
n°336.Mohamed Boussaid, fusible de Aziz Akhannouch
Dans la Grèce antique, les Spartes enterraient vivants leurs nouveaux nés atteints de maladies génétiques incurables. La cité guerrière régulait ainsi sa gouvernance pour tenir la dragée haute à sa rivale Athènes. De nos jours, ce destin barbare n’a plus court, fort heureusement, par la grâce de la médecine moderne. Mais en politique, et c’est un constat intemporel, un gouvernement à l’ADN bancal est condamné à l’échec quels que soient les remèdes homéopathiques qui lui sont administrés.
Le syndrome qui ronge la coalition menée par Saâdeddine El Otmani découle de ce principe. L’actualité ne fait que l’amplifier au fil des crises à répétition. Il y a un an, le fiasco d’Al Hoceima avait ré-ouvert les plaies rifaines avec les conséquences que l’on sait. Plus près de nous, le boycott des marques a trouvé un terrain fertile à sa redoutable propagation. D’autres signaux plus ou moins perceptibles de la déliquescence du gouvernement le prouvent tous les jours : celui-ci est enlisé parce-que sa formation est contre-nature.
Le retour du roi aux devants de la scène politique, réclamé sur autant de dossiers pour lesquels l’exécutif est à la peine, confirme cette Berezina. L’interventionnisme du Palais, sur le leitmotiv de la reddition des comptes, fait rouler les têtes dans la sciure, mais ne résout pas le problème indépassable qui mine la gestion de la chose publique.
L’équation est, il faut le reconnaître, bien complexe. Les islamistes du PJD avaient, sous la direction de Abdelilah Benkirane, validé leur ticket pour un second mandat, mais pas de manière suffisamment franche pour contrecarrer leurs adversaires dopés en sous-main par l’Etat profond. Installés aux manettes des départements stratégiques, les parachutés du RNI et leurs alliés ont constitué un gouvernement parallèle qui à défaut de leur ravir le manche a englué tout le système et paralysé durablement le pays.
Le Palais a alors fait sauter quelques plombs après avoir reçu des rapports accablants sur le mal-développement du Rif central et mesuré tous les dangers que représentaient la hardiesse et la capacité d’essaimage du Hirak. La fièvre contestataire n’a été en réalité contenue que par une réponse sécuritaire aussi large que brutale. Mais les maux dont souffre le Maroc, et pour lesquels le roi et ses technocrates ont reconnu l’urgence de réviser de fond en comble le modèle de développement du pays, ne sont pas circonscrits à une région réputée plus frondeuse qu’une autre. Au-delà du « sursaut économique » nécessaire, c’est la refonte du système politique dans sa totalité qui demeure la clé de voute de toute réforme structurelle.
Dans ce sens, il faut appeler un chat, un chat. Le limogeage de Mohamed Boussaid, ministre de l’Economie et des Finances, maillon faible du dispositif de Aziz Akhannouch, quoique très largement acquiescée au-delà du fait qu’il soit honni pour sa saillie désastreuse à l’endroit des boycotteurs, ne suffira pas à convaincre sur l’exigence d’un changement radical de mode de gouvernance. Cela passe avant tout par un bouleversement de casting des premiers rôles et non pas seulement par la mise au pilori des seconds couteaux qui d’ailleurs se recyclent assez aisément dans les arcanes du véritable pouvoir.
Bien entendu, à mi-chemin de mandat gouvernemental, l’option peut se révéler périlleuse, les cartes à rabattre et les contraintes constitutionnelles rendant l’exercice peu confortable.
D’ici-là, le jeu des chaises musicales orchestré par des oukazes royaux, dont les raisons demeurent par ailleurs insondables, ne peuvent que susciter des réactions désabusées. Le pion Boussaid remplacé par le jeton Amara ? Quid alors de Moulay Hafid Elalamy ou mieux encore d’Akhannouch, s’interroge l’opinion publique qui attend que la reddition des comptes au nom de la sacro-sainte Constitution, touche enfin ceux qui, malgré leurs échecs avérés, gravitent sans fléchir dans la zone d'indulgence du Palais.
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