S'abonner
Se connecter
logo du site ledesk
En clair
Toutes les réponses aux questions essentielles de l’actu

Connectez-vous

Mot de passe oublié ?

Abonnez-vous !

Découvrez l'offre de lancement du Desk

60 DH
1 mois
Découvrir les offres
09.11.2023 à 02 H 58 • Mis à jour le 10.11.2023 à 09 H 08 • Temps de lecture : 10 minutes
Par

n°916.Syndicats vs. Chakib Benmoussa: aux origines d’un blocage

Grèves, protestations, marches nationales… rien ne va plus dans le secteur de l’Éducation nationale. Le nouveau statut unifié ayant déclenché une « vague de colère » parmi les enseignants, et la tutelle s’étant retirée, le secteur est aujourd’hui paralysé alors que les discussions se poursuivent sous la supervision du chef du gouvernement, himself, mais dans un contexte de « manque de confiance ». Comment en est-on arrivé là ?

Après deux ans de négociations continues, la tension dans le secteur de l'Éducation nationale ne semble pas descendre d'un iota. Le statut unifié des enseignants, autrefois considéré comme la solution potentielle pour apaiser cette tension, a eu l'effet inverse. Il a suscité un sentiment de « déception » et d’ « amertume » parmi les syndicats qui ont participé aux pourparlers du dialogue social sectoriel. De plus, il a déclenché une « vague de colère  » parmi les enseignants, ces derniers considérant que le texte adopté « en catimini » par le ministère ne répond pas à leurs aspirations. En outre, ils estiment qu'il entérine les « injustices » dont ils sont victimes.


Contrariés, les enseignants multiplient les formes de protestation, marquant ainsi leur quatrième semaine de grève. Avec une rentrée scolaire infructueuse, où plus de sept millions d’élèves sont privés de cours, une trentaine de coordinations et de syndicats sont résolus à poursuivre leur « lutte pour la justice et la dignité », jusqu'à ce que leurs revendications soient satisfaites. Or, la situation risque de perdurer alors que les discussions se poursuivent en l'absence de la tutelle, dans un climat de « manque total de confiance  ». À l'origine de cette crise se trouve une combinaison complexe de problèmes internes à la profession enseignante et de multiples échecs dans le dialogue social.


Un semblant de « trahison »

Après plusieurs mois de négociations et de moultes réunions et séances de discussion, le projet de décret 2.23.819 relatif au statut unifié des fonctionnaires du département de l'Éducation nationale a enfin été présenté, le 27 septembre dernier, par Chakib Benmoussa, ministre de l’Éducation nationale, du préscolaire et des Sports au Conseil du gouvernement. Il a été approuvé, puis soumis à la commission de l'enseignement, de la culture et de la communication à la Chambre des représentants. Cependant, cette présentation a déclenché un soulèvement parmi les enseignants : « le texte a été présenté avant que nous nous mettons d’accord dessus  », ont protesté les quatre syndicats impliqués dans les pourparlers avec le ministère.


Le 22 septembre dernier, ces syndicats ont envoyé une lettre à Benmoussa dans laquelle ils ont présenté 19 amendements. Cependant, ces propositions ont été « complètement ignorées  », explique au Desk une source au syndicat national de l'enseignement (SNE/CDT), soulignant que « Benmoussa nous avait assuré tout au long des discussions que nos amendements seraient pris en considération. Il avait manifesté son accord sur plusieurs points, mais ils ont été finalement omis  ».


D’après ce représentant syndical, la crise actuelle du secteur est directement imputable à la manière dont a été géré ce dossier. « Nous avons le sentiment que le dialogue mené pendant plus d’une année n’était que formel. Le ministre a finalement maintenu un texte qui lui semblait bon, ignorant les revendications des enseignants », tonne encore cet interlocuteur. Pour étayer son point de vue, il cite une longue liste de revendications présentées par les différents syndicats, mais qui n’ont pas été prises en compte dans la version finale du statut. Parmi ces revendications figuraient l'annulation de la dualité des statuts entre les fonctionnaires du ministère et les cadres des académies, l'augmentation des salaires, les indemnités supplémentaires, l'accélération des avancements de carrière, ainsi que la modification du système de sanctions.


« Le soulèvement que nous constatons aujourd’hui reflète la colère de la majorité des enseignants qui ont été surpris par un statut qui ne répond pas à leurs aspirations  », affirme notre source au SNE. Celle-ci ajoute : « alors que d’autres catégories de fonctionnaires ont vu leurs indemnisations augmenter, le statut réserve 0 dirham aux enseignants et vient leur ajouter des sanctions  ». Un désaccord qui aurait pu être géré autrement, concède le syndicaliste.


D’après lui, il est impossible d’élaborer un statut « parfait » qui répond à toutes les attentes. « En tant que syndicats, nous étions prêts à faire ce travail et à défendre le statut », fait-t-il savoir. Or, s’étant sentis « trahis  », ceux-ci considèrent aujourd’hui que « puisque le ministère considère que c’est son statut, c’est à lui de le défendre ». Une tâche qu’il n’arrive plus à assurer aujourd’hui, les syndicats ayant quitté la table du dialogue et les récentes sorties médiatiques du ministre n’ayant qu’attisé davantage la colère des enseignants.

 

Un résultat « prévisible  »

Pour Abderrazak El Idrissi, vice-secrétaire général de la Fédération nationale de l'enseignement (FNE), syndicat qui a boycotté l’accord du 14 janvier 2023, la situation actuelle était prévisible. Cet accord, devant constituer le fondement du nouveau statut ayant échoué à satisfaire les revendications des enseignants, le syndicaliste estime qu’il « était évident que les discussions n’aboutiraient pas ».


Ce syndicaliste reproche à la tutelle son approche « malsaine », qui a commencé par « l’attitude évasive du ministre à chaque fois qu’un problème sérieux est évoqué » et a fini par limiter les négociations aux quatre syndicats ayant signé l’accord, « refusant d’entendre nos revendications, alors que nous refusions juste l’accord et nous n’avions pas quitté le dialogue ». Cependant, il estime que les syndicats ayant participé à ces négociations sont aussi responsables de la situation actuelle du secteur.


Lors des premiers rounds des discussions, ceux-ci étaient d’accord pour faire des concessions, et exprimaient leur accord avec le ministère, nous confie Idrissi. Cette attitude positive s’est maintenue alors que les négociations avançaient. « Ils qualifiaient continuellement le statut en cours d’élaboration d’importante et majeure réalisation voire de victoire pour le mouvement syndical national  », ajoute-t-il.  Cependant, une fois le statut sorti, et face aux réactions des enseignants, « ils ont reculé et commencé à blâmer le ministère en disant que le texte tel qu’il a été adopté a été présenté à leur insu », tonne-t-il.


En plus d’estimer que les syndicats en question n’ont pas pleinement joué leur rôle afin d’empêcher un tel blocage, Idrissi pointe du doigt une autre défaillance qui a entaché ce processus : le manque de transparence. « La tutelle a exigé l’omerta dès le début des négociations. Les discussions ont continué selon ce principe, qui a empêché le public de connaître les détails de la révision et privant les parties prenantes au dialogue du retour aussi bien des fonctionnaires que de l’opinion publique », étaye notre interlocuteur.

 

Fuite en avant de la tutelle ?

Le dialogue social avec la tutelle ayant « échoué », et la colère des enseignants ne faisant qu’augmenter, le dossier a été récupéré par le Chef du gouvernement. « Nous avons refusé de continuer le dialogue avec Benmoussa, car nous avons perdu confiance en lui  », indique notre source au SNE.


En plus de la question de la confiance, un autre élément justifie que le dialogue soit repris, sous la supervision de Aziz Akhannouch, par Younes Sekkouri, ministre de l’emploi : les syndicats estiment que cela serait « plus pratique ».  « A chaque fois que nos amendements étaient ignorés, le ministre justifiait cela en disant qu’ils n’ont pas été acceptés par la primature, le secrétariat du gouvernement ou autre département », se plaint la même source, avant de lancer d’un ton ironique : « peut-être maintenant on gagnera un peu de temps, après plus d’une année perdue  ».


Même son de cloche chez le vice-secrétaire général de la FNE, qui considère que « nous étions dès le début face à un ministre qui nous dit de se diriger avec le gouvernement sur tel ou tel point. Maintenant, nous allons le faire  ». Cet interlocuteur se désole toutefois que le ministre « n’ait pas assuré » la mission qu’il devait mener : « l’objectif du dialogue social sectoriel est de rapprocher les points de vue, afin que la tutelle et les partenaires sociaux défendent un même dossier. C’est à la tutelle de convaincre le gouvernement ».


Accusé par les syndicats de se lancer dans « une fuite en avant » en proposant un statut qui a mené à un blocage et une paralysie du secteur, le département de Benmoussa continue à affirmer que ce texte a été élaboré selon une approche participative, qui a tenu compte des revendications de l’ensemble des partenaires sociaux. « Le ministre a mené une série de consultations. Toutes les revendications ont été écoutées et discutées et les syndicats ont eu l’opportunité de présenter leurs propositions et amendements  », rétorque une source autorisée au sein du ministère, sollicitée par nos soins.


Le statut présenté par la tutelle s’est fondé sur l’accord passé avec les syndicats en début d’année et est le fruit de ces longues tractations. Pour soutenir davantage cette déclaration, notre source lance un défi : « il suffit de comparer les deux textes pour en conclure qu’aucun des points figurant dans l’accord n’a été omis ». Cela, poursuit-elle, s’applique sur l’ensemble des revendications, même celles qui ne relèvent pas directement du ressort du ministère, comme l’augmentation des salaires qui devrait être traitée dans le cadre du dialogue social général. « Pour mettre en œuvre la réforme en valorisant le statut des enseignants, notamment sur le volet financier, le ministère avec ses partenaires sociaux ont introduit plusieurs leviers : une prime annuelle au profit de 220 000 enseignants répartis sur 7 000 écoles, un tiers des effectifs vont bénéficier du hors échelle soit une augmentation mensuelle nette de 2 700 dirhams pour 80 000 enseignants », rappelle-t-elle


L’opposition et le refus catégorique par lequel a été accueilli le décret seraient, selon cette même source, injustifiés, d’autant plus que des points revendiqués par les enseignants font actuellement l’objet de contestation, comme c’est la cas des articles portant sur les sanctions. « Définir de manière plus claire des sanctions auxquels peuvent être soumis les enseignants était une revendication légitime portée par les syndicats, afin que celles-ci soient plus en conformité avec les spécificités du métier et aussi pour réduire les risques d’arbitraire », illustre notre source.


S’agissant des dossiers présentés en septembre dernier, notre source ajoute que ceux-ci ne figuraient pas dans ledit accord.  Pourtant, le ministère est resté ouvert à toutes les propositions, et attaché à la poursuite des négociations. « La position du ministère est que le statut est perfectible, mais ce texte constitue un levier de la mise en œuvre de la réforme, et donc il était important qu’il voit le jour », étaye-t-elle.

Une sortie de l’impasse encore lointaine

Ce contexte de réforme rend justement plus pressante la résolution du dossier des enseignants. « Le ministère a placé la valorisation de ses ressources humaines au centre des priorités de sa feuille de route », souligne notre source. Cependant, regrette-t-elle, les grèves en cours, non seulement empêchent des millions d’élèves, « dont la tutelle a l’obligation de protéger l’intérêt  suprême », de rejoindre leurs classes, mais retarde la mise en œuvre de la réforme de l’Éducation nationale.


Aujourd’hui, la sortie de l’impasse dépend de l’élaboration d’un statut qui soit accepté par les enseignants. Cependant, les échos recueillis par Le Desk auprès de sources syndicales sont mitigés. En principe, les parties se sont mises d’accord sur la nécessité de réviser le statut présenté par Benmoussa, alors que les syndicats et Sekkouri se sont entendus sur le mécanisme de cette révision.


Cette révision risque toutefois d’être confrontée aux même problèmes. Les syndicats demeurent attachés à leur revendications portant notamment sur l’amendement des articles 1 et 2 du statut, afin d’accorder à tous les fonctionnaires le même statut, la révision des tâches assignées aux enseignants en les limitant strictement relevant du métier d’enseignant, la révision des sanctions et l’augmentation des salaires.


Au-delà des revendications, un autre facteur pourrait peser sur le déroulement de ces nouvelles négociations : le manque de confiance. « Nous craignons que ces négociations soient aussi juste une formalité. Tout laisse penser qu’il n’existe pas une véritable volonté politique pour résoudre les problèmes des enseignants », conclut le vice-secrétaire général de la FNE.

©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.