On procède au déshabillage du cadavre référencé « IML-2587 ». On enlève les restes d’un pantacourt zippé, on ôte la moitié subsistante d’un tee-shirt de l’équipe de football allemande avec ses trois étoiles de champion du monde surplombant l’aigle qui figure sur l’écusson au niveau du cœur. Le défunt terroriste ne pèse plus que 72 kilos. Sans compter la cinquantaine de boulons que l’examen radiologique révèle logés dans ses reins, son estomac, son pancréas, ses intestins.
Dans la mythologie jihadiste, une odeur de musc enveloppe les frères tombés au combat. À en croire leurs compagnons d’arme, ils souriraient encore, sereins par-delà la mort. IML-2587 ne sourit pas. Sa mandibule est absente. Seules quatre dents ont survécu. L’œil droit manque. Sa « grosse joue », stigmatisée dans une note de la DGSI, n’est plus. La boîte crânienne, béante, est vidée de son contenu. Le tronc n’est pas mieux loti. La cage thoracique est détruite, la paroi abdominale a disparu, les viscères mis à nu.
Ci-gît Abdelhamid Abaaoud.
Abaaoud, espion du jihad
Ce membre de l’Amniyat (les services secrets de l’État islamique), chargé de recruter puis de coordonner les clandestins envoyés en Europe pour y commettre des attentats, vivait son jihad comme un jeu.
Abaaoud devait sa notoriété à une vidéo diffusée le 20 mars 2014 sur internet dans laquelle il apparaît au volant d’un 4×4, traînant des cadavres en direction d’une fosse commune en Syrie. Au volant, le Belge d’origine marocaine rigole : « Avant on tractait des jet-skis, des quads, des motocross, des grosses remorques remplies de bagages et de cadeaux pour aller en vacances. » Il désigne alors les corps attachés à l’arrière du véhicule : « Tu peux filmer ma nouvelle remorque ! » Trois mois plus tard, on le retrouve sur Facebook en train de poser, un pistolet en main, avec un ami converti. Il légende son selfie : « les touristes terroristes ».
Abaaoud devait son ascension au sein de l’appareil sécuritaire de la Dawla (« État » en arabe, diminutif de l'État islamique employé par les djihadistes) à son zèle et sa prodigalité. Au royaume du « plat pays », son père est un mineur métamorphosé en notable à la force du poignet sa mère désormais « très riche », « devenue snob », ne parle plus au reste de la famille, selon le témoignage d’un de ses membres. Abaaoud se retrouve propriétaire d’une maison et de plusieurs magasins, à en croire Mohamed Abrini, un de ses amis d’enfance devenu lui aussi terroriste qui estimera : « Il avait la belle vie, en vérité. » Et c’est avec cet argent familial que le petit bourgeois de Molenbeek a gravi les échelons de l’aristocratie jihadiste.
Radicalisé lors d’un séjour en prison, Abaaoud qui multipliait jusque-là les 400 coups vend son fonds de commerce hérité de son père et s’envole début 2013 pour le Cham où il sait se rendre indispensable au sein de la katibat al-Muhajireen, « la brigade des immigrés ». « Avec son argent il a acheté les armes dont ils avaient besoin », expliquera Abrini. De « simple combattant », Abdelhamid Abaaoud « monte en grade » « au fil du temps » et « devient l’émir » – pour le compte de la katibat al-Battar, la « brigade de l’épée du prophète » – de la région de Deir-ez-Zor où l’État islamique et l’armée de Bachar al-Assad se disputent un aéroport militaire. Abaaoud commande un millier de francophones, selon l’estimation d’Abrini, seulement 170, selon celle de la DGSE. Il planifie les batailles, est la cible d’un sniper adverse dont la balle ne fait que l’effleurer, avant d’être recruté par la cellule chargée des opérations extérieures au sein de l’Amniyat. La DGSE lui consacre alors une note intitulée « Abdelhamid Abaaoud, acteur clé de la menace projetée vers l’Europe » qui conclut qu’« en l’état actuel des accès et des capacités du Service, aucune action d’entrave ne peut être menée à courte échéance ». On est le 9 septembre 2015.
Deux mois et quatre jours plus tard, le 13-Novembre, un badaud filme sur son téléphone portable un homme vêtu de noir et chaussé d’orange en train de fusiller « sans précipitation » les clients de la Belle Équipe, rue de Charonne. À sa cousine et une amie de celle-ci, venues à sa rencontre lors de la cavale qui s’ensuit, Abaaoud fanfaronne – « Les terrasses, c’était moi ! » – et revendique la bagatelle de dix attentats réussis.
Son odyssée macabre s’achève le 18 novembre dans le bruit et la fureur lors d’un assaut mal maîtrisé du RAID au troisième étage d’un immeuble délabré à Saint-Denis. Le corps du petit bourgeois de Molenbeek défiguré et éventré repose dans un salon au « design moyen-oriental » tandis que sa cousine, qu'il a entraînée dans sa chute, étouffe sous les décombres, des boulons mal placés dans le corps.
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