n°103.Pris dans la nasse du Palais, Benkirane s’en remet au roi, signe d’un naufrage annoncé ?
Face au comité central de la jeunesse du PJD réuni samedi 18 février au centre Moulay Rachid de Bouznika, le dernier message de Benkirane à ses troupes est révélateur de la situation de blocage qui perdure à la formation du gouvernement : « J’attends désormais le retour de Sa Majesté. Si j’ai d’ici-là constitué un gouvernement, je le lui présenterai, sinon je lui en ferai part », a-t-il dit, laissant entendre qu’au-delà ce serait au roi de prendre les devants.
« Nous sommes souples, mais la partie adverse ne veut pas de nous parce-que nous sommes porteurs de réformes » a-t-il dit, rappelant toutefois que le parti de la lampe a choisi la « voie de la légalité et du respect des institutions », alors que « le 20ème siècle était marqué par la confrontation ».
Une analogie annonciatrice de nouvelles tensions
Il faut dire que le chef du gouvernement s’était montré plus offensif que jamais lors de son allocution devant les membres du conseil national de l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), aile syndicale du PJD, réuni ce week-end au centre de Maâmora, à Salé.
« Il n’est pas possible que notre roi aille régler les soucis des peuples africains, alors que nous humilions le peuple marocain. C'est une humiliation au peuple marocain (...) si nous ne respectons pas sa réelle volonté », avait-t-il lancé.
Un genre de petite phrase dont il était coutumier lors de la campagne électorale pour les législatives d’octobre mais qui révèle à quel point aujourd'hui la situation est extrêmement tendue entre le leader du PJD et ses adversaires politiques, Aziz Akhannouch en tête.
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Depuis novembre, Abdelilah Benkirane joue une interminable partie d’échecs dans l’antichambre du véritable pouvoir. Une partie dont le discours royal de Dakar a redéfini les règles au profit de la technocratie et au nom de la stabilité et de l’efficacité donnant du carburant au RNI d’Akhannouch propulsé ainsi comme seconde force politique de fait alors que la fameuse « arithmétique » des élections ne lui donne pas à priori ce superpouvoir.
Encore une fois, le secrétaire général du PJD a appelé ses partisans à « résister et demeurer dans une posture sage, parce que nous ne sommes pas venus pour provoquer des troubles dans le pays », soufflant ainsi le chaud et le froid, alors que ses prises de contacts intermittentes avec Akhannouch n’aboutissent à chaque fois qu’à des concessions par petites touches.
S’il a de nouveau exprimé son opposition farouche à la participation de l’USFP au prochain gouvernement provoquant une réplique de Driss Lachgar qui se dit toujours dans la course, Benkirane a reconnu ce faisant avoir cédé à celle de l’UC, justifiant ainsi la résolution de « l’équation d’une majorité confortable » voulue par Aziz Akhannouch.
Dans ce sens, il a affirmé avoir fait « une nouvelle offre » au leader du RNI. Et comme à son habitude, soulignant que « le processus sera long et difficile », comme pour dire que les derniers pourparlers n’ont pas contenté le camp adverse, décidé à lui imposer davantage de conditions.
Le peuple pris de nouveau à témoin
Aussi, le chef du gouvernement a réitéré « la volonté du peuple marocain qui a donné le droit au PJD de former le gouvernement ». Il sait cependant que ce droit pourrait lui échapper au terme d'échanges aux positions irréconciliables.
Il y a une semaine, face au Conseil national du PJD réuni à Bouznika, il disait à peu près la même chose : « Rien ni personne ne peut surpasser les intérêts de la nation ou la volonté des citoyens » , avait-t-il déclaré en substance, laissant encore une fois planer le doute sur les choix alternatifs qu’il pourrait envisager face au blocage dans la formation du futur gouvernement. « Si nous n’arrivons pas à former ce gouvernement, les citoyens ne nous en tiendront pas rigueur », avait-il clairement signifié. Ils constateront selon lui « qu’un individu ou un parti a tenté de défendre leurs intérêts tandis que d’autres les ont dévoyés », agitant ainsi le spectre du renoncement à briguer le commandement du nouvel Exécutif.
Pour Benkirane, le problème central n’est pas le blocage en lui-même, mais le risque de perte de crédibilité de la vie politique et la préservation des acquis du Maroc en matière de démocratisation et ce depuis l’Indépendance. Des acquis qui ont façonné le caractère singulier du Maroc dans un environnement régional marqué par l’instabilité, avait-il scandé. Une perspective historique qu'il a répété à satiété ce week-end.
En citant cette fois-ci le volontarisme du roi en Afrique le comparant à l’inertie que connaît la scène politique intérieure, il pousse encore plus loin le curseur en tentant ainsi de se déresponsabiliser de cette impasse, et en appelant le peuple à témoin sur les résistances imposées par Aziz Akhannouch, et donc en creux, selon lui, forcément celles dictées par Palais.
La parenthèse d’Addis Abeba qui a vu le retour du Maroc au sein de l’Union africaine a surtout été l’occasion pour ses adversaires de « manœuvrer pour influer sur le cours des tractations », a-t-il dit, fustigeant « le rôle des lobbys et des groupes d’intérêts », sans pour autant les citer nommément.
A-t-il haussé le ton pour faire avaler la pilule à ses fidèles sur de nouvelles concessions à venir ou prévient-il d’une nouvelle poussée de fièvre avec le noyau même du régime qu’il ose à l'évidence de mettre non sans risque en opposition avec la volonté populaire ?
Le Palais n’a pas pour l’instant réagi à cette sortie, mais nul doute que la petite phrase de Benkirane n’est pas passée inaperçue connaissant la sensibilité du roi et de son entourage face à toute velléité de mettre en équation la monarchie au centre des dissensions politiques.
En cherchant à impliquer le roi dans l’arène d’une manière subliminale pour signifier qu’Akhannouch n’est qu’un messager, le chef du PJD s’expose à des remontrances. Mais à ce stade, le chef du gouvernement joue son va-tout pour se dépêtrer de la nasse dans laquelle il est fait prisonnier depuis de longs mois, l’essentiel étant pour lui de ne pas être contraint à l’étouffement ou à la défaite sans rappeler à l’opinion publique ce qu’il désigne par les véritables raisons de son possible naufrage et plus largement ce qu’il entend par échec démocratique.
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