et les représentants de l’Administration aller au charbon face à l’opinion publique.
Le débat autour de cette distribution des rôles n’est même plus d’actualité aujourd’hui, la presse nationale, toutes tendances confondues, ayant été évincée au profit de quelques papiers glacés internationaux et d’une forme de communication centrée sur la personne du roi qui a envahi les réseaux sociaux jusqu’à l’excès.
Cette infantilisation de la presse, dont on parle en fait depuis des décennies, n’a que trop perduré. Nul besoin, encore une fois, d’expliquer au tableau noir qu’elle dessert les intérêts de la communauté, y compris ceux définis « d’intérêts supérieurs de la nation ».
Les tenants de cet ordre établi se claquemurent derrière des arguments d’arrière-garde prônant la défense d’un modèle que l’on voudrait spécifique au Maroc, comme d’ailleurs pour d’autres sujets. Il faudrait qu’ils comprennent un jour que respecter la presse du pays, surtout la plus libre - marqueur de sa vitalité -, n’est pas synonyme d’atteinte aux institutions, monarchie comprise.
Le cas particulier de cette cérémonie où la presse nigériane était, elle, invitée, a laissé un goût de cendre dans la bouche des journalistes marocains évidemment plus attentifs à ces sujets que quelques envoyés spéciaux mamounisés. Faisons d’ailleurs ici le pari d’évaluer les retombées médiatiques de cet apartheid qui ne dit pas son nom, d’autant que les questions de fond sur ce projet pharaonique demeurent encore sans réponse, soulevant encore une fois le problème central du droit à l’accès à l’information.
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