n°818.Quand TelQuel s’approprie une enquête du Desk consacrée à Glovo
L’article intitulé « Glovo, Jumia Food, Yassir : livreurs, esclaves du nouveau capitalisme ? » paru en Une de l’édition de TelQuel du 4 novembre et dans sa version digitale comprend un certain nombre d’informations, de témoignages, de formulations et de données chiffrées puisés de notre enquête « Les Glovers marocains livrés à eux-mêmes » datée du 6 octobre.
Le Desk n’est cité pour son investigation qu’au détour d’une phrase pour dire qu’il a « pointé » ce « système », ce qui pose évidemment un sérieux problème d’éthique que l’extension du sujet aux cas Jumia Food et Yassir ne peut servir à dédouaner ses auteurs.
Pour exemple, ces passages copiés-collés.
Nous avions synthétisé les propos d’un livreur dans une forme que l’on retrouve dans ce témoignage bidonné par TelQuel :
Idem pour la reprise hasardeuse du chiffre d’affaires de Glovo au Maroc qui trahit l’absence de recherche documentaire pour le déterminer : ce montant ne « frôle » pas les 105 MDH comme l’écrit TelQuel, - cela supposerait qu’il est légèrement deçà -, car en réalité, il le dépasse et nous l’avions arrondi à la baisse.
Autre emprunt, cet intertitre de TelQuel qui reprend le jeu de mots du titre de notre enquête :
TelQuel trompe son lectorat lui faisant croire que son « dossier » est le fruit d’un travail original et bafoue ainsi les principes de base de la déontologie journalistique, dont celui de la traçabilité de l’information. La règle étant de sourcer explicitement et assez haut dans l’article le média à l’origine de l’information exclusive qui a été reprise, selon les chartes en vigueur dans la profession.
Nous savons que les journalistes de TelQuel qui avaient en tête de réaliser le même sujet n’avaient rien entamé de véritablement concret à la parution de notre article.
Nous savons aussi qu’avant de se lancer dans cette entreprise de pillage, la question a été discutée en interne et que les avis étaient divergents au sein de la rédaction de TelQuel.
Voici pour preuve l’échange sur WhatsApp entre les deux journalistes signataires de l’article de TelQuel que Le Desk a pu se procurer. Il date du jour de parution de l’enquête du Desk et en dit long sur la situation qui prévalait alors au sein de la rédaction du magazine :
Omar Kabbadj : - C'est la merde. L'enquête (du Desk, ndlr) est vraiment bien foutue
Manal Zainabi : - On le fait quand même. Et on essaie de faire mieux qu'eux
Omar Kabbadj : - Tu ne préfères pas qu'on propose autre chose à Hassan (conseiller de la rédaction de TelQuel, ndlr) ? On a l'air un peu débile si on fait la même chose à une semaine d'intervalle
Manal Zainabi : - Je suis d'accord, mais bon…
C’est donc en toute conscience que la décision a été prise par la chefferie de TelQuel de réaliser le même sujet et de légitimer son rendu, alors même qu’un des deux journalistes (Omar Kabbadj) avait exprimé de sérieuses réserves, affirme-t-il, et qui au final ne participera pas à l’article de cadrage pour lequel TelQuel le créditera sans l’aviser.
Nous savons enfin, qu’un encadré - proposé par Omar Kabbadj - faisant référence à une autre enquête du Desk, celle des Uber Files a été retiré à l’édition.
Nous avions aussi déjà relevé par le passé cette propension à s’approprier le travail du Desk de la part de la journaliste Manal Zainabi (co-auteure de l’article sur les livreurs de TelQuel) lorsqu’elle écrivait pour Sputnik.
Hello @sputnik_fr. Peux-t-on encore parler d’exclusivité quand on reprend l’essentiel des infos déjà parues dans @LeDesk_ma (en faisant parler les mêmes principales sources dans un déroulé et une structure narrative quasiment dupliquée) ? https://t.co/VdEAb5rWKg https://t.co/LoXuguLMZO
— Ali Amar (@MarocAmar) August 29, 2020
Cette situation est d’autant plus problématique que nous avions alerté de manière informelle la rédaction de TelQuel sur des cas de plagiat récurrents, le précédent en date concernant un article consacré à la démission de Bouchra Meddah de la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) ayant occasionné son retrait forcé du site Telquel.ma sans le moindre avis à ses lecteurs (Lien pour le plagiat initial avant suppression). L’article est réapparu plus tard sur le site avec quelques modifications pour en atténuer la ressemblance flagrante au nôtre, mais en s’en adjugeant toujours la paternité des sources au motif déclaré que la rédaction de TelQuel a eu vent aussi de l’information.
Le jour de la parution de l’article plagié, une demande d’explications a été adressée par mail au directeur de la publication du magazine, Reda Dalil. Notre interpellation rappelait aussi le cas de l’article consacré à Meddah. Elle est restée sans réponse.
En parallèle, le directeur de la publication de TelQuel fera la promotion du travail maraudé par son média en éditorialisant sur son contenu à travers les réseaux sociaux, parlant d’une « enquête qui jette une lumière crue… ».
Mieux encore, à l’appui d’une newsletter adressée à ses lecteurs, l’appropriation de l’ouvrage du Desk sert aussi pour TelQuel à sa monétisation sur la base du mensonge : « Cette semaine, nous vous emmenons dans le monde de la livraison rapide (…) Vous pouvez soutenir les efforts de nos journalistes en souscrivant à une de nos offres d’abonnement. Abonnez-vous pour soutenir les efforts de notre rédaction et une production journalistique originale ».
Le 9 novembre, TelQuel est de nouveau alerté par Le Desk de manière informelle. Reda Dalil prend alors contact avec le directeur de la publication du Desk affirmant qu’il n’utilisait pas sa messagerie professionnelle pour expliquer son silence. Soit. Il reconnait aussi que le sujet a suscité un vif débat au sein de sa rédaction en présentant « ses plus plates excuses » pour l’appropriation qui en a été faite et se justifiant par une désorganisation en interne due à un déficit en ressources humaines qui l’expose aux manquements de ses journalistes. Il promet surtout que « cela ne se répétera pas » et qu’il « sensibilisera » ses équipes.
De son côté, et suite à cet échange, le conseiller de la rédaction de TelQuel qui a eu à gérer l’édition de l’article contentieux réagira autrement et devant témoins en parlant du Desk : « Qu’ils fassent ce qu’ils veulent ! ».
Malgré cela, Le Desk avait alors décidé de tourner la page sur cette regrettable affaire prenant compte des promesses de Reda Dalil.
Mais le directeur de la publication de TelQuel n’entreprendra rien de vertueux dans ce sens, ni même ne proposera dans son acte de contrition d’amender la version de l’article en ligne. Au contraire : sur Instagram d’abord avec sa promotion par une interview d’un livreur filmée à postériori de la publication du dossier de TelQuel pour en donner de l’épaisseur et davantage de visibilité sur le net et enfin, pour enfoncer le clou, avec la diffusion d’un podcast qui donne opportunément la parole au communicant de Glovo.
TelQuel, qui n’avait pas réussi à contacter Glovo comme l’a fait Le Desk (autre signe d’un travail fait dans la précipitation pourtant resté en stand-by au moins deux semaines avant publication), lui offre ainsi une tribune comme droit de réponse tardif. L’animateur du podcast l’enrobe pour qualifier l’article de TelQuel d’« enquête fouillée et sans précédent qui a fait réagir le directeur de la communication de Glovo ». L’appropriation continue même lorsqu’il s’agit de corriger une faille professionnelle consécutive à un traitement biaisé car non sourcé, mais passablement copié.
Au-delà du respect des droits d’auteur sur lequel la rédaction de TelQuel s’est assise, cette manière de faire fi de toute bienséance confraternelle est intolérable. Faut-il rappeler que la production journalistique de fond a de la valeur et un coût ayant nécessité dans ce cas pour Le Desk la collecte et l’interprétation de données recueillies de sources légales payantes, un temps long et fastidieux d’enquête et de reportage et un travail de mise en forme infographique minutieux ?
Les lecteurs de TelQuel priés de s’abonner pour découvrir cette fausse « enquête inédite » doivent donc savoir qu’ils sont en réalité appelés à souscrire à une entreprise méthodique et délibérée de falsification et de recel.
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