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01.07.2024 à 13 H 52 • Mis à jour le 01.07.2024 à 14 H 09 • Temps de lecture : 37 minutes
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Festival Gnaoua d’Essaouira, l’épopée fantastique

RECIT. Né dans l’intimité de quelques passionnés en 1998, le Festival Gnaoua et Musiques du Monde a fêté cette année sa 25ème édition. Comment s’est-il développé au point de devenir un phénomène de société ? Plongez dans les coulisses de l’histoire d’un évènement culturel et sociétal pas comme les autres…

Liberté. C’est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de ceux qui ont fait le festival de musique le plus iconique du Maroc. Bien sûr, il est question aussi d’Essaouira, des Gnaouas, des artistes, des concerts, du public et de l’alchimie de tous ces éléments mais, l’espace de quelques jours de juin, durant 25 ans, la cité des Alizés fait surtout souffler un vent de liberté inédit sur le royaume.


La source de cet évènement qui fête cette année un quart de siècle, remonte à plus longtemps que ce 7 juin 1998, journée inaugurale de la première édition d’un « festival pas comme les autres ». A l’origine, une confrérie mystique qui a su préserver une tradition ancestrale importée des confins sud du Sahara. Dans ses coulisses, se jouent de complexes rituels destinés à guérir les maux des corps, et surtout des esprits. En public, ce sont de joyeuses troupes de musiciens et danseurs qui exhibent leurs costumes colorés à l’occasion de fêtes, de célébrations, ou simplement pour égayer le quotidien de quelques médinas des grandes villes. L’opportunité aussi de récolter de quoi subvenir à leurs besoins les plus élémentaires et ne pas s’enfoncer dans une précarité qui les a figés dans un statut social déclassé depuis des siècles. Mais ça, c’était avant le Festival Gnaoua et Musiques du Monde - Essaouira réussissant depuis, à rassembler des centaines de milliers de personnes qui viennent acclamer ceux qui étaient longtemps considérés comme des parias. D’illustres musiciens internationaux se joignent à eux parachevant ainsi une nouvelle ère, celle de la dignité, de l’honneur et de l’estime de soi. Cette année encore, la fête a été intense dans les rues de l’ancienne Mogador, devenue depuis, le lieu de pèlerinage des esprits libres.


De la musique à la magie

« Je suis venu pour la musique, et j’ai trouvé la magie » écrivait un journaliste du New York Times venu couvrir l’une des dernières éditions du festival. Une citation retranscrite sur un pan de mur du siège casablancais de l’agence A3 communication, société fondatrice et organisatrice du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, avec en toile de fond, une photo du maâlem Mustapha Baqbou et du bassiste virtuose Marcus Miller, réunis sur scène en 2014 le temps de l’un des plus mémorables concerts joués à Essaouira. Cette phrase vient rappeler à la douzaine d’employés de l’agence ce pourquoi ils déploient tant d’efforts, créer de la magie. C’est dans cette ruche bourdonnante à quelques jours de la 25ème édition que nous reçoit Neila Tazi, présidente de A3 et figure tutélaire du festival. Entre réunions incessantes et coups de téléphone importants, elle prend le temps de nous replonger dans l’improbable épopée d’un projet de vie. Créé en 1992, cette société de communication est lancée par l’association de trois amies, Neila Tazi, Soundouss El Kasri et Amina Doghmi Berrada. Cette dernière décède tragiquement dans un accident de voiture l’année suivante mais laisse planer sa mémoire sur un lieu en particulier, Essaouira, souvenir commun de la bande des casablancaises : « C’est dans cette ville alors peu fréquentée que nous avons célébré la création d’A3 et aussi le succès du Trophée des Gazelles » un rallye 100 % féminin organisée par l’agence, se souvient Neila Tazi.


Hamid El Kasri sur scène lors de la 25ème édition du Festival Gnaoua Musiques du Monde. Crédit: Ezzoubair El Harchaoui / Le Desk


Essaouira comme point de départ d’une idée alors encore bien floue. Soundouss El Kasri, qui quittera le navire en 2004, nous confirme qu’ : « après la disparition d’Amina, on s’est dit qu’il fallait monter un projet à Essaouira sans trop savoir quoi à l’époque mais nous voulions l’axer sur la ville, la culture et la gratuité ». L’ancienne Mogador est en ces temps-là la « belle endormie » de la côte atlantique marocaine. Après un or d’âge insufflé par le sultan Mohammed Ben Abdellah (1757-1790) qui en fait le principal débouché maritime du commerce transsaharien, au point que la cité est surnommée le « port de Tombouctou », la cité des Alizés plonge dans un marasme marqué par le départ progressif de sa communauté juive. Parmi son patrimoine oublié, la ville abrite la zaouia Sidna Blal, du nom du fidèle compagnon du Prophète, premier esclave affranchi de l’ère musulmane. Située au pied des remparts de l’ancienne médina, elle est le fief de la confrérie des Gnaoua, et n’est presque connue que des intimes d’Essaouira.


Parmi eux Pascal Amel, un écrivain français habitué de la ville portuaire avec son épouse l’artiste peintre Najia Mehadji. Passionné de musique, l’intellectuel s’est lié d’amitié avec l’un des maâlem (maître) gnaoua les plus emblématiques d’Essaouira, Abdeslam Alikane. Pascal Amel nous raconte que les deux hommes ont commencé à faire connaître la musique Gnaoua à Paris : « à l’Institut du Monde Arabe et dans les studios de la radio France Culture ». La musique hypnotique du maâlem séduit les oreilles étrangères pourtant peu habituées à de telles sonorités. Mais la niche est encore trop étroite et le son grave du guembri ne dépasse que rarement les murs des maisons d’initiés au Maroc.


Fusionner les musiques du monde

En ce milieu des années 1990, une autre rencontre insolite donne l’occasion d’une fusion improbable. Sur un coup de tête, et pour séduire une fille rencontrée dans une boîte de nuit parisienne, la rock star française Louis Bertignac, leader du groupe emblématique Téléphone, débarque à l’improviste à Essaouira. Installé dans une petite auberge de la ville, le guitariste y fait la rencontre de Pascal Amel. Dans un texte autobiographique que Louis Bertignac partage avec nous, il raconte que l’écrivain français lui révèle que : « Ce n’est pas un hasard si on s’est rencontrés et que je dois absolument jouer avec ses amis musiciens. Chaque soir, il me fait rencontrer un maâlem gnaoua, différent, qui joue un genre de basse à quatre cordes en boyau de mouton, et, même si c’est un peu ardu les premiers temps, je prends de plus en plus de plaisir à mêler ma musique avec la leur…Pendant une semaine, chaque soir, nous avons joué ensemble. Je suis tombé amoureux de ces gens-là comme je suis tombé amoureux de ce charmant petit port et j’ai eu beaucoup de mal à rentrer à Paris ». Une étincelle a jailli.


Randy Weston en fusion avec les Gnaoua d'Essaouira. Courtesy A3Com


Abdeslam Alikane, Louis Bertignac et Pascal Amel saisissent alors le potentiel de fusionner la musique gnaoua avec des styles venus d’ailleurs. Le maâlem se souvient pour nous qu’ « avec ma manager Jane Loveless (une anglaise installée aussi à Essaouira, ndlr) nous nous sommes dit qu’il y avait là matière à discuter d’un évènement culturel en lien avec les gnaoua ». Une inspiration qui finit par circuler autour d’une table avec la présence des fondatrices de l’agence A3, en quête justement d’un projet culturel dans la cité des Alizés. Par l’entremise de Nawal Slaoui, actrice culturelle qui gère une galerie d’art, les deux groupes s’accordent sur une formule inédite au Maroc des années 1990 : un festival populaire et gratuit au cœur de la ville des Gnaoua. Pour Neila Tazi, l’idée sonne comme une évidence, d’autant qu’elle a assisté de près à l’expérience d’une telle fusion en octobre 1994 : « Nous avions organisé le concert de Carlos Santana à Casablanca. La veille, lors d’un diner privé en son honneur au restaurant la Villa Fandango, le maâlem Mahmoud Gania qui était aussi avec nous, s’est mis à jouer de son guembri. Santana s’est figé, puis est allé s’assoir par terre en face de lui. Au bout d’un moment, il a demandé sa guitare et s’est mis à jouer aussi. Le lendemain, il a insisté pour faire monter Mahmoud avec lui sur scène ». Les signes de la fascination de la musique du monde pour celle cantonnée des Gnaoua se confirment. Le projet de monter un festival devient concret mais encore faut-il sonder les autorités locales pour en évaluer la possibilité. Abdeslam Alikane s’en charge : « Avec Pascal et Jane, nous avons pris rendez-vous avec le gouverneur de la région, le regretté Amine Belkadi, qui nous annonce que c’est possible. Mais nous ne savions absolument pas comment organiser un tel évènement ni comment le financer ».




Une expertise qui revient naturellement aux dirigeantes d’A3 communication qui décident de le présenter à André Azoulay, conseiller du Roi Hassan II (puis de Mohammed VI), et surtout un Souiri fier de sa ville natale qu’il promeut à travers l’association Essaouira-Mogador depuis 1992. Il est donc sensible à l’idée d’un tel festival car dans le Maroc de la fin des années 1990, un tel concept est tout sauf banal. Pascal Amel explique « qu’il n’existait pas d’offre culturelle large, populaire et surtout gratuite. Il y avait déjà le Festival de Fès des musiques sacrées du monde (créé en 1994) mais qui était réservé à une élite. Quant à celui de Marrakech (Festival national des Arts Populaires crée en 1959), il était plutôt moribond ». Le défi est de taille, d’autant que Neila Tazi et son associée ne bénéficient d’aucun financement public : « C’est incompréhensible, et cela a duré longtemps. Ce n’est que de nombreuses années plus tard, et surtout avec le gouvernement actuel que les choses ont bougé dans ce domaine », regrette la présidente d’A3. L’enjeu pour lancer un tel projet est donc d’aller chercher des financements dans le secteur privé via du sponsoring. Mais l’argent n’est pas la seule difficulté à laquelle se heurte l’équipe fondatrice.


Un élan de solidarité vitale

Quelques semaines avant la tenue de la première édition à l’été 1998, la fine équipe s’active pour préparer l’évènement. Un mouvement qui ne plait pas à tout le monde, « certains ne semblaient pas ravis de voir débarquer des casablancaises, pour faire de l’argent grâce à un festival » s’amuse à rappeler aujourd’hui Soundouss El Kasri. Elle déplore également « un sexisme et un conservatisme ambiant » mais qui n’a pas empêché un élan de solidarité vitale à la tenue de l’évènement. Elle donne ainsi l’exemple de « l’hôtel riad la Villa Maroc qui nous accueillait à des tarifs spéciaux et si les cachets des artistes ne dépassaient pas les 500 dollars, ils pouvaient profiter d’une semaine dans un cadre agréable ». Neila Tazi se souvient, elle, du « partenaire Aicha qui offrait la confiture pour les petits déjeuners à l’hôtel Cap Sim où logeait une partie de l’équipe » car il n’y a pas de petite économie dans un évènement dont le budget de la première édition plafonne péniblement à 600 000 dirhams nous confie-t-elle. Elle décrit aussi les conditions dantesques d’organisation : « Trois jours avant le festival, une coupure générale de courant a paralysé la ville ». « Nous logions dans un hôtel avec chambres sans salles de bain », « il m’est arrivé de faire la queue dans les snacks pour acheter les sandwichs pour les techniciens qui travaillaient d’arrache-pied pour tenir les délais. On a vraiment tout vécu ». Malgré tout, cette première édition est déjà un franc succès. Une foule inattendue de 20 000 personnes s’amasse autour des seules deux scènes du festival. Ils sont majoritairement jeunes, entre 18 et 25 ans, et tant pis s’ils se voient obliger de coucher à la belle étoile sur la plage, faute de capacités d’accueil. Abdeslam Alikane, qui a pris la charge de directeur artistique de l’évènement, se souvient « d’une première édition plus intimiste, et qui a donné la part belle aux maâlems gnaoua ». Ces derniers, acteurs principaux d’un évènement qui leur est dédié, mettent toutefois un peu de temps à en saisir l’ampleur.


Festival Gnaoua et musiques du monde 2017. Mohamed Drissi Kamili / Le Desk


Venus de tout le royaume, les maîtres gnaoua rassemblés à Essaouira s’interrogent encore sur la nature de l’évènement. La veille de l’ouverture, le 6 juin 1998, ils se réunissent avec toute l’équipe fondatrice du festival. Pascal Amel s’en souvient : « Je sens flotter dans l’air une espèce de questionnement et l’un d’eux me dit ‘ mais qu’est-ce que vous attendez de nous au juste’ ? Je réponds ‘ce n’est pas mon festival, c’est le vôtre et c’est à vous de vous en saisir’. Je l’ai dit sans préméditation, je le pensais vraiment. C’est le souvenir le plus émouvant que j’ai de l’histoire de cette aventure ».


Sur le plan musical, la magie opère et ce n’est pas Louis Bertignac qui écrit le contraire : « Pascal Amel m’appelle : ‘Louis, je suis heureux de t’inviter à participer au premier festival d’Essaouira !’. Je pars pour le Maroc, je retrouve ces maîtres gnaoua et nous jouons ensemble comme nous le faisions lors des soirées sur la plage, sauf que cette fois-ci, nous sommes sur scène et nous improvisons devant plusieurs milliers de personnes. C’est un moment magique […] Je ne suis pas peu fier d’avoir été aux débuts du festival d’Essaouira ». La pérennisation de cet évènement ne dépend toutefois pas seulement de l’enchantement musical. Pour durer, il bénéficie d’un contexte politique favorable, au crépuscule d’un règne qui s’assouplit considérablement, marqué par l’avènement du gouvernement d’Alternance mené par le socialiste Abderrahmane El Youssoufi, et à l’aube d’un nouveau qui donne un élan inédit à la créativité des jeunes marocains.


Une époque inédite et favorable

Tout en rappelant cette conjoncture politique particulière, Neila Tazi insiste sur l’apparition d’un phénomène technologique au potentiel infini : « Le développement d’internet au Maroc. On avait scellé un partenariat pour la réalisation d’un site web avec la start-up Casanet, ancêtre du portail Menara de Maroc Telecom, qui nous a aidé à créer notre propre site web. Nous recevions des centaines de commentaires surtout de la part de la diaspora marocaine à l’étranger. Je passais des heures, les weekends, à répondre aux gens, ils étaient heureux et je prenais alors vraiment conscience de l’ampleur de l’engouement pour le festival ». Le bouche à oreille, Internet, et l’intérêt de la presse nationale et étrangère pour l’évènement gnaoua d’Essaouira contribuent à propager l’information. Les médias marocains, eux aussi en pleine mutation, se saisissent pleinement d’un phénomène culturel qui leur ressemble : « C’est l’époque de l’émergence d’une presse indépendante, un concept nouveau pour nous qui ne connaissions que la presse partisane. D’un coup sont apparus Le Journal, Assahifa, TelQuel et tout ça est venu dynamiter l’ordre ancien et s’insérer dans la Nayda » analyse aujourd’hui Neila Tazi. La Nayda ou ‘éveil’ est le terme qui caractérise l’émergence, au Maroc du début des années 2000, d’une scène artistique et culturelle portée par les jeunes avides d’une création libre. Son visage est sans doute incarné par le festival casablancais L’Boulevard, fondé en 1999, qui offre l’opportunité à de jeunes musiciens marocains de se faire connaître via sa compétition Tremplin. Neila Tazi comprend tout de suite l’importance d’une telle vague : « On a ouvert nos scènes aux lauréats du L’Boulevard comme le groupe Hoba Hoba Spirit par exemple. Nos deux festivals ont pour objectif commun de porter la culture et les talents marocains ». La fulgurance du phénomène Nayda a sans doute contribué à l’explosion de la popularité du festival d’Essaouira qui accueille, dès sa deuxième édition, près de 50 000 personnes. Pour autant, la ville n’est pas dotée des infrastructures d’accueil nécessaires et les témoignages font état de pénuries d’eau, de nourriture et même de café.


25 ans du Festival Gnaoua d'Essaouira. Infographie: Mohamed Mhannaoui / Le Desk


L’intérêt grandissant pour le Festival attire désormais de plus en plus de musiciens de renom. La programmation se professionnalise et Abdeslam Alikane est, dès l’an 2000, épaulé dans sa tâche de directeur artistique par le talentueux musicien et compositeur français Loy Ehrlich. L’artiste, qui a été invité à jouer lors des deux premières éditions, ne débarque donc pas en terre inconnue. Il nous révèle même qu’il a été « initié à la musique Gnaoua dès 1972, à Marrakech. Une rencontre qui a changé mon destin car depuis, j’ai décidé de me lancer dans la musique ». Très vite intégré dans l’équipe organisatrice, celui qui s’est fait connaître comme un spécialiste de la World Music en sillonnant notamment les contrées africaines entend d’abord « améliorer les conditions techniques des scènes ». L’autre facette de la direction artistique consiste à inviter des musiciens étrangers compatibles avec l’esprit du festival mais aussi avec la musique gnaoua : « C’est un véritable travail de profilage psychologique, car il faut cibler à la fois des artistes de haut niveau, pour maintenir l’excellence musicale, mais aussi capables de comprendre la subtilité de la rythmique gnaoua et surtout avoir une ouverture d’esprit et de l’humilité ».


Face à l’ampleur de la tâche, la direction artistique s’enrichit en 2001 d’un troisième membre, devenu depuis l’un des piliers essentiels de l’évènement. Il s’agit du batteur et compositeur algérien Karim Ziad, qui s’est fait connaître à la fin des années 1990 en collaborant plusieurs années avec Cheb Mami et étant membre du retentissant groupe parisien de l’ONB (Orchestre National de Barbès) qui partage l’affiche de la troisième édition du festival aux côtés de la légende malienne Ali Farka Touré.


Face aux extrémismes

Les premières années du nouveau millénaire explosent de nouveau les compteurs avec un pic de fréquentation qui avoisine le demi-million de festivaliers en 2004. Une popularité telle qu’elle n’attire pas seulement l’attention des passionnés de musique et des amoureux de la liberté. Depuis le 16 mai 2003, jour où Casablanca est ensanglantée par une série d’attentats perpétrés par une mouvance de la Salafia jihadiya, le royaume est brutalement confronté à la montée des extrémismes. Fort logiquement, l’édition 2003 du festival d’Essaouira, qui se tient quelques semaines après le drame, est sous haute tension. Mais pour Neila Tazi, « il n’a jamais été question d’annulation. Bien au contraire, tenir le festival est un acte de résistance. Notre moyen de lutte contre l’intolérance, la violence et la radicalisation. est de permettre la prospérité par la culture des populations les plus défavorisées ». Un avis que ne partagent pas les idéologues des mouvements les plus conservateurs du pays. Ainsi, rapporte Ahmed Chaarani dans son livre La mouvance islamiste au Maroc : du 11 septembre aux attentats de Casablanca, les associations islamistes dénoncent ce qu’elles considèrent comme une dérive : « Depuis quelques années, la ville d’Essaouira se transforme pendant le festival en espace de beuverie en public et de débauche de toutes sortes, ce qui nuit à la réputation de la ville et de ses habitants ».



Même les figures politiques du Parti de la Justice et du Développement (PJD) se mêlent à la polémique comme c’est le cas de Saadedine El Otmani, futur chef du gouvernement entre 2017 et 2021 qui, dans une interview accordée à Jeune Afrique en 2007 affirme « condamner » le festival et regrette que sa tenue ne fasse pas l’objet d’une concertation plus large « la décision n’est prise qu’à l’échelle locale » fait-il savoir. Outre les accusations des conservateurs, la menace terroriste continue de planer sur l’évènement gnaoua. Après l’assassinat en décembre 2018 de deux touristes scandinaves dans le Haut-Atlas, la même cellule terroriste aurait projeté de « commettre des attentats contre l’Église des Saints-Martyrs de Marrakech, le Moussem autour de la tombe d’un saint juif à Essaouira et le Festival Gnaoua de la même ville, qui réunit un grand public européen » selon une dépêche de l’agence de presse espagnole EFE publiée en janvier 2019. Les questions de sécurité sont prises au sérieux par les organisateurs. « Nous travaillons en concertation étroite avec les services de sécurité qui sont reconnus pour leur efficacité », rassure Neila Tazi.


Débats
Le Festival dans les murs

La toute première édition, en 1998, portait le nom de Festival de la culture Gnaoua, et il n’était donc pas, déjà, uniquement question de musique. En marge des festivités, se tient un colloque à l’hôtel des îles, qui donne la parole à des intellectuels et des ethno musicologues venus échanger autour de la thématique des rituelles transes dans les lilas gnaoua. Une rencontre auréolée de la présence de Jean-Louis Miège, le plus marocain des historiens français. Par la suite, les organisateurs ont souhaité renouer avec cette approche de dialogue en créant, en 2006, un forum qui se tient à Dar Souiri intitulé « L’arbre à palabres », du nom du lieu où les villageois de certains pays d’Afrique de l’Ouest, tiennent conseil. Une formule, organisée par Emmanuelle Honorin, critique musicale et journaliste et Maria Moukrim. Membre fondatrice du Réseau des femmes journalistes. Contrairement au premier forum de 1998, « L’arbre à palabres » consacre plutôt le dialogue entre musiciens et public, mais avec le temps, l’actualité socio-politique va s’inviter à Essaouira.


En 2012, à la faveur des printemps arabes, les organisateurs s’associent avec le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) puis avec le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) pour lancer le Forum des Droits Humains . Une manifestation matinale qui rencontre un engouement certain « le forum a traité, en 10 éditions, de thématiques aussi variées que la culture et la jeunesse  l’Afrique, son avenir, ses femmes qui créent et entreprennent et les diasporas  la créativité et les politiques culturelles à l’ère du numérique  l’impératif d’égalité  la force de la culture contre la culture de la violence » souligne le dossier de presse des organisateurs. Depuis plus de dix ans, Des personnalités de premier plan ont participé au forum : « Leila Shahid (Palestine), Oumou Sangaré (Mali), Marco Martiniello (Belgique), Minino Garay (Argentine), Patrick Boucheron (France), Ali Benmakhlouf (Maroc) ou encore Mohamed Tozy (Maroc), Yacouba Konaté (Côte d’Ivoire), Laure Adler (France), Maïmouna N’diaye (Guinée), Mahi Binebine (Maroc), Kamel Jendoubi (Tunisie), Aomar Boum (Maroc, États-Unis), etc ».


Autre temps fort de la production intellectuelle en faveur de la préservation du patrimoine gnaoua est l’édition d’un coffret L’Anthologie en 2014, à l’initiative de l’association Yerma Gnaoua. Une initiative qui souhaite participer à la valorisation de la richesse rythmique, mélodique, lyrique et stylistique de la musique gnaoua. Ce travail colossal qui a nécessité plus de deux ans d’efforts et de minutie se présente sous forme d’un coffret de neuf CD. Ce dernier est agrémenté de textes chantés et de documents retraçant l’évolution de la musique des mâalems gnaouas. Les concepteurs de L’Anthologie expliquent leur démarche comme une lutte contre l’oubli et la transformation du sens originale du répertoire « Le propre de la tradition orale étant d’être mobile et changeante, les maâlems des différentes générations ont pris l’habitude d’omettre des pièces et d’en rajouter d’autres. Devant cette difficulté de consigner un répertoire immuable, cette anthologie établit un déroulement normal des différentes phases en faisant abstraction des différences qui n’affectent pas la cohérence du corpus général. »


Une reconnaissance de l’art de Tagnaouit

Malgré les secousses socio-politiques, le Festival Gnaoua et Musiques du Monde ne désemplit pas. A partir de 2005, il atteint une maturité organisationnelle qui lui permet de régulièrement dépasser les 400 000 visiteurs. L’art de Tagnaouit est désormais reconnu de tous et prisé des mélomanes. Les plus illustres maâlems sont devenus des vedettes, régulièrement invitées dans d’autres manifestations culturelles et sur les plateaux télé. Un nouveau statut qui pourtant n’a rien d’officiel et qui ne garantit pas forcément une juste redistribution à tous les acteurs de la culture gnaoua. Une préoccupation qui occupe depuis longtemps déjà l’esprit d’Abdeslam Alikane, décidément bien plus qu’un maâlem de référence : « Le festival ne dure finalement que quelques jours de l’année. Certes, les musiciens qui gravitent autour de Tagnaouit en profitent, mais il faut maintenir le lien avec les maâlems tout le reste de l’année ». Les intérêts des membres de troupes gnaoua doivent donc être défendus au sein d’une même structure. C’est ainsi qu’en 2009, pour sa douzième édition, les organisateurs annoncent la création d’une association, Yerma Gnaoua, dont les objectifs annoncés sont, entre autres, « l’amélioration du statut des maâlems gnaoua, la valorisation et la préservation du patrimoine des Gnaoua ». Son président, Abdeslam Alikane est aujourd’hui fier de porter un projet « qui va bien au-delà du simple registre du spectacle » car dit-il « la dignité d’une personne est aussi celle de la reconnaissance. C’est pourquoi il était impératif d’aider les musiciens gnaoua à obtenir une carte professionnelle, et donc de bénéficier d’une couverture sociale ». Son vice-président, Hamid El Kasri, est l’un des maâlems gnoua les plus médiatisés et les plus populaires du Maroc. Il ne reçoit chez lui, à Salé, autour d’un verre de thé, et commence par « tirer son chapeau » à Alikane, et reconnait être « incapable de faire ce qu’il fait en faveur de tous les acteurs de Tagnaouit au Maroc. Ne pensez-pas que c’est facile de gérer tous ces aspects ». En effet…



Depuis sa création en 2009, l’association Yarma Gnaoua (qui veut dire ‘En avant gnaoua’ dans le dialecte gnaoui) porte des projets ambitieux qui répondent à l’objectif principal, préserver et faire rayonner ce patrimoine. Mais il s’agit aussi de réguler, tant que possible, un milieu où la concurrence est de plus en plus rude depuis le succès du festival. Hamid El Kasri nous en explique les coulisses : « Abdeslam a une patience infinie. Je le vois confronté parfois à des problèmes de sélection mais les musiciens doivent comprendre que les places sont limitées et qu’Abdeslam choisit ceux qui sont attendus par le public et aussi les plus talentueux, les plus méritants. Certains estiment que, puisqu’il s’agit d’un festival gnaoua, ils ont tous le droit d’y participer. Mais le festival a une réputation d’excellence musicale à tenir bien que les portes ne soient jamais fermées, il faut juste chercher à s’améliorer par le travail et c’est le cas dans tous les domaines d’ailleurs ».





Pour autant, le président de l’association Yerma Gnaoua souhaite être le plus inclusif possible : « Vous savez, environ 35 gnaouis participent en moyenne au festival. Je rencontre régulièrement les maâlems pour resserrer les liens et préserver l’esprit de solidarité dans notre confrérie ». C’est dans ce cadre que l’association assiste matériellement ses membres pour les frais médicaux, où les familles lors du décès d’un maâlem. Les anciennes générations disparaissent peu à peu et se pose la question de la transmission d’un savoir et d’une culture qui étaient, avant l’avènement du festival « en péril de disparition » selon le maâlem El Kasri. La star marocaine porte un regard nuancé sur les jeunes pousses : « Aujourd’hui, rien n’empêche un jeune de se procurer un guembri, d’en jouer et de se proclamer trop vite maâlem. Ce titre se mérite et ceux de notre génération avons enduré tout un processus complexe pour y parvenir. J’aime ces jeunes volontaires mais je suis inquiet de voir que leur entrée dans le domaine brûle parfois des étapes essentielles. A mon époque, il était inconcevable de toucher un guembri face au maâlem, aujourd’hui c’est différent, ils s’en saisissent facilement, sans gêne. Moi je ne laisse pas faire, c’est comme ça que j’ai été éduqué ».


Un patrimoine immatériel universel

La nouvelle génération va toutefois profiter d’un avantage considérable, la culture gnaoua est désormais, depuis décembre 2019, inscrite à la prestigieuse liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Un long processus qui a en réalité débuté en 2009, et qui, après quelques couacs administratifs au niveau du ministère de la culture, aboutit finalement à une récompense au plus haut niveau des instances internationales. Au Maroc, la nouvelle a été célébrée comme il se doit, mais seulement à la télévision, restrictions de rassemblement public en raison de la pandémie de Covid oblige. La Société Nationale de Radiodiffusion et de Télévision (SNRT) en partenariat avec Yerma Gnaoua, a rassemblé près de 75 maâlems gnaouis dans un spectacle de plus de deux heures et qui a connu un succès considérable. Depuis le Maroc, où la nouvelle de l’illustre inscription a fait le tour des médias, il n’est en général question que d’une victoire administrative. En réalité, la candidature auprès de l’organisation onusienne répond aussi à d’autres critères, dont une phase finale qui s’est jouée en décembre 2019 à Bogota, capitale de la Colombie. Abdeslam Alikane y était : « l’ultime étape est de jouer devant une commission de l’Unesco, avec ma troupe, nous n’avions que cinq minutes pour convaincre le jury. D’autres artistes représentants beaucoup de pays dans le monde étaient aussi présents ». Accompagné d’une délégation officielle de l’Etat, dont l’ambassadeure du Maroc à Bogota, le maâlem avoue « n’avoir jamais autant stressé, pourtant j’ai joué sur les plus grandes scènes du monde. Pendant quatre jours nous venions tous les matins costumés et prêts à jouer mais vous ne saviez pas quand était votre tour. C’est comme les audiences au tribunal ». Le passage des représentants gnaoua est finalement validé le dernier jour des auditions, et le maâlem n’est soulagé qu’au bruit des trois coups de marteau et par le mot « validé », prononcé par le président du jury.


Festival Gnaoua. Gnaoua Festival Tour. Essaouira. Crédit: A3 Com


Pour autant, la culture gnaoua, dans son ensemble, est-elle complétement sauvée de la déperdition ? Pascal Amel est parmi les premiers à insister sur le fait « que cet univers ne repose pas seulement sur la musique. C’est pour cela que j’ai tenu à la nomination ‘Festival de la Culture Gnaoua’, un nom qui n’a tenu que la première édition ». Mais que risque réellement cette culture alors même que le festival a réussi l’exploit d’en faire une marque internationale ? Loy Ehrlich, l’ancien directeur artistique, qui a quitté ce poste en 2010, « trop de stress lié à l’organisation », met en garde contre un phénomène qui dépasse le cadre du Maroc : « Évidemment comme partout dans le monde, la mondialisation menace la tradition. La société marocaine elle-même a changé et exige peut-être davantage de divertissement. Pour le moment, l’évènement fait ce qu’il faut pour préserver un héritage fragile ».



La marche du monde n’épargnerait donc pas la culture gnaoua d’évolutions. Hamid El Kasri estime quant à lui que « cette évolution n’est pas d’aujourd’hui. Aucune culture n’est figée dans le temps. Avant le festival par exemple, les paroles des gnaoua n’étaient pas comprises au Maroc car issues de langues subsahariennes, essentiellement celles des bambaras qui narraient leurs malheurs. Ce n’est qu’avec le temps que les paroles ont concerné nos salihines (saints, ndlr) ». La musique elle-même est donc également concernée, un fait inéluctable qu’il faut savoir accepter selon Pascal Amel qui invite à « prendre de la distance. Un jour le guembri ne sera plus qu’un instrument de rituel mais un instrument de musique que tout le monde peut jouer. Eric Clapton a fait exploser le blues parce qu’il se l’est approprié. Je suis certain que cela arrivera aussi pour la musique gnaoua le jour où un artiste charismatique, marocain ou pas, en fera un style planétaire comme le blues, la soul, ou le flamenco. Et là, il ne s’agira plus seulement d’une tradition liée à un groupe ethnique. On attend donc le futur Bob Marley, qui fera de la musique gnaoua une catégorie à part, comme le reggae ».


Festival Gnaoua et musiques du monde 2017. Mohamed Drissi Kamili / Le Desk


En attendant l’élu, le Festival Gnaoua et des Musiques du Monde Essaouira, continue, malgré tout, de lutter pour sa survie. La dernière épreuve en date est celle évidemment liée à la pandémie de Covid, qui a paralysé le monde et le Maroc en 2020 et 2021. Les éditions du festival, à l’instar des autres évènements qui rassemblent du public, ont été annulées. Un regret pour les habitués du festival mais surtout un coup dur pour les organisateurs et la ville d’Essaouira. Car depuis 1998, la cité des Alizés s’est métamorphosée en décuplant sa capacité d’accueil touristique et en matière d’emplois. Pour le festival, autour duquel gravitent également des centaines de travailleurs, le défi était colossal : « Les gens ne le savent pas, mais nous sommes passés pas loin de la catastrophe. Il fallait bien aider les gens qui dépendent du festival et sans contribution de la ville », révèle Neila Tazi. Abdeslam Alikane, témoin et acteur toujours privilégié des coulisses de l’évènement nous confie que « la productrice a pris des risques considérables pendant cette période. Je peux vous dire qu’elle est allée jusqu’à hypothéquer des biens personnels ». Pour son retour en 2022, le festival n’a eu d’autres choix que d’inventer une nouvelle formule, le Gnaoua Festival Tour, qui s’est déplacé pour la première fois à Essaouira, Marrakech, Casablanca et Rabat. Une version inédite qui a suscité des critiques à Essaouira sur les réseaux sociaux, « mais nous n’avions pas le choix. Nous étions sur une légère reprise post-covid et pour des raisons sanitaires la ville d’Essaouira ne souhaitait pas abriter cette édition dans sa dimension habituelle. Nous n’étions autorisés qu’à une seule scène de taille moyenne or nous voulions célébrer et soutenir les Gnaoua et leur inscription à l’Unesco », réplique Neila Tazi.


« Une capitale mondiale de la musique »

Depuis, le festival a repris sa forme traditionnelle et a fêté une 25ème édition pleine de symboles. L’occasion de sceller un partenariat historique avec le Berklee College of Music, sans doute la plus prestigieuse école de musique au monde. Un accord discuté depuis 2011 et « la venue du président de Berklee à Essaouira » nous apprend Neila Tazi qui poursuit : « Il m’a dit ‘vous avez ici une capitale mondiale de la musique’. Vous imaginez, alors même que cette ville ne comptait même pas un conservatoire ». Cet intérêt fait également suite à la médiatisation désormais internationale du festival qui aux Etats-Unis particulièrement, a connu une visibilité inédite depuis que la chaîne CBS lui a consacré l’année dernière, en prime-time, un reportage lors de son émission phare 60 minutes. Bill Whitaker, le présentateur-vedette, s’est déplacé en personne à Essaouira pour expliquer le lien entre la musique gnaoua et celles popularisés par les Afro-américains. Concrètement, le partenariat avec l’institut basé à Boston va permettre à des jeunes marocains et étrangers de bénéficier de cours prodigués par les « meilleurs professeurs du monde et trois fois moins chers que le tarif habituel », d’après Neila Tazi.


En outre, a été annoncée la création d’une chaire dédiée à la culture gnaoua en partenariat avec le Center for African Studies de l’Université́ Mohammed VI Polytechnique de Benguerir (UM6P), dont la charge est confiée au philosophe Ali Benmakhlouf. Un développement transversal qui va toujours dans le sens de la protection d’un patrimoine, aujourd’hui reconnu d’intérêt national. Le Festival Gnaoua, depuis ses débuts en 1998, a considérablement évolué mais tient, aujourd’hui plus que jamais, à préserver un écrin de liberté unique au Maroc, et certainement même au-delà.


Fusions
Des stars et des gnaouas

Alors que les légendaires Rolling Stones s’entichent des musiciens Jajouka du Rif, d’autres pionniers de la musique internationale posent leurs regards sur la confrérie mystique des Gnaouas. Durant les années 1960 et 1970, époque des luttes pour les droits, et des protestations contre les politiques impérialistes, certains artistes, américains essentiellement, vont puiser leur inspiration des grands maâlems du Maroc. C’est le cas par exemple du pianiste newyorkais de génie, Randy Weston (1926-2018) qui va porter le jazz dans une nouvelle dimension. Militant de la cause des droits afro-américains en son pays, Randy Weston se met dans une quête identitaire plus profonde qui le porte en Afrique, où il visite une dizaine de pays. En 1967, le jazzman pose ses valises au Maroc où il est subjugué par la culture gnaoua. Il les évoque ainsi dans une interview au bimensuelle français Jazz News en 2010 : « Les Gnaouas ont été des esclaves, eux aussi ont dû migrer de force en l’occurrence vers le nord du continent en passant par le Sahara. Malgré cela, ils ont emporté avec eux une culture très riche. Rien ne s’est effacé en chemin. Et le lien entre leur histoire et celle des Afro-Américains m’est apparu évident. Ils incarnent l’une des civilisations les plus anciennes et les plus fécondes d’Afrique. Ils sont nos frères et nos ancêtres ». Des frères avec qui il partage la scène du festival Gnaoua d’Essaouira en 2016, qui ne manquera pas en retour de lui rendre hommage après sa disparition.


Dans la même veine de l’ancestralité africaine, La fusion Jazz Gnaoua est enrichit par l’un des plus talentueux saxophoniste américain, Pharoah Sanders (1940 – 2022), également acteur du militantisme pour les droits civiques aux Etats-Unis. Initiateur du free jazz et parmi les fondateurs de l’ethno-jazz, Sanders enregistre avec le maâlem Mahmoud Guinia en 1994, un disque devenu référence Trance Of Seven Colors, en référence aux sept couleurs qui symbolisent la cosmogonie des ‘mlouks’ (esprits) Gnaoua. Son acolyte, le compositeur et saxophoniste Ornette Coleman, a lui aussi effectué son pèlerinage gnaoua en 1973. Dans un autre registre, le mythique groupe britannique de rock Led Zeppelin, succombe eux aussi à la magie gnaoua. Après un voyage initiatique dans le grand sud marocain en 1973, qui inspire le titre Kashmir, le duo leader du groupe, Robert Plant et Jimmy Page reviennent à Marrakech en 1994, après la séparation du ‘band’, pour y enregistrer trois morceaux Yallah, City Don’t Cry et Wah Wah en fusion avec la troupe gnaoua du maâlem Brahim El Belkani.


Avec l’avènement du festival d’Essaouira, les fusions se sont multipliées, dans le pire comme dans le meilleur. Loy Ehrlich, directeur artistique de l’évènement entre 2000 et 2010, se souvient de la difficulté éprouvée par la star nigérienne Keziah Jones, presque conspué sur la grande scène de l’édition 2003 : « Il n’arrivait pas du tout à suivre les changements de rythme du maâlem Abdelkébir Merchane. Il a sans doute plus l’habitude de ceux des roots nigériens ». Abdeslam Alikane, habitué des joutes musicales avec des styles divers et variés, souligne la difficulté de l’exercice : « Les répétitions sont une chose mais la scène en est une autre et la moindre fausse note peut ruiner le spectacle », il précise aussi que « la partie technique la plus difficile à appréhender par les étrangers est de suivre la cadence quand elle s’élève en 6 /8 c’est plus bien compliqué que le 4/4 de base ». En revanche, Loy Ehrlich qui invite toujours les stars qui viennent à Essaouira « à l’humilité » a été impressionné par le « très haut niveau de Pat Metheny, Wayne Shorter et Wayne Shorter qui eux, ont vite compris la complexité d’une fusion avec la musique gnaoua ». Les maâlems ne font pas que recevoir sur leur terre, ils enchantent également les plus grandes scènes du monde, comme lors d’une tournée mémorable au Madison Square Garden de New York et au Bataclan de Paris à l’occasion du Gnaoua Festival Tour, organisé par l’association Yerma Gnaoua en 2017, cette fois, sans fausses notes…

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