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30.03.2020 à 14 H 42 • Mis à jour le 30.03.2020 à 19 H 09 • Temps de lecture : 12 minutes
Par

Covid-19: Gérer l’urgence et construire l’avenir

TRIBUNE Le plus grand risque pour notre pays sera de reproduire les schémas du passé, avertit l’économiste et membre de la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement, Mohammed Benmoussa. Pour lui, au lendemain de la crise du coronavirus, prioriser l’humain sera essentiel autant que réformer structurellement notre économie et déployer de véritables politiques publiques de redistribution


Comme l’ensemble des pays de la planète, le Maroc connait à l’heure actuelle, et probablement pour un long moment encore qui se comptera en semaines, voire en mois, une crise majeure de nature sanitaire. Il s’agit probablement de la crise la plus grave de l’histoire de notre pays depuis celle du protectorat au début du siècle dernier. Cette crise du coronavirus va laisser des traces indélébiles dans notre société, dans les relations sociales et humaines, dans nos relations avec l’État et, ce qui est fortement souhaitable, dans l’orientation de nos politiques publiques.



Les deux urgences prioritaires


Aujourd’hui, la priorité absolue qui doit mobiliser tous les Marocains est de sauver des vies humaines. Pour cela, nous devons nous protéger et protéger nos enfants, nos familles, nos proches, nos voisins et nos compatriotes en respectant à la lettre les mesures de confinement décidées par les pouvoirs publics. C’est en observant les comportements-barrière que nous protégerons la santé de tous dans un esprit de civisme et de solidarité. Et c’est à travers un tel comportement responsable que le travail du corps médical sera facilité. Une profession qui fait preuve d’abnégation et de dévouement en montant au front de cette guerre sanitaire avec peu de moyens et beaucoup de courage. Un personnel de santé du secteur public et privé qui se bat au quotidien, parfois au prix de sa propre santé, et donc de sa propre vie, pour en sauver d’autres. La nation est redevable à l’égard des médecins, infirmiers, pharmaciens et de l’ensemble du personnel médical et paramédical, à qui reconnaissance et gratitude sont dues. Comme elle est redevable à l’égard des forces de l’ordre qui assurent sa sécurité et garantissent sa quiétude.


L’autre urgence prioritaire est de sauver l’économie nationale et d’éviter les faillites en série ou les licenciements massifs. Certains pays européens estiment leur perte de valeur ajoutée en période de confinement autour de 50 % du PIB. Ce qui équivaudrait pour le cas du Maroc à une perte de l’ordre de 100 milliards de dirhams si le confinement est levé le 20 avril prochain, et davantage si par malheur l’état d’urgence sanitaire devait être prolongé. Un grand nombre de secteurs seront affectés par les pertes de chiffre d’affaires : hôtels, restaurants, cafés, loisirs, commerces, BTP, transports, petits métiers informels, employés journaliers … Le fonds de soutien lancé à l’initiative de Sa Majesté le Roi, dont l’enveloppe globale avoisine les 33 milliards de dirhams au moment où ces lignes sont écrites, sera d’un grand secours pour notre économie, pour les petites et moyennes entreprises, les entrepreneurs individuels, les petits métiers de l’informel et pour tous ceux dont les revenus sont limités, fragiles ou précaires. Tous les grands donateurs du fonds doivent être bien entendu remerciés, comme tous les modestes citoyens qui font preuve de solidarité à concurrence de leurs capacités financières, fussent-elles limitées. Mais par-delà cet élan de générosité, l’État doit exhorter les patrons des grandes entreprises publiques et privées et des banques à faire preuve de responsabilité, de solidarité et d’empathie dans leurs relations avec les TPME, en les soutenant financièrement, en dénouant sans plus tarder tous les arriérés de règlement et les factures en souffrance. Les grands opérateurs économiques doivent accélérer l’attribution de nouveaux marchés et le lancement de nouveaux projets pour que la machine économique de notre pays ne s’arrête pas de fonctionner.


L’État au cœur de la gestion de crise


La crise planétaire du Covid-19 rappelle avec fracas, au Maroc comme sous d’autres cieux, l’échec des politiques néolibérales enfantées par le consensus de Washington, pour consacrer le rôle de l’État-stratège et de l’État-providence quand gronde la tempête. L’État marocain doit assumer ses propres responsabilités en mettant en œuvre sans plus tarder un arsenal autrement plus puissant que ce qui a été annoncé pour l’heure, s’il ne veut pas donner l’impression de construire une digue de quelques dizaines de centimètres pour arrêter une vague de tsunami d’une vingtaine de mètres de hauteur.


Outre le report du moratoire de paiement des échéances bancaires, fiscales et sociales de juin à septembre 2020 au minimum et l’augmentation de l’indemnité mensuelle aux employés déclarés ou non à la CNSS et aux petits métiers du secteur informel, il est fortement souhaitable de suspendre le versement des loyers, des factures d'eau et d’électricité pour les PME en difficulté et d’accorder une aide directe et significative sous forme de subvention non remboursable à toutes les petites entreprises, les autoentrepreneurs et les microentreprises, ainsi qu’aux ménages vulnérables et à la classe moyenne. L’État doit envisager d’accorder des remises d’impôts directs et des dégrèvements aux entreprises en contrepartie de la sauvegarde des emplois. Les lignes de crédit additionnelles de fonctionnement qui seront accordées dans le cadre du produit Damane Oxygène garanti par la CCG, doivent porter sur un montant pouvant aller jusqu’à 6 mois de charges courantes (et non pas 3 mois seulement) et la possibilité de transformer l’échéance de remboursement in fine de décembre 2020 en crédit à moyen terme sur 5 ans doit être un droit garanti pour les TPME, et certainement pas une option laissée à la discrétion des banques. Bien évidemment, un moratoire à l’application des règles macro-prudentielles et micro-prudentielles de Bâle III doit être décidé par Bank al Maghrib au profit des TPME. La « surfacturation » de taux rémunérant les coûts de gestion, du risque et des fonds propres, fixée à 200 points de base en plus du taux directeur de la banque centrale, doit être réduite à 50 ou 75 points de base maximum  ces crédits n’ayant pas vocation à générer des marges supplémentaires pour les banques mais à éviter le collapse de l’économie nationale, d’autant plus qu’ils sont garantis à hauteur de 95 % par la CCG. L’État, les entreprises publiques et les collectivités locales ne doivent pas appliquer de pénalités de retard sur les marchés publics, la crise sanitaire du Covid-19 devant être considérée comme étant un cas de force majeure. Enfin, il convient d’élargir le périmètre d’action du fonds dédié à la crise en envisageant son intervention dans le cadre d’une recapitalisation d’État pour les entreprises publiques en grandes difficultés ou d’une nationalisation partielle et provisoire de certaines entreprises privées pour les aider à passer le cap de la crise liée au coronavirus.



De la grosse artillerie pour sauver les économies

 

La logique du confinement étouffe durablement l’économie des pays. C’est le prix à payer pour stopper la propagation du virus et sauver des vies humaines. Des conditions de crise aussi exceptionnelles, bien plus gravissimes que celles de la crise des subprimes de 2007-2008 et assez similaires en intensité à celles de la Grande Dépression de 1929, requièrent des remèdes tout aussi exceptionnels. Le G20 va ainsi injecter 5.000 milliards de dollars dans l’économie mondiale pour passer le cap de la crise.


Dans l’Euroland, toutes les garanties de sauvegarde prévues par les traités ont été actionnées. La Commission européenne a débloqué 30 milliards d’euros de budget européen et incité les États membres à mettre en œuvre des plans de relance nationaux mais coordonnés dédiés à la crise. La Banque centrale européenne a annoncé un programme de rachat d’obligations d’État et privées de 750 milliards d’euros, s’ajoutant aux mesures précédentes et faisant atteindre le total de ses interventions en quantitative easing à plus de 1.100 milliards sur l’année. Elle a décidé aussi de s'affranchir de la règle des 33 % qui veut que la BCE n'achète jamais plus d'un tiers de la dette d'un État (et devienne ainsi un créancier principal). L’institut d’émission européen a également modifié en urgence la règle d’or sur laquelle repose la sécurité du système bancaire, en assouplissant les exigences de fonds propres (une couche importante de capitaux et des coussins de sécurité) imposées aux banques. Cette décision d’assouplissement des règles prudentielles de Bâle III au niveau européen permettra de libérer 2,5 % de capital des banques, soit un allègement de fonds propres de 120 milliards d’euros qui seront désormais disponibles pour absorber des pertes sur les prêts ou financer jusqu’à 1.800 milliards d’euros de crédits supplémentaires. La BCE va en outre accepter que des prêts en souffrance, mais bénéficiant de garanties publiques, ne soient plus classés comme des crédits douteux, ce qui minimisera les pertes des banques et réduira leur besoins en fonds propres.


Aux États-Unis, un plan de sauvetage massif de l’économie dénommé « CARES Act » va s’adresser aux industries, aux petites entreprises et aux citoyens affectés par la pandémie à travers une injection massive de liquidités. Doté d’une enveloppe globale de 2.000 milliards de dollars, ce plan prévoit 500 milliards pour les entreprises industrielles les plus affectées via des prêts ou des subventions, 290 milliards pour les aides directes aux citoyens, qui pourront atteindre 3.000 dollars par foyer (jusqu'à 1.200 dollars par adulte et 500 dollars par enfant pour les ménages gagnant moins de 150.000 dollars par an), et 350 milliards de dollars pour les prêts aux petites entreprises. Seront également débloqués 250 milliards pour les mesures d'aides aux chômeurs, 100 milliards pour les hôpitaux et le système de santé ainsi que des fonds supplémentaires pour les autres besoins de santé. Seront également accordés 25 milliards de subventions et 29 milliards de crédits aux compagnies aériennes transportant des passagers, 8 milliards pour le fret aérien et les prestataires de service en aéroport, dont les services de restauration, et 10 milliards pour les aéroports. Enfin,150 milliards de dollars sont programmés pour aider les États fédéraux et les autorités locales à combattre la pandémie du Covid-19.


Changer de logiciel économique et de modèle social

 

Rien ne sera plus comme avant au Maroc au sortir de la crise du coronavirus. Le débat sur le chemin que doit emprunter notre pays aboutira forcément à une remise en cause du paradigme actuel des politiques publiques, à une transformation du logiciel économique et du modèle social. L’histoire millénaire nous enseigne que les pandémies majeures, quel que soit le lieu où elles se produisent, se sont toujours accompagnées de profondes transformations politiques, sociétales et culturelles. L’autorité de l’État est remise en cause lorsque les tragédies sanitaires emportent avec elles d’innombrables personnes et, inversement, est renforcé dans le cas contraire. L’exemplarité et la fermeté de la réaction des autorités publiques marocaines à travers la décision précoce de fermeture des frontières et de confinement des citoyens, sont de nature à renforcer les institutions politiques du Royaume et à consolider l’autorité morale du chef de l’État.


Mais l’enjeu principal sera pour nous Marocains d’une autre nature et d’une autre ampleur, dans les domaines de l’économique et du social, car lorsque le ciel s’éclaircira de nouveau, lorsque le soleil rayonnera, lorsque le confinement s’arrêtera, lorsque les jeunes reprendront le chemin des écoles, des lycées et des universités, lorsque les citoyens, les chefs d’entreprises, les professions libérales, les salariés et les fonctionnaires vaqueront de nouveau à leurs obligations professionnelles, lorsque les décideurs agiront, lorsque les gouvernants produiront des lois de finances, lorsque les patrons des grands groupes et des banques décideront du sort de leurs sous-traitants et de leurs clients, lorsque ... À ce moment-là, le plus grand risque pour notre pays sera de reproduire les schémas du passé. Nous devrons transformer notre culture comportementale et prioriser l’humain dans notre échelle de valeurs et dans nos processus de décision. Nous devrons transformer structurellement notre économie pour produire davantage de richesses matérielles et nous devrons déployer des politiques publiques de redistribution, notamment à caractère fiscal, infiniment plus ambitieuses. Nous devrons reconsidérer la hiérarchie des choix d’investissements publics et hisser la santé, l’éducation, la culture et les sports au premier rang des priorités de l’État. Des secteurs comme l’alimentation, l’écologie, l’énergie, l’information ou les loisirs doivent devenir dominants dans l’activité économique de notre pays. Nos pratiques bancaires doivent devenir plus éthiques et plus empathiques et nous devrons nous appuyer sur une banque publique d’investissement pour faire éclore de nouveaux entrepreneurs marocains et soutenir les filières d’avenir dans l’industrie, les exportations, le climat, le digital, les technologies NBIC... Nous devrons imaginer de nouvelles sources de financement pour nos politiques publiques en menant rapidement une réforme fiscale de grande envergure et en déployant des outils financiers innovants comme les emprunts perpétuels ou la conversion de la dette du Trésor en investissements directs.


Le Maroc de demain, celui de nos enfants, se construit aujourd’hui sous nos yeux. Nous devons être acteurs de cette nouvelle dynamique et y participer avec conviction et confiance. Ce Maroc sera celui des droits effectifs et non des déclamations principielles, de la justice sociale et de l’équité territoriale, de la solidarité des citoyens, de la coopération inter-entreprises et de l’exemplarité des gouvernants. Nul autre voie pour y parvenir que celle de l’union sacrée. Une lumière d’espoir qui doit nous conduire à nous unir derrière notre Roi, nos institutions et nos valeurs pour construire ensemble « Le Maroc que nous voulons ».


Mohammed Benmoussa est économiste, membre de la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement, vice-président du mouvement Damir

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