Située au sud de l'île de Chypre, Limassol était davantage connue par son château médiéval. Mais à présent, ses photos type cartes postales qu'on voit un peu partout montrent quant à elles son front de mer défiguré par des immeubles imposants, donnant directement sur la plage. C'est que loin de fléchir à l'exotisme propre aux villes méditerranéennes et de se conformer à sa réputation de carrefour des civilisations, la ville multi-centenaire est depuis plusieurs années la Mecque de l'offshore. C'est dans cette cité de 300 000 habitants que l'argent du cercle russe de Vladimir Poutine transite. Blanchiment, structures occultes pour dissimuler leurs bénéficiaires effectifs, tout y est proposé. Le refuge des oligarques russes, face aux sanctions des pays occidentaux, c’est ici.
Aujourd’hui, une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), Paper Trail Media et les partenaires de TK Media, révèle comment l'état insulaire, membre de l'Union européenne, joue un rôle dans le transfert d'argent sale.
Plus de 3,6 millions de documents (1,3 téraoctet) ont été partagés avec 69 médias dont Le Desk, membre associé de l’ICIJ.
De cette masse, près de 1 250 documents discernés par nos soins nous ont ainsi permis ainsi de tirer le fil d’une histoire aussi rocambolesque qu’intrigante. Elle est faite de jeux de hasard, de machines à sous, de remontées de dividendes, de deal avec le fisc marocain, de soupçons de corruption, mais aussi et surtout, de discrétion absolue.
S’il n’est pas question d’individus de nationalité russe comme pour l’essentiel des « Cyprus Confidential », on retrouve plutôt au centre de notre récit des Israéliens. De discrets israéliens qui, au début des années 2000, et alors que le Maroc n’avait pas encore repris ses relations avec l’Etat hébreu, veulent investir dans des casinos du royaume. Ils en identifient deux : à Tanger et Agadir. Au moins un des projets, après sa reprise par l’Espagnol Cirsa, aujourd’hui dirigé par Antonio Hostench, sera entaché d’une bien mystérieuse opération, objet d’un litige sans fin.
PARTIE I
Taxes et impôts : les astuces de Deloitte Chypre
Tout commence en 2004. Le 27 juillet de cette année, un certain Bari Davison adresse un mail à Demetris Ioannides. Davison est un dirigeant de Red Sea Group, holding israélienne destinée au développement et à l’exploitation de biens immobiliers résidentiels et hôteliers, « d’un standing particulièrement élevé », peut-on lire sur son site internet. Fondé au milieu des années 80 par Eli Papouchado, le groupe israélien est dirigé de facto par Yoav Papouchado, avec une présence en Israël, à Chypre, en Croatie, en Roumanie, en Allemagne ou encore aux Etats-Unis. La holding détient notamment les enseignes hôtelières Park Plaza.
De son côté, Demetris Ioannides est à l'époque à la tête de la représentation chypriote du cabinet Deloitte. Il fondera et dirigera la firme locale du spécialiste anglo-saxon du conseil pendant au moins 17 ans, de 1988 jusqu'à 2005. Il créera ensuite le cabinet Meritservus, qui se décrit comme un fournisseur de services privilégié de Deloitte. Sa centaine d’employés procurent des services fiscaux internationaux, fiduciaires, comptables et financiers.
En avril 2023, Ioannnides figurait sur la liste des personnalités sanctionnées par le Royaume-Uni pour leur proximité avec des oligarques russes. On lui reprochait d'être à l'origine de structures offshores utilisées par Roman Abramovitch pour dissimuler pas moins de 863 millions d'euros, quelques temps avant son bannissement au début du conflit entre la Russie et l'Ukraine.
Nos partenaires de l’enquête mondiale Cyprus Confidential révèlent également plusieurs éléments à son propos. Son cabinet, Meritservus, objet d’un leak ayant permis cette enquête, est aujourd’hui également pointé du doigt pour être régulièrement au service des oligarques russes.
Un premier contact pour de bons conseils
En ce mardi 27 juillet 2004, vers 18 heures, heure locale, Davidson adresse donc une série de demandes à Ioannides. Il précise que son employeur, Red Sea Group, envisage d’étendre l’activité « de sociétés holding à Chypre ».
Cinq questions précises suivront, s’interrogeant en substance sur la possibilité de faire migrer une société maltaise à Chypre, tout en soulignant que cette holding de droit maltais détient elle-même une holding suédoise. « Y a-t-il des conséquences fiscales lorsque la société suédoise distribue des dividendes à la holding chypriote ? », peut-on lire de l’échange de mails que Le Desk s’est procuré dans le cadre de l’enquête mondiale Cyprus Confidential.
Discrétion oblige, la nature de l’investissement, « en dehors de Chypre », n’est pas, dans un premier temps, précisée.
La réponse ne se fera pas attendre. Trois jours plus tard, Ioannides fait savoir que cette relocalisation de Malte vers Chypre n’est pas possible. En invoquant la directive européenne sur les filiales-mères, les conseils de Red Sea Group préconisent la création d’une société chypriote, rappelant que chaque dividende de la structure suédoise peut être payé sans retenue à la source à Chypre, et sans oublier l’exonération d’impôts dès lors que plus de 1 % du capital est détenu depuis l’île en question.
Ainsi informé, Bari Davidson reviendra à la charge, détaillant les ambitions de Red Sea Group, schémas à l’appui. Ceux-ci montrent, à travers des schémas que nous reproduisons dans ce qui suit, les montages choisis pour deux investissements au Maroc : l’un à Agadir et l’autre à Tanger. Les échanges qui suivront montreront qu’il s’agissait de deux maisons de jeux, le casino de l’Atlantic Palace d’Agadir, ainsi que le casino de Tanger, relevant du Mövenpick Hôtel & Casino Malabata.
Ce sont ces explications fournies par Ioannides Demetris et de ses équipes de Deloitte Chypre qui permettront aux Israéliens de Red Sea Group de racheter le casino d’Agadir et structurer leur actif à Tanger, qu’ils détenaient déjà.
Les éléments à notre disposition indiquent par ailleurs que les Papouchado ne font pas cavalier seul : Yigal Zilkha, fondateur et patron de Queenco Leisure, autre groupe spécialisé dans le divertissement, est aussi de la partie. Il est associé avec la famille Papouchado dans les deux projets.
Pour Tanger et Agadir, des montages fastidieux
Pour le casino tangérois, le management de RedSea Group précise bien qu’il le possède déjà sans pour autant fournir la date de son acquisition. Il est question de l’établissement de jeux logé au sein du Mövenpick Hotel & Casino Malabata. RedSea Group souligne qu’il souhaite revoir le montage opéré pour détenir l’établissement marocain.
Là aussi, se basant sur le montage existant, l’équipe de Deloitte Chypre propose des changements, illustrés par l’infographie ci-dessous. Les modifications apportées sur trois sociétés de participation intermédiaires qui, initialement étaient de droit maltais, et qui se voient remplacées par d’autres véhicules, cette fois-ci chypriotes.
Mais c’est la deuxième opération qui s’avère plus complexe, vu qu’il s’agit d’un nouvel investissement. Sa particularité réside dans le fait qu’il s’agira de récupérer le casino, appartenant au groupe français Partouche.
L’établissement est logé dans un lieu on ne peut plus côté de la capitale du Souss : pour cause, il est installé dans l’hôtel qui appartient, à travers le véhicule Sopadim à d’éminents membres de la famille royale marocaine : feue la princesse Lalla Malika, décédée en septembre 2021 et sœur du défunt roi Hassan II, ainsi que son époux et ses enfants. Ce sont les héritiers qui en sont désormais les propriétaires, après le décès de leur père en décembre 2022.
D’après nos informations, c’est Moulay Souleiman Cherkaoui qui tient les manettes de l’affaire, tandis que la gérance est officiellement assurée par un certain Abdellah Samaoui.
A Agadir donc, pour le schéma proposé par les conseillers de RedSea Group, on apprend que la société marocaine, Les Loisirs du Paradis, est celle qui détient le casino, et qui est à son tour contrôlée par Resort Paradise Sweden A.B en Suède, elle-même relevant de Resort Paradise Holdings B.V, basée aux Pays-Bas. Enfin, celle-ci est détenue à par une autre structure du même pays batave : Atlantic Pacific Enterprises B.V.
La demande des Israéliens est de remplacer les deux entreprises néerlandaises par une société chypriote qui représente les intérêts de deux Israéliens, en l’occurrence Yoav Papouchado et Yigal Zilkha.
Simplifié dans un premier temps, le schéma sera modifié au terme de plusieurs allers-retours pour donner au final ce qui suit. Une société marocaine intégralement détenue par une structure suédoise, avec par la suite des véhicules chypriotes qui reprennent le relais pour répartir le capital entre d'autres sociétés installées à la fois à Chypre, au Panama et aux Îles Vierges Britanniques. L'essentiel étant de faire parvenir à Papouchado et son associé Zilkha l'essentiel des dividendes.
Au mois d’août de la même année, l’affaire commence à se conclure : les Israéliens émettent un premier chèque de 154 pounds, dont une copie a été obtenue par Le Desk, pour que Meritservus Secretaries Ltd puisse entamer les démarches administratives nécessaires.
Côté RedSea Group, on est tellement satisfait de la rapidité des services de la branche chypriote de Deloitte, qu’on revient vers eux quelques mois plus tard pour leur demander de préparer un montage similaire pour un autre casino en Grèce.
On retiendra du complexe montage que nous dévoilons le nom de deux sociétés chypriotes, dont les bénéficiaires effectifs, à travers des trusts, sont toute la famille Papouchado et ses descendants, mais aussi Yigal Zilkha. Leurs noms : Navrilia Holdings Limited (Papouchado) et Helpsol Limited (Zilkha). Ce sont ces deux véhicules qu’on retrouvera au cœur d’une autre affaire, survenue plus d’une décennie plus tard, après l’achat du casino d’Agadir.
PARTIE II
Le contrôle fiscal qui tombe mal
Près de quinze ans après leur investissement, les hommes d’affaires israéliens finissent par céder leurs deux établissements marocains. Une aubaine pour eux : un groupe espagnol, spécialisé en la matière, cherche à se renforcer au Maroc.
Il s'agit de Cirsa, détenteur à l'heure actuelle de trois établissements au Maroc : ceux de Tanger et d'Agadir, mais aussi un autre implanté aussi dans la capitale du Souss : le Mirage d'Agadir. Dans son rapport annuel, Cirsa affirme détenir pas moins de 404 machines à sous et 49 tables de jeux. « Au Maroc, nous pensons être les leaders dans le secteur des jeux », s'enthousiasme l’opérateur ibère.
Papouchado et Zilkha céderont à partir de 2015 leurs actifs à Cirsa, non sans trop de difficulté, respectant pour l’essentiel toutes les procédures en vigueur.
C'est par exemple le cas de cette notification faite au Conseil de la concurrence, datée de février 2022, où on peut lire que Cirsa envisage d'acquérir des parts détenues au sein de la société gestionnaire et exploitante du casino Malabata Tanger. Le cédant n'est autre que Jano Management Limited, véhicule qu'on retrouve dans le schéma tangérois concocté par la branche chypriote de Deloitte.
En mai 2022, Cirsa prend officiellement en main le casino de Malabata, détenteur des 75 % du tour de table. « Nous sommes actuellement en négociation avec l'hôtel Mövenpick pour être renouvelé pour 10 ans supplémentaires », fait-on savoir dans le rapport annuel au titre de l’année 2022.
S’agissant du casino Atlantic Palace, l’acquisition est faite le 9 décembre 2015, en récupérant 82 % des parts dans l’établissement. « Dans le cadre de notre accord d'exploitation avec l'Atlantic Palace Hotel, qui arrive à échéance en août 2025, nous conservons tous les revenus des opérations du casino et payons à l'hôtel un loyer mensuel », ajoute Cirsa dans sa communication.
Les Israéliens, ayant cédé leurs deux hôtels à Cirsa, n’entendront plus parler de l’acheteur espagnol ? Pas vraiment.
Cauchemar espagnol
Tout se corse près de trois ans plus tard. A partir de 2018, Cirsa bombarde les Israéliens de correspondances, qu’ils adressent directement à ceux qui étaient leurs interlocuteurs lors de l’achat : Navrilia Holdings Limited mais aussi le cabinet Meritservus, objet du leak Cyprus Confidential. Le Desk dispose de la quasi-intégralité des correspondances lui permettant de reconstituer l’étrange conflit qui naîtra.
D’après les documents obtenus dans le cadre de l'enquête menée par l'ICIJ, après deux lettres restées sans réponse en 2018, Cirsa en adresse une troisième au début de l’année 2019. Le groupe expose le problème comme suit : « Nous vous avons informé que le fisc marocain procéderait à un contrôle fiscal de la société Les Loisirs du Paradis, ainsi que des éléments et montants réclamés, correspondant aux années 2014 et 2017, nous vous informons que, le 11 décembre 2018 , un protocole d'accord a été signé entre la société et l'administration générale des impôts marocain, par lequel la société était tenue de payer la somme de 18 millions de dirhams (MDH), concernant les taxes détaillées dans le protocole d'accord correspondant à la période comprise entre 2014 et 2017 ».
Autrement dit, un redressement fiscal au sujet d’années durant lesquelles, seulement en moitié, Cirsa était propriétaire. Le reste devrait donc être payé, selon le groupe espagnol, par les Israéliens.
On rajoute par ailleurs un élément quelque peu intriguant : « Au montant ci-dessus s'ajoutent les frais de justice et les frais dus aux conseils lors du contrôle, soit 2,6 MDH. Les deux montants ci-dessus, 18 MDH et 2,6 MDH, ont été intégralement payés par la société le 6 décembre, au moyen de six chèques bancaires ».
Toujours dans la même correspondance Cirsa réclame donc le paiement de 5,3 MDH, n'ayant pris en compte que les années 2014 et 2015. La société espagnole indique que Helpsol et Navrilia sont solidaires et disposent d’une dizaine de jours pour payer.
Le groupe glisse par ailleurs aussi le motif du redressement fiscal : « le non-paiement de la TVA sur la facture d'hôtel et le non-paiement des droits de timbre sur les paiements effectués en espèces ».
Pour appuyer son propos, Cirsa transmet également nombre de documents en annexe, tous consultés par nos soins. La réponse des Israéliens sera virulente.
Côté RedSea Group, on pointe, d’emblée, le premier document. En souhaitant envoyer le protocole d’accord signé avec le fisc au sujet du casino de l’hôtel Atlantic Palace, le groupe espagnol se trompe et transmet à la place un tout autre protocole d’accord, portant sur 1,5 MDH qui porte sur l’autre casino que les Espagnols détiennent, celui du Mirage d’Agadir n’ayant aucun lien avec Papouchado et Zilkha.
Le bon protocole d’accord est lui aussi transmis en second document, mais il est traduit en anglais et ne comporte aucune signature, ni cachet. Il concerne le casino de l’Atlantic Palace. Il est alors immédiatement retoqué par les conseillers des hommes d’affaires israéliens, sous prétexte de ne pas être authentifié. On peut y lire le montant de 18 MDH sur lesquels se seraient accordés Cirsa et le fisc marocain, selon l’affirmation du groupe espagnol.
S’en suivent les six chèques bancaires par lesquels Cirsa affirme avoir payé le fisc mais aussi son comptable-conseiller, le cabinet Tax Account Service. Consultés par Le Desk, un seul, de 18 MDH, est libellé au nom de la Direction générale des impôts (DGI). Il est cacheté par le comptable-conseiller de Cirsa.
Quatre autres chèques portent chacun le montant de 500 000 dirhams (DH), tandis que le cinquième est de 600 000 DH, le tout totalisant donc les 2,6 MDH. Ceux-là sont tous libellés au nom de Tax Account Service.
Tax Account Service a également produit cinq factures pour chaque chèque. Sur l’une d’un montant de 500 000 DH, la prestation fournie est intitulée « Planification fiscale et optimalisation » (comprendre optimisation, ndlr). Le même montant figure sur la seconde où il est question d’« Assistance fiscale IR sur salaire 2014 à 2017 ». Celle qui suit porte sur l’« Assistance fiscale TVA droit timbre gratuités de 2014 à 2017 », avec le même montant qui se répète, tout comme pour la quatrième facture qui précise : « Protocole d’accord DRI et négociation ». Enfin, la toute dernière, de 600 000 DH, fait mention dans sa désignation de « Mission de préparation du contrôle fiscal ». Les cinq factures ont été émises entre juin et septembre 2018.
Des tarifs fortement exagérés
Consultés par Le Desk, des professionnels du milieu de l’expertise comptable mais aussi du conseil fiscal, affirment à l’unanimité que les tarifs appliqués « sont fortement exagérés et ne représentent aucunement ceux en vigueur ». « Le maximum que nous avons pu facturer à un gros client pour ce genre de prestations n’a pas dépassé les 200 000 DH », se gausse un membre d’un cabinet de fiscalité faisant partie des Big Four, rappelant que la mission a porté sur plusieurs semaines.
Dans la réponse formelle de Navrilia, transmise à Cirsa dès février 2019, les représentants de Papouchado contestent notamment le mode de paiement et dénoncent qu'aucune preuve ne leur a été effectivement présentée quant au paiement des 18 MDH, tout comme pour les 2,6 MDH, hormis des chèques cachetés et signés par le cabinet Tax Account Service. Navrilia réclame alors des relevés bancaires. « On ne comprend pas aussi pourquoi vous nous demandez de payer les arriérés remontant à 2008, alors que dans votre lettre, vous expliquez que le contrôle fiscal n'a visé que la période 2014-2017 », ajoute Narvilia dans sa réplique de contestation.
Il est aussi également souligné le caractère exorbitant de ce qui a été facturé par Tax Account Service, et dont les Israéliens n'ont jamais entendu parler. Et enfin, il est demandé pourquoi Cirsa a procédé au paiement, et sur la base de quel avis juridique de son conseiller. S'il y en a effectivement, les Israéliens en réclament alors une copie.
PARTIE III
Pour qui les 2,6 millions de dirhams ?
Qui se cache donc derrière Tax Account Service ? Pourquoi ce cabinet irait jusqu’à facturer 2,6 MDH, un montant jugé « excessif » pour ce type de prestations entachées de soupçons ?
Le cabinet Tax Account Service est installé à Laâyoune, comme l’indiquent d’ailleurs ses références en factures. Celles-ci précisent par ailleurs que la société est détentrice d’un compte bancaire ouvert à Agadir.
D’après nos recherches, Tax Account Service n’a jamais déposé de statut et encore moins d’états de synthèse. Aucune trace de la société également sur internet. La société, à associé unique, apparaît plus comme une coquille vide.
Une annonce légale, retrouvée par nos soins, fait cependant mention de l’entreprise. Elle informe que la structure est née suite à la signature d’un acte sous-seing privé daté du 31 mai 2013. Son objet : « cabinet d’audit et de conseil en matière comptable, juridique, fiscal, social et organisationnel ». Domiciliée à Laâyoune, elle appartient à un certain Mohamed Badreddine qui en assure également la gérance.
Une officine fantôme pour des paybacks ?
Interpellé par Le Desk, l’Ordre des Experts-Comptables (OEC) précise que ni ce cabinet ni son propriétaire ne sont inscrits dans ces registres, en dépit du fait qu’il se prévaut d’exercer en tant que « cabinet d’audit » et qu’il soit opérationnel. Cependant, « les missions d’assistance et de conseil fiscal » réalisées par Mohamed Badreddine au profit de Cirsa ne nécessitent pas « à priori », selon l’OEC, une inscription préalable à son Ordre.
Selon nos investigations, Mohamed Badreddine est aussi propriétaire d’un autre cabinet d’audit. Celui-ci est installé à Agadir, et porte le nom de Taxwise Accounting Service, dénomination approchante de celle du cabinet de Laâyoune.
De son côté, Taxwise Accounting Service se présente aussi comme cabinet d’audit, tout en n’étant pas inscrit à l’Ordre. D’après des sources concordantes, la société gadirie exerce bel et bien l’activité d’audit. Nonobstant le fait que le terme « audit » est parfois utilisé de manière extensive et donc potentiellement trompeuse, l’OEC rappelle dans ce sens qu’un cabinet comptable qui exerce des activités d’audit comptable pour le compte de tiers sans être dûment inscrit à l’Ordre s’expose à « des poursuites judiciaires de la part de l’OEC pour exercice illégal de la profession ».
Joint par Le Desk, le cabinet de Badreddine sis à Agadir ne donnera pas suite à nos demandes d’interview. A l’exposé de l’objet de nos appels, une de ses collaboratrices nous précisera au terme de nos sollicitations que « M. Mohamed Badreddine est à l’étranger actuellement et n’est pas joignable ».
Nos questions au groupe espagnol sur le rôle d’assistance et d’intercession avec le fisc de Badreddine dans cette affaire sont tout aussi restées sans réponse.
Plusieurs experts sondés par Le Desk émettent cependant des hypothèses sur l’entregent qu’a pu jouer Badreddine avec le fisc. « On entend souvent parler de ça dans le domaine », nous glisse un ancien manager d’un cabinet d’audit ayant pignon sur rue à Casablanca. « Dans certains cas, certaines multinationales qui travaillent habituellement avec de grands cabinets de la place sont soudainement interpellées par des juniors. Ces cabinets, peu connus du secteur les préviennent de l’arrivée imminente d’un contrôle fiscal et affirment qu’ils sont prêts à leur prêter main forte pour résoudre le problème ». Une situation manifestement similaire à celle que nous révélons : parmi les prestations effectuées par Tax Account Service, on relève « la préparation à une mission fiscale ».
Un autre expert de la fiscalité ajoute pour sa part qu’en pratique des cabinets juniors ont « accès de manière privilégiée à l’information sur la survenue d’un contrôle fiscal, en totale collaboration avec des membres de l’administration ». Ce qui sous-entend en clair que le terrain pour des tractations illégales est de cette manière balisé par un intermédiaire contre distribution de paybacks : des rétro-commissions en somme réparties à travers un réseau de corruption.
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