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01.12.2024 à 22 H 32 • Mis à jour le 01.12.2024 à 22 H 32 • Temps de lecture : 28 minutes
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Fès, histoire d’une résurrection

PATRIMOINE. Dans quelques régions du monde, Fès et le Maroc se confondent. C’est dire la place qu’occupe l’ancienne capitale impériale dans l’Histoire du royaume. Centre politique, religieux et scientifique incontesté jusqu’au début du XXe siècle, la ville et sa médina plus que millénaire s’est offerte récemment un miraculeux bain de jouvence. L’occasion de redécouvrir les plus précieux joyaux d’une couronne qui brille de nouveaux de mille feux

Les touristes font sagement la queue pour se procurer un ticket d’entrée, sésame pour admirer les splendeurs de la médersa Bou Inania, au cœur de la médina historique de Fès. Une fois à l’intérieur du majestueux patio tapissé de dalles marbrées, les regards admirateurs se tournent vers les façades finement ornées de cet édifice spectaculaire.


La construction des médersas est confiée aux meilleurs artisans de la ville. Celle de la Bou Inania en est probablement le plus illustre exemple. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Ils n’ont peut-être pas aperçu un discret groupe d’étudiants, accroupis dans un coin de la cour, derrière un ruban rouge et blanc. Studieux, ils tiennent un carnet à la main et sont attentifs aux paroles de leur encadrant. Juan Carlos Bermejo, Professeur à l’Académie des Arts Traditionnels de Casablanca accepte, avec le sourire, de nous expliquer les raisons de la sobre présence de son groupe dans l’un des sites historiques les plus courus de la médina : « nous sommes ici pour un travail préliminaire d’étude en vue de la restauration intégrale de cette magnifique medersa. Avec mes étudiants, nous redessinons les motifs des sculptures en bois, pour ensuite pouvoir les reproduire à l’identique ». Cette scène résume la dynamique en cours depuis une décennie dans le vieux Fès, vitrine de la civilisation marocaine depuis plus d’un millénaire. Ce chef-d’œuvre urbain, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1981, était jadis en péril. Il est désormais le symbole d’une renaissance prodigieuse.


La lumière brille de nouveau sur l’ancienne capitale chérifienne, vue nocturne depuis la nécropole des Mérinides. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


A l’origine, un coup de pioche

Le premier coup de pioche (qui veut dire ‘Al Fas’ en arabe), a été donné aux premières lueurs du IXe siècle, il y’a donc plus de 1 200 ans. Depuis, la ville historique la plus importante du Maroc a naturellement connu de profondes mutations. Plombée par la vétusté de ces édifices et dépassée par un exode rural intensif, la médina de l’ancienne capitale était à l’agonie à la fin des années 1970. Conscient du danger qui guette son plus précieux patrimoine urbain, le royaume entreprend alors les démarches pour sa sauvegarde, qui passe d’abord par la reconnaissance de sa préciosité. Un message entendu et adoubé par l’UNESCO, avant que le Maroc n’entame, à l’occasion du nouveau millénaire, un plan audacieux pour sa restauration. Les contours de ce défi titanesque se concrétisent en 2013, sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, à travers le « Programme de réhabilitation des monuments historiques de la médina de Fès ». Un chantier toujours en cours mais qui donne aujourd’hui un large aperçu d’une magnificence retrouvée. A l’image du groupe d’étudiants de la médersa Bou Inania, les travaux se poursuivent, dans la discrétion, et sans entraver l’enchantement des visiteurs, toujours plus nombreux.


La précision et la richesse des sculptures subliment l’une des façades de la Médersa Bou Inania. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Si ces derniers ont choisi de se rendre à Fès, ce n’est pas seulement pour profiter des bienfaits de son climat sec et chaud, de ses hôtels et riads de référence mondiale. Ils sont conscients de s’immerger au cœur d’un foyer de civilisation, vitrine du rayonnement arabo-andalou dans le bassin méditerranéen. Car la ville de Fès, durant des siècles, a été l’une des plus grandes et plus influentes cités de la région, non seulement fief politique de puissantes dynasties, mais aussi un phare en matière de sciences et de religions.


Merveilles de portes au détour d’un derb de la médina. Crédit : Oussama Rhaleb / Le Desk


N’est-ce pas en son sein qu’est sanctuarisé l’université d’Al Qaraouiine, considérée par plusieurs historiens et par l’UNESCO comme la plus ancienne encore en activité ? N’est ce pas encore à l’intérieur de ses remparts, que les artisans ont, au fil des siècles, atteint l’excellence dans l’art de la faïence, de la tannerie, de la gastronomie, de la menuiserie perpétuant ainsi un patrimoine immatériel à la valeur inestimable ? Car il ne s’agit pas seulement de restaurer les pierres, mais aussi de sauvegarder un savoir-faire transmis dans le temps et reconnu à l’échelle du monde. La renaissance de Fès est ainsi devenue un enjeu qui dépasse le simple cadre de la réhabilitation historique, il s’agit de redonner à l’ancienne capitale impériale, mais aussi à tout le pays, une fierté parfois bafouée à travers l’Histoire.


Depuis les hauteurs de la nécropole des Mérinides, la médina de Fès et sa plus noble institution, l’université d’Al Qaraouiyine. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


La densité de la médina de Fès est probablement le premier défi imposé aux acteurs de sa restauration. Son accès en particulier, a longtemps été un obstacle à la fluidité de sa visite. Le problème fait désormais parti du passé depuis la mise en place d’un chapelet de parkings souterrains, situés chacun à une entrée stratégique de la médina, notamment les portes Bab El Hamra, Bab Jdid, Bab El Kissa ou encore Bab Boujloud.


Les parkings souterrains fluidifient les entrées de la médina et sont aménagés en espace vert à la surface. Ici celui face à la porte Boujloud, l’une des principales portes de la veille ville de Fès. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Si vous entrez par cette dernière, aussi appelée la Porte Bleue du fait de ses captivantes faïences bleu saphir, vous aurez probablement l’occasion d’étancher votre soif au stand ambulant d’Abdderrahim, qui vous servira un jus d’orange « et de grenade quand c’est la saison » et qui témoigne du renouveau de la médina : « les conditions, pour tous, se sont nettement améliorées comparé à il y’a quelques années. Ce n’est donc pas un hasard si les visiteurs sont revenus nombreux, voyez-vous-même ». En effet, un flux de passants, dont la plupart font une halte des deux côtés de Bab Boujloud pour y admirer la splendeur, ruisselle en direction de la médersa Bou Inania, distante d’une centaine de mètres en direction du nord-est.


Bab Boujloud, ou Porte Bleue depuis l’intérieur de la médina où sont alignés plusieurs restaurants qui proposent les succulentes spécialités locales. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Sur la rue ‘Talaâ Sghira’ (la petite montée) qui vous y mène, de nombreux restaurants assurent de vous faire le plein d’énergie, avec les spécialités locales affinées au cours des siècles. Et si l’incomparable pastilla aux pigeons, d’origine andalouse, en est le plat-vedette, ne boudez pas votre plaisir sur le tagine aux pruneaux, autre expertise culinaire des fassis. Enfin rassasié, vous êtes prêts à explorer la médina et ses dédales labyrinthiques, aidés en cela par les désormais nombreux panneaux de signalisation, indispensable outil d’orientation dans les méandres des derbs (ruelles) fassis.


Après un travail de restauration titanesque, la médina de Fès brille à nouveau de mille feux. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Après avoir longé une foultitude de commerces à la devanture fraichement boisée, et quelques riads qui promettent un séjour raffiné au cœur de la médina, le trafic se fait plus dense aux abords de la médersa Bou Inania, sans conteste l’une des plus influentes de la cité du savoir. L’émergence même des medersas est un signe de prestige de la ville qui abrite déjà l’immense université d’Al Qaraouiyine, qui semble-t-il, n’a pas suffi à répondre à l’attractivité théologique de l’ancienne capitale. Les ‘tolbas’ (étudiants), viennent non seulement de tous les confins marocains, mais aussi de bien au-delà, au sud du Sahara, au nord de la Méditerranée et des territoires d’Orient. L’émergence des médersas marocaines survient surtout au temps de sultans mérinides (1244-1465), qui puisent leur légitimité dans leur ascendance chérifienne, soit celle des héritiers de la lignée du Prophète, et à ce titre, gardiens de l’orthodoxie religieuse du pouvoir.


Le site de la nécropole des Mérinides offre une vue panoramique de la médina. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Une vitrine de la dynastie mérinide

A Fès en particulier, vitrine et siège de la dynastie, les Mérinides se posent donc comme les protecteurs des savoirs et de la tradition islamique. A l’heure où la civilisation musulmane d’Al Andalous s’éteint peu à peu, la capitale chérifienne entend entretenir la flamme et porter haut l’étendard religieux.


Depuis la Porte Bleue, l’élégante silhouette du minaret de la Médersa Bou Inania, l’une des rares écoles théologiques du Maroc à en posséder. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


La medersa Bou Inania, du nom du sultan Abou Inane al-Marini (1348-1358) qui a intenté son édification, répond à cette légitimation autant politique que religieuse. Elle est, depuis le milieu du XIVe siècle, la plus importante de Fès mais aussi celle de tout le pays. Son importance justifie l’affluence des visiteurs, qui constatent d’emblée les ornements en bois sculpté qui surplombent gracieusement la porte principale.


Une autre façade sublime de l’inégalable médersa Bou Inania. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Une promesse de chef-d’œuvre pleinement tenue une fois à l’intérieur du patio, recouvert de dalles de marbre au milieu duquel siège une fontaine pour ablution, aujourd’hui toujours en service. Car parmi la particularité de la Bou Inania, un splendide minaret et une mosquée attenante, qui font de l’ensemble de l’institution un véritable complexe religieux encore très prisé des fidèles.


Les vitraux de la Médersa Bou Inania transforment les rayons du soleil en aura vert émeraude dans une atmosphère envoutante. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Dans la cour, à l’ombre du haut minaret, les visiteurs (y compris les non-musulmans qui peuvent arpenter à leur guise le monument) contemplent les splendides et hautes façades, sculptées à la main sur le stuc et le bois. L’une d’elles, est ouverte sur l’espace de la mosquée dédiée aux prières, séparée par un canal lui-même enjambé par un ponton. Les regards s’attardent toutefois sur les vestiges d’une mécanique unique en son genre. Il s’agit des restes d’une horloge hydraulique, modèle de l’ingénierie de pointe de l’époque. Une pancarte informative y révèle le nom de son brillant concepteur : « l’horloger officiel de la dynastie mérinide, l’andalou Ali Sanhaji Al Homayri Tilimsani connu sous le surnom de d’Ibn Fahham ». Le savant, est décrit par son illustre contemporain, l’historien Ibn Khaldoun comme « l'homme de notre temps le plus profondément versé dans les diverses branches des sciences mathématiques ». Le mécanisme de son horloge est si complexe que les experts d’aujourd’hui ont encore du mal à l’expliquer précisément.


Emplacement de la ‘magana’ d’Ibn Fahham dans la grande cour de la médersa Bou Inania. Un ingénieux système horloger du XIVe siècle dont les mystères ne sont aujourd’hui encore pas tous résolus. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Ce qu’il faut retenir de la prodigieuse ‘magana’ (horloge) est qu’à l’époque de son inauguration (1357), elle est installée sur la façade extérieure de la médersa, offrant ainsi à la population de Fès la possibilité de lire l’heure, mais aussi de l’entendre. Car le mécanisme « à base de clepsydres » déclenche « une interface sonore (cymbales) et visuelle (volet), à la fin de chaque heure, une boule en bronze tombe dans la cymbale correspondante », nous apprend le texte explicatif. Outre le fait d’être une vitrine du talent d’ingénierie de ses créateurs, l’horloge de la médersa Bou Inania remplit d’abord sa fonction religieuse, en indiquant le plus précisément possible les horaires de prière aux fidèles. Avant de quitter ce précieux patrimoine, Juan Carlos Bermejo, l’encadrant des étudiants restaurateurs du site, tient à nous rappeler la particularité de son intervention : « la tâche est complexe car le patrimoine au Maroc, est le plus souvent vivant, c’est-à-dire que nous travaillons dans des lieux de vie, comme ici dans la médina de Fès. Ce n’est pas comme traiter une pièce exposée dans un musée que nous pouvons amener dans un atelier ou un laboratoire. Ici, les gens circulent, les touristes visitent, et dans le cas de monument religieux comme cette magnifique médersa, les fidèles font leurs prières. Il faut donc tenir compte de ces caractéristiques si particulières et qui font le charme du patrimoine marocain, loin d’être figé ».


Le spécialiste espagnol, qui a déjà expérimenté de genre de restauration à l’Alhambra de Grenade porte un regard pédagogique sur la décision prise par les autorités de laisser ouverts les sites- quand cela ne compromet pas la sécurité des visiteurs - pendant les travaux de réhabilitation : « nous tenons en compte le flux de touristes et nous en profitons, dans la mesure du possible, pour les sensibiliser à notre travail de restauration. Les plus curieux nous posent des questions auxquelles nous sommes ravis de pouvoir répondre. Cela va de la nature du patrimoine à la technique de restauration utilisée. Ces conditions sont pour nous un cadre de travail passionnant ». Ainsi va la reviviscence de Fès, toilettée, parfois pansée, mais toujours fidèle à sa culture ancestrale, à son rythme de vie, et à son atypie qui en fait l’une des destinations les plus visitée du royaume.


Fès, incontestable ville de la faïence, qui orne ici des rues marchandes sublimées par l’artisanat ancestral de la capitale impériale. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Bien avant que ce ne soient les touristes qui viennent admirer la médina, ce sont surtout les marchands venus, parfois de très loin, qui y faisaient halte. Pour eux, les seules destinations possibles sont les ‘foundouks’, nombreux et dispersés dans les quatre coins de la veille ville. Ces établissements hôteliers, autant pour les humains que pour leurs bêtes de somme, sont également un élément distinctif du patrimoine de l’ancienne capitale chérifienne et font aussi office de comptoirs commerciaux. Le plus emblématique d’entre eux, le foundouk Nejjarine, est celui qui incarne le mieux le patrimoine alaouite de Fès.


Le Fondouk Nejjarine mis en perspective et objet, lui aussi, d’une restauration aboutie. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Pour s’y rendre, il faut poursuive au bout de la rue ‘Talaâ Sghira’ et ensuite suivre le cours de celle de ‘Zkak Lahjar’ (allée des pierres). Chemin faisant, l’occasion de vous rafraichir vous ait gracieusement offerte par l’une des 69 fontaines publiques de la ville. La ‘Saqaya’ El Hassania s’inscrit dans la tradition des points d’eau qui irriguent Fès depuis le Moyen-Âge. Déjà au XIIe siècle, le célèbre géographe Al Idrissi fait le constat de l’ingénieux et esthétique système hydraulique de la cité : « On y voit de toutes parts des fontaines surmontées de coupoles et de réservoirs d’eau, voûtées et ornées de sculptures ou d’autres belles choses ». Aujourd’hui, plus d’une dizaine de fontaines ont bénéficié du programme de réhabilitation tandis que les autres, sont incluses dans les travaux à venir. Car l’ancienne capitale impériale, en quête de son lustre d’antan, ambitionne de retrouver l’ensemble de son circuit de l’eau, abreuvée par les affluents de l’Oued Fès, cordon nourricier de la ville et raison du choix de son emplacement par son fondateur le sultan Moulay Driss II (791-828).


Entrée soignée du mausolée d’Idriss II, le personnage le plus vénéré de Fès. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Quelques dizaines de mètres encore à parcourir dans la très animée ‘Zkak Lahjar’ et un panneau vous indique de tourner à droite pour accéder au foundouk Nejjarine (l’hôtel des menuisiers, ébénistes, charpentiers) mitoyen de la place du même nom, car, comme dans les autres médinas marocaines, l’urbanisme est conçu pour regrouper les corporations, facilitant ainsi le commerce et l’acheminement des marchandises.


Depuis des siècles, ébénistes et menuisiers de Fès sont regroupés dans le quartier Nejjarine. Ils sont aujourd’hui encore parmi les meilleurs artisans du Maroc. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Etage du Fondouk Nejjarine, devenu un musée où l’on admire les prouesses des artisans du bois. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


C’est donc dans le quartier jadis occupé par les métiers du bois, que s’érige le foundouk le plus célèbre de Fès. La densification du trafic à ses abords confirme l’intérêt que lui portent les visiteurs, qui s’acquittent d’un ticket d’entrée à 20 dirhams pour pouvoir pénétrer à l’intérieur. L’établissement, érigé au tout début du XVIIIe siècle pour en faire le principal lieu de négoce de Fès, est depuis 1998 un musée où sont exposées les plus belles pièces de l’artisanat raffiné du bois.


Depuis le XVIIIe siècle, le Fondouk Nejjarine, le plus grand de Fès, est devenu un haut lieu de négoce. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Des objets de la vie quotidienne, d’autres d’exceptions comme de sublimes luths andalous et divers instruments de musique vitrines du savoir-faire en la matière, à la visite d’ateliers d’ébénistes, et enfin, la possibilité de siroter un thé à la menthe avec en prime une sublime vue sur la médina depuis la terrasse du foundouk. Les efforts, toujours en cours, pour réhabiliter l’ensemble des quelques 50 foundouks encore existants dans la médina, devraient consacrer une autre facette du patrimoine du Fès, longtemps indétrônable capitale commerciale et économique du royaume.


Le souci du détail, du sol au plafond, dans le très visité Fondouk Nejjarine. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk
Une balance d’un ancien temps, outil indispensable au commerce dans le fondouk Nejjarine. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


L’autre exemple de restauration réussie de l’un des foudouks de Fès se situe près de la légendaire université de la Qaraouiyine, plus à l’Est de la médina. Il s’agit de celui dit de ‘Staouniyine’ dont le nom fait référence aux habitants de Tétouan qui s’y sont installés à partir du XVIe siècle.


Le Foundouk Staouniyine accueille les artisans tisserands, des tapis étendus en attestent. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Cet établissement, dont l’entrée est gratuite, est spécialisé dans l’art du tissage, de la broderie et de la couture. Pourtant, le premier sens qu’il éveille est celui de l’odorat, aussitôt imprégné de senteur boisé. Récemment restauré, l’édifice construit, selon la norme des foundouks traditionnels, en forme rectangulaire avec un grand patio central, et serti aux étages de rambardes en bois clair, parsemées de tapis colorés étendus dans une composition artistique étonnante. Au rez-de-chaussée quelques boutiques proposent les produits issus du tissage traditionnel fassi et une pancarte vient rappeler aux visiteurs de comparer, photos à l’appui, l’état du site avant et après sa restauration.


Mohammed le tisserand, se sent plus en sécurité et retrouve de la sérénité depuis la restauration du fondouk Staouniyine où il travaille. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Si vous en avez la curiosité, vous pouvez monter à l’étage où vous trouverez les ateliers des tisserands, dont celui de Mohammed, un sexagénaire affairé sur son métier à tisser. Il nous confirme, en complément des photos vues plus bas, que ce n’est pas seulement le décor qui a changé : « ici, c’est mon lieu de travail. M’y sentir bien veut dire que je peux produire des articles de meilleure qualité. Avant, nous souffrions d’insalubrité et nous craignions quelque fois les risques d’effondrement. Désormais, nous nous sentons en sécurité et nous sommes heureux d’être plus accessibles pour les acheteurs où les visiteurs curieux de comprendre la magie du tissage ».

 

La magie de la Qaraouiyine

La magie opère aussi à seulement quelques mètres du foundouk de Staouniyine. Là se trouve le plus grand, le plus célèbre, et le plus distinctif complexe religieux de la pieuse médina de Fès. L’entrée de la mosquée de la Qaraouiyine donne lieu à un curieux spectacle. A l’ouverture de la porte à l’heure de la prière, les fidèles se frayent un chemin entre les touristes étrangers non-musulmans pour accéder à leur lieu de culte. Depuis la porte, les curieux semblent envoûtés par un lieu, pour eux, tout aussi fascinant que mystérieux. Comment ne pas l’être face à cette mosquée iconique, aux 270 colonnes, aux 16 nefs de 21 arcs chacune.


Les touristes non-musulmans ne peuvent pénétrer la mosquée Al Qaraouiyine, ils contemplent ses merveilles depuis sa porte. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Des dimensions hors du commun qui permettent d’accueillir jusqu’à 22 000 fidèles et qui en fait un site phare de l’islam dans le monde. Mais la prodigieuse mosquée n’est pas le seul élément qui fait de la Qaraouiyine une référence universelle, classée parmi les meilleurs endroits mondiaux à visiter par le magazine américain Time en 2018.


Attenante à la mosquée, la gigantesque université du même nom, espace irréel comme suspendu au-delà de la dense et intense médina qui l’abrite. Son histoire débute pourtant loin de Fès, à une époque où la dynastie des Aghlabides fait régner la terreur en Ifriqiya, comme était appelé jadis le centre de l’Afrique du Nord. A cette occasion, une grande vague de migration quitte Kairouan, dans l’actuel Tunisie. Un exode qui mène environ 200 familles à Fès. La ville accueille en cette occasion une population de lettrés et d’ingénieurs qui s’établit dans le quartier qui portera le nom de leur ville d’origine, et dont l’héritage s’inscrit dans celui de la plus ancienne université du monde. Dans le lot des réfugiés, une certaine Fatima El Fihriwa, mère de l’université. Sa reconnaissance tardive, environ quatre siècles après la fondation de son œuvre, est une invitation à réviser les clichés sur le rôle des femmes dans le rayonnement de la culture islamique. Selon Abou Hassan Ali, principal historien mérinide et auteur du livre référence ‘Rawd Al-kirtas’, Fatima El Fihriya riche héritière de Kairouan aurait, par générosité envers la ville de Fès qui l’accueille, lancé la construction du chef-d’œuvre vers l’an 865. Le même auteur rapporte également que Meriem la sœur de Fatima, aurait quant à elle fait construire la mosquée des Andalous de Fès, située dans la rive opposée de la ville, dans une sorte d’hommage aux femmes engagées, elles aussi, dans la course à l’érudition et au savoir qui a fait la grandeur de Fès.


Les toitures aux tuiles vertes, devenus une marque de fabrique de la ville et une marque de reconnaissance du complexe de la Qaraouiyine. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


L’établissement a bénéficié, lui aussi, d’une campagne de restauration digne de son rang et achevé depuis 2017. La visite de ce temple immaculé du savoir est incontournable, autant pour l’immersion dans son atmosphère mystique, que pour y admirer l’architecture et le décorum, summum de l’excellence artisanale marocaine. Tout comme la mosquée, l’Université de la Qaraouiyine est toujours en activité. Plus que cela, elle continue d’innover du haut de ses 1 166 ans d’existence. Avec sa restauration, les autorités ont appliqué un dahir royal (décret) qui fait d’elle « un établissement d’enseignement supérieur et de recherche scientifique investi de la mission de formation dans la science de la charia, de la pensée islamique et des sciences des religions et de leurs histoires ». En plus donc de l’enseignement traditionnel, l’institution offre désormais une maîtrise en sciences religieuses et humaines, comme un message adressé au monde à travers lequel elle revendique un esprit d’ouverture et de tolérance.


En outre, les chercheurs y trouvent un lieu unique, riche en livres et manuscrits d’une préciosité inestimable. La bibliothèque, dernier site majeur du triptyque de la Qaraouiyine, est aussi un patrimoine unique en son genre. Elle jouit, depuis au moins l’ère savante des Mérinides, du même prestige que l’Université et partage avec elle la toiture en tuile vertes si caractéristique du complexe. La ‘makhzana’ (bibliothèque) abrite en son sein un véritable trésor de littérature historique. Les plus grands savants de leurs époques, dont certains ont enseignés à l’université, ont ainsi permis d’enrichir les rayons de la ‘makhzana’. Au fond de la grande salle de lecture, restaurée elle aussi, se trouvent des escaliers plongeants dans les sous-sols. Au bout, deux lourdes portes en métal donnent l’accès au graal, la salle des manuscrits. Rangés dans des dossiers, les écrits les plus précieux de l’Histoire du Maroc ne sont consultables qu’à de rares privilégiés invités à une lecture d’exception. Dans le domaine de la médecine, vous y trouverez par exemple le Traité d'Ibn Tofail, philosophe et médecin, du XIIe siècle. Une œuvre, véritable encyclopédie révolutionnaire de la médecine. Certaines autres sont aussi signées de la main d’Ibn Sina (Avicenne) l’un des plus grands médecins de l’Histoire. Les sciences du ciel sont dignement représentées par le Traité d'astronomie du philosophe persan Al-Farabi, où figurent les schémas des mouvements des astres à la précision stupéfiante. L’incontournable d’Ibn Khaldoun, père de la sociologie moderne, est une autre pièce de référence. ‘Al Moqadima’ (l’Introduction) est dédicacée et signée de la main du savant. Ce manuscrit est classé « patrimoine mondial de l’UNESCO » dans son programme « Mémoire du monde », tout comme un autre ouvrage majeur d’Ibn Khaldoun, copie manuscrite du ‘Kitab al-Ibar’ (Livre des leçons) cette fois consacré à l’Histoire, une discipline qui se revendique aujourd’hui elle aussi de son héritage.


Laissez-vous surprendre par des ruelles moins fréquentées de la médina, elles vous réservent toujours des surprises. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Dans l’autre rôle d’incontournable de la médina de Fès, impossible d’achever l’excursion sans rendre visite à la demeure du fondateur de la capitale spirituelle du royaume. A quelque pas à peine du complexe de la Qaraouiyine, un site incarne tout autant l’âme de la ville, et abrite la sépulture d’un monarque qui a laissé une empreinte indélébile sur le Maroc. Moulay Driss II, fils et successeur de Moulay Driss, premier souverain du Maroc musulman, est, selon la majorité des historiens, celui qui décide de faire ériger au tout début du IXe siècle, une cité éternelle au cœur de la plaine fertile entre deux massifs montagneux (Rif et Moyen-Atlas).


L’art de la faïence en rosace à son paroxysme, dans l’un des recoins du mausolée du père fondateur de Fès. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


A l’approche de son mausolée, l’ambiance change sur la rue ‘Attarine’ (les épiciers). La lumière douce des lampadaires se reflète sur une toiture en bois finement décorée, venu abriter l’allée vers la dernière demeure du saint homme. Au bout, la première entrée du sanctuaire est gardée par un membre de la zaouïa (confrérie) Moulay Driss II, qui s’assure de la foi musulmane de ceux qui souhaitent pénétrer dans l’enceinte sacrée. Auquel cas, il faut humblement se baisser pour franchir l’étroit passage sous l’imposante plaque de bois sculpté, premier rideau du mausolée.


Le très solennel patio du mausolée Moulay Idriss II, sa mosaïque fine et sa fontaine à ablution. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Ce n’est qu’ainsi que vous accédez, déchaussé, à la majesté d’un temple, dont l’époustouflant patio central est intégralement tapissé d’un zellige à dominance vert olive, disposé parfaitement en motif hexagonal. En son centre, trône une envoutante fontaine à débordement, cernée par une faïence étoilée, et qui permet aux fidèles désirant prier aux cotés du tombeau de l’éminent représentant marocain de la famille du Prophète Mohammed, de faire leurs ablutions.


Tombeau du sultan Moulay Driss II, esthétisme et recueillement. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Enfin, la salle de la sépulture que l’on pénètre par une porte en arc majestueuse, est couverte de tapis rouge vif. Elle est une solennelle invitation au recueillement, éclairée à la fois par d’élégants lustres suspendus, et par les rayons du soleil qui traversent des fines ouvertures placées sous un toit en dôme de bois finement sculpté.


De nombreuses galeries marchandes ont également bénéficiés de la réhabilitation de la médina. Toiture en bois, rues pavés propres offrent l’occasion d’un « shopping » tout en plaisir. Crédit: Oussama Rhaleb / Le Desk


Le mausolée Moulay Driss II, demeure dans la médina rénovée, un symbole de l’authenticité d’une ville qui n’a jamais tourné le dos à son passé, et aux hommes qui l’ont bâtie. Aujourd’hui plus que jamais, Fès partage allégrement à ses visiteurs la fierté d’une ville à l’éclat retrouvé. Et pour s’en convaincre, laissez-vous surprendre à déambuler dans ses dédales qui, dans des détours dont ils ont le secret, font surgir des ‘kissaria’ (galeries), des places, des ruelles étonnantes, des mosquées centenaires, des portes sublimes, mais aussi des hommes et des femmes, habitants de la médina, dont le visage accueillant traduit, lui aussi, l'histoire de cette résurrection miraculeuse.

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