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#Portrait
17.02.2016 à 19 H 36 • Mis à jour le 18.02.2016 à 11 H 15 • Temps de lecture : 20 minutes
Par

Haikel, le sphinx du journalisme arabe

PORTRAIT. Mohamed Hassanein Haikel était à la fois le doyen et l'icône du journalisme égyptien. Ami, conseiller et ministre de Nasser, puis de Sadate, il avait prédit depuis plus de trente ans la révolution qui a emporté Moubarak. Autant adulé que haï, il était le dernier monstre sacré des médias arabes.

La voix du vieil homme était cinglante, son esprit comme un rasoir, celui d'un combattant infatigable, d’un monstre de l’écriture, d’un sage aussi pour ceux qui l’ont adulé, peut-être l’historien et le témoin le plus important de l'Egypte moderne. Il était aussi le vétéran indissociable des péchés de la dictature égyptienne, qui l’a porté aux nues avant d’essayer maintes fois de le faire taire.


« La recette de Heikel ? », s’interrogeait Le Monde qui tirait il y a quelques années le portrait de ce journaliste- écrivain « largement méconnu en Occident », alors qu’il était l'un des auteurs les plus célèbres du monde arabe. En Egypte, ses livres sont des best-sellers dont le succès égale ceux de Naguib Mahfouz et sa renommée y est comparable à celle d'Oum Kalthoum.


Le journaliste en discussion avec la diva de la chanson arabe, Oum Kalthoum dans les années soixante au Caire. ARCHIVES AL AHRAM


Son succès est dû à un sens de la formule qui lui permettait de « valser allègrement de l'histoire des idées à l'anecdote la plus anodine », pour le plus grand délice de son auditoire. « Ses récits donnent une idée remarquable des ressorts du pouvoir. Il a imposé une certaine narration de l'histoire nationale qui a profondément marqué les perceptions des Egyptiens », rapportait Le Monde.


Haikal avait l'élégance d'un lord anglais et un corps d’athlète hâlé malgré son grand âge. ARCHIVES AL AHRAM

Un adepte invétéré de la théorie du complot

L'histoire racontée par Haikel est truffée de complots, de conspirations, d'éminences grises, de retournements, d'empires, d'alliances et de plans inaboutis. A l’image de la sienne qu’il entame carnet au poing dans le désert… Selon ses historiographes, Il commence sa carrière en 1942 à la fameuse bataille d'El-Alamein livrée par les troupes britanniques contre l'Afrika Korps allemande de Rommel et qu'il couvre en reporter débutant.


Expert en théories de la conspiration permanente, il a été à l'origine de rumeurs sur l'assassinat de Nasser par Sadate à l'aide d'une tasse de café empoisonné, ce qui lui vaudra un procès en diffamation. Il s'est également illustré en soutenant que la victoire de l'Egypte sur Israël en 1973 était en fait une mise en scène organisée par Sadate avec la complicité des Etats-Unis… Haikel n’a pas non plus été ce vieil homme aux récits aussi mémorables qu’apocryphes. « C’est une bête rusée », disait de lui son ami Robert Fisk, pour expliquer son extraordinaire longévité, faisant de lui le témoin incontestable de son siècle et bien au-delà, traversant de sa plume les époques au gré des soubresauts de l’Histoire. 


Elégance de lord anglais et corps d'athlète hâlé malgré son grand âge, ce flamboyant vieillard avait gardé l'ego légendaire du journaliste qui a su traverser des décennies de dictatures avec un remarquable sens politique. Intime des cercles de décision,  il a su se préserver relativement des foudres du pouvoir en conservant une incroyable légitimité populaire.

Intime de Gamal Abdel Nasser, dont il fut l'ami et le proche conseiller, Haikel a longtemps dirigé la rédaction du quotidien Al Ahram. Ici avec le Raïss à la fin des années 60, lui faisant découvrir une édition du journal. ARCHIVES AL AHRAM

Avec Nasser et les membres de son cabinet, dont Sadate. Haikel avait défendu la révolution des jeunes officiers libres en 1952 qui a chassé du pouvoir le roi Farouk et sa Cour.ARCHIVES AL AHRAM
Quand Hosni Moubarak le libère au lendemain de l’assassinat de Sadate, Heikal croit à l’homme providentiel, dont il chante alors les louanges. ARCHIVES AL AHRAM
« Moubarak a trahi l’esprit républicain –  et il voulait continuer à travers son fils Gamal »
2011

Compagnon révolutionnaire de Nasser dès 1952

Il était présent lors de la révolution des jeunes officiers libres aux côtés de Gamal Abdel Nasser en 1952 se souvenant de l’exaltation des masses populaires portant au pouvoir des démunis au faîte du pouvoir, lui qui a milité, et scandé des slogans contre le roi Farouk et sa Cour, déconnectés des réalités de l’Egypte moderne. Devenu un ami intime de Nasser, il sera le plus proche conseiller du Raïs, qu'il accompagnera jusqu'à son lit de mort et dont il conservera de nombreuses archives.


Ses rapports avec le pouvoir, déjà en dents de scie, se compliquent à la disparition subite de Nasser, en 1970. Auprès d'Anouar El-Sadate, où il joue à l’anti-Kissinger arabe, il exprime ouvertement son hostilité au rapprochement avec les Etats-Unis et aux accords de paix avec Israël. Ses critiques finissent par lui coûter son poste de directeur du journal Al Ahram, l'un des titres les plus prestigieux du monde arabe, et, en 1977, il est assigné à résidence avant d'être emprisonné en 1981.


Quand Hosni Moubarak le libère au lendemain de l'assassinat de Sadate, Heikel croit à l'homme providentiel, dont il chante alors les louanges. « Oui, mais comme un homme de transition », répondit-il sur le tard. « Je pensais qu'il serait président que peu de temps, il est venu de l'armée égyptienne, une institution nationale et aimé. Il a vu Sadate se faire tué par les siens, il était présent lorsque cela est arrivé - et je pensais qu’il allait en tirer un enseignement pour l’avenir ». Mais au fur et à mesure que le nouveau potentat d’Egypte verrouille la presse, ses critiques se font plus acides. « Le journaliste refuse d'intégrer le parti unique et est à nouveau écarté des médias nationaux. En privé et en public, il accable Hosni Moubarak d'une morgue aristocratique, se moquant de son mauvais goût en matière de cigares et de son manque de sens politique. Ses relations, sa renommée et la fortune de ses deux fils, des hommes d'affaires millionnaires qui gravitent dans les cercles du pouvoir, lui garantissent une certaine sécurité », rapportait en 2012, Le Monde.


« Moubarak a trahi l'esprit républicain - et il voulait continuer à travers son fils Gamal » disait-il, le doigt pointé vers le ciel. « Ce fut un projet, pas une idée, il y avait un plan. Les dix dernières années de la vie de ce pays ont été gaspillées à cause de cette question, en raison de la recherche de l'héritage - comme si l'Egypte était la Syrie, ou Papa et Bébé Doc en Haïti », se justifiait alors le journaliste dans une interview à la serpe accordée à la presse britannique.

Symbole vivant du panarabisme nassérien

Au cours des trente ans de règne de Moubarak, Heikel s’éloigne de la politique mais devient grâce à ses écrits un symbole vivant du panarabisme nassérien. Journaliste de talent certes, il n'était pourtant ni un grand écrivain, malgré ses succès en librairie, ni un idéologue de génie, tant il a suriné des années durant sur le mythe de la Oumma arabe unie sous l’étendard d’un socialisme panarabe aussi désuet que faussement idéaliste.


Il était plutôt ce personnage très ambigu au parcours hors norme qui, jusqu’à sa mort, a continué de fasciner des générations entières d’intellectuels, d’hommes politiques de tous bords et de bourgeois affairistes qui se pressaient dans son salon pour dire ensuite qu’ils l’ont connu. Un autre mythe en cache un autre, on raconte  que « Le Maître », mémoire vivante des tréfonds de l'Etat égyptien depuis Nasser, gardait dans ses fameuses  archives personnelles des secrets d'Etat qui font saliver journalistes, historiens, mais font craindre surtout aux apparatchiks du Caire, telle ou telle révélation explosive.


A la veille de la révolution égyptienne et alors que le monde arabe est en pleine effervescence, il rendait visite à Hassan Nasrallah au Liban, ce qui lui a valu une volée de bois vert de la part du régime de Moubarak alors agonisant et excédé de voir le vieux tribun faire son show sur Al Jazeera qui s'est emparée du Oustad, interdit d'antenne en Egypte.  Sa tribune intitulée « Avec Haikel », sera l'une des émissions d'histoire et de politique les plus célèbres et les plus suivies du monde arabe à cette période.

Haikel reçu par Morsi après l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans après la révolution de 2011. Le journaliste a toujours été l'ennemi irréductible des islamistes à qui il préférait un régime militaire. AL MASRI MEDIA CORP

Haikel retrouvait son pêché mignon, celui de présenter sans ambages les printemps arabes comme le fruit d’un quadruple complot : européen, américain, israélien et iranien contre l’unité arabe, déclenchant auprès de la nouvelle génération des sarcasmes qu’il aura très mal vécus. AFP
A la veille de la révolution égyptienne et alors que le monde arabe est en pleine effervescence, il rendait visite à Hassan Nasrallah au Liban, ce qui lui a valu une volée de bois vert de la part du régime de Moubarak. AFP

Une gloire recouvrée à l’aune des révolutions arabes

« Rien, ni ses théories les plus abracadabrantes, ni sa morgue légendaire, n'ont pu empêcher Haikel de tirer de la révolution du 25 janvier 2011 la rançon d'une gloire trop longtemps contrariée », dit de lui Le Monde au lendemain de la chute de Moubarak.


Une semaine à peine après le début de l’embrasement du Caire, il n’hésitait pas à publier un article demandant au vieux dictateur de « prendre son bâton » et de s'en aller, donnant un souffle nouveau aux manifestants de la place Tahrir… « Pendant trois décennies, je suis venu au Caire pour rencontrer Haikel et à chaque fois, il avait prédit l'implosion de l'Egypte avec une conviction absolue, décrivant en détail l’effet dévastateur de la corruption et de la violence du régime de Moubarak, et son effondrement inévitable », écrivait en 2011 dans The Independent, Robert Fisk, son alter-ego du monde occidental, tant les deux hommes avaient des vues similaires sur le chaos et sur les destinées du monde arabe.


Dans sa vieillesse, Haikel a gardé la puissance de son éloquence, une énergie phénoménale, doublée d’une mémoire encyclopédique. Alors que les jeunes déferlaient dans les rues d’Egypte, il se morfondait de ne pouvoir être à leurs côtés, trahi par son âge. « J’ai perdu la chose la plus importante dans ma vie », avait-il regretté avec une candeur douloureuse, parlant de sa jeunesse.


Plus d’un demi-siècle après sa première expérience révolutionnaire, il avait ressenti le même enthousiasme avec la chute de Moubarak qui a « détourné l’idéal des pères de l’Egypte moderne pour installer une dictature violente et folle » avait-il déclaré. « Je craignais que ce serait le chaos. Mais une nouvelle génération en Egypte est arrivée, plus sage que nous un million de fois. Ils se sont comportés d'une manière intelligente et modérée. Ils n’ont pas créé de vide. Dieu merci, l'explosion n'a pas eu lieu », déclarait-il optimiste. C’était avant que Morsi ne soit élu et que Sissi le fasse à son tour tomber de son piédestal pour réinstaller un régime militaire en tous points similaire à celui de Moubarak, avec en plus une chefferie rajeunie et ragaillardie par l’échec des printemps arabes.

S’il n’a pas caché son admiration pour le général Sissi présenté pour ses partisans comme le « nouveau Nasser », « Al Oustad » n’a pas tardé a critiquer son programme à maintes occasions pendant sa campagne pour la présidence, ou sur certains choix concernant sa politique extérieure après son élection. AFP

Un mépris viscéral envers les Frères musulmans

Haikel disait à juste titre toute son inquiétude que tout soit venu par surprise, et que personne ne soit prêt pour la suite. « Dans ces conditions, vous ne pouvez pas prendre les bonnes décisions. Ces gens portent avec eux d'immenses aspirations,  mais les Américains et Israël, et le monde arabe sont poussés à réagir », avait-il déclaré.  « Moubarak nous a tous gardé en suspens (…), Il était comme Alfred Hitchcock, un maître de la surprise, mais cette situation était certes hitchcockienne, mais sans intrigue L'homme improvisait chaque jour -... Comme un vieux renard », commentait Heikal après la chute du dernier grand Raïs, tout heureux des tergiversations d’un Moubarak dépassé par les événements. Haikel n’a jamais caché son mépris pour les fréres musulmans, qu’il accusait d’être « des marionnettes aux mains des Américains ». Tarek Kahlaoui, un conseiller de l’ex-président tunisien Moncef Marzouki a raconté les détails sur sa rencontre avec Heikal en juillet 2013 : «  J’étais venu pour le rencontrer à propos d’une initiative de réconciliation qu’on voulait proposer, il était clair et convaincu que les Frères musulmans ne sont pas qualifiés pour gouverner. Ils les considèrent comme un mouvement de paysans ».


Heikal déplorait depuis les années perdues de « cette révolution transformée en une grande tragédie historique », lui, qui pour la première fois de son existence semblait avoir perdu ses facultés de futurologue sur l'Egypte post révolutionnaire. « Je suis heureux de la présence de l'armée - mais je veux que la présence des gens soit effective. Tous sont perplexes quant à ce qu'ils ont accompli ». Une sortie qui a poussé certains observateurs à lui attribuer un rôle de conseiller du général Abdelfattah Sissi dans la prise du pouvoir contre le régime des frères musulmans. S’il n’a pas caché son admiration pour ce général présenté pour ses partisans comme le « nouveau Nasser », « Al Oustad » n’a pas tardé a critiquer son programme à maintes occasions pendant sa campagne pour la présidence, ou sur certains choix concernant sa politique extérieure après son élection. Il a même osé dire que Sissi était « un doux rêveur » avant sa venue et qu’il devait maintenant « surmonter le choc ».

Une distance hautaine avec le régime de Sissi

Selon plusieurs sources concordantes, Haikel n’a jamais été totalement favorable à la candidature de Sissi à la présidence. Il s’était même montré quelque peu inquiet de la tournure des événements : « Nasser a travaillé en politique et il a vécu avec les frères musulmans et les communistes, Sissi est un pur produit de l’institution militaire et il n’avait aucun contact avec la politique ». Des déclarations qui lui ont valu d’être accusé de « frustré » cherchant sa revanche, parce qu’il a été froidement écarté par Sissi dès son arrivée au pouvoir.


Ecrasante, imparable, sans précédent, pour lui, la nouvelle révolution égyptienne n’aura pas trouvé de grands hommes pour la diriger. « Maintenant nous avons des semi-politiciens qui veulent profiter de cette révolution. Mais le système doit être changé. Les gens ont fait connaître ce qu'ils veulent : quelque chose de différent. Toute la technologie la plus moderne de ce monde a été utilisée dans ce soulèvement, mais l’objectif du peuple est toujours ailleurs ». Moins conciliants, certains le classaient comme un analyste qui adopte à toute époque l’idéologie dépassée de la guerre froide. En réalité, le vieillard est resté fidèle à lui même, à ses idées et à ses pensées. Pour lui,  « ce qui se passe actuellement n’est pas un printemps arabe mais un nouveau  Sykes-Picot pour diviser le monde arabe et partager ses richesses », avait-il déclaré à Al Ahram quelques mois seulement après la vague des soulèvements arabes.

Auréolé de son histoire, le vieillard revenant est apparu sur les plateaux de télévision en Egypte après 30 ans d'absence, tel un messie pour rassurer le peuple démuni en quête de sens : Il ne s’agit pas d’un coup militaire , avait-il alors affirmé dans la précipitation. AP

Une nouvelle vie dans les médias après la révolution

Invité après de longues années de boycott sur les ondes égyptiennes,  Haikel avait répondu quelque peu condescendant : « J'ai été empêché par ordre du gouvernement d'apparaître pendant 30 ans et maintenant vous me dites que les portes sont ouvertes (…) Je suis censé trouver l’invitation honorable ! ». Auréolé de son histoire, le vieillard revenant est pourtant apparu sur les écrans tel un messie pour rassurer le peuple démuni en quête de sens : « Il ne s'agit pas d'un coup militaire », avait-il alors affirmé dans la précipitation. Et, saisi d'un élan juvénile, il remisait ses théories du complot pour déclamer d’une formule dont il a le secret : « Cet événement est sans équivalent dans l'histoire de l'Egypte, ce qui se passe, ce n'est pas la sortie d'un homme, c'est l'entrée d'un peuple. »


Dans ses écrits suivants, Haikel retrouvait son pêché mignon, celui de présenter sans ambages le printemps arabe comme le fruit d'un quadruple complot : européen, américain, israélien et iranien contre l'unité arabe, déclenchant auprès de la nouvelle génération des sarcasmes qu’il aura très mal vécus. Plus réaliste, il posait, la veille de sa mort, un regard plus lucide sur un monde arabe déliquescent et plus que jamais instable : « Le monde arabe est entré dans une phase du vide, il y’avait une idée qui s’est effondrée, des puissances régionales ont vu le jour, sans que l’on puisse créer une force alternative. Pour y arriver, il faut un peu de crédibilité et personne ne l’incarne. Tous avancent de beaux discours, mais personne ne signifie ce qu’il dit vraiment, et personne n’a un diagnostic réel », concluait Haikel quelques mois avant de tirer sa révérence. Un diagnostic alarmant de ce grand connaisseur de la région, lui même bouleversé par des transitions démocratiques inachevées, les guerres civiles interminables, et forcé comme d’autres figures à choisir entre le chaos et la dictature.


Durant les deux dernières années de sa vie, il a enchainé des interviews à un rythme industriel pour expliquer sa vision du monde actuel. Une vision difficile à décortiquer, souvent illisible. Excellent client des plateaux télévisés, il avait un mot pour tout, de la guerre en Syrie pour laquelle il regrettait que Bachar soit l’objet d’une incompréhension, de la Libye, victime pour lui de l’indécence occidentale, du Yémen, arrière-cour d’une opposition avec l’Iran dont il déplorait la rupture avec les Arabes, de l’accord sur le nucléaire entre Téhéran et Washington dont il assurait la vacuité, de Daech, « pure produit de la politique de Riyad, d’Erdogan sans avenir » etc... Dans une longue interview accordée au journal Assafir en juillet 2015, le vieux routier de la presse, évoquait pêle-mêle tous les dossiers chauds de la région, ressassant ses antiques rengaines contre les monarchies arabes rétrogrades.

Durant les dernières années de sa vie, Haikel a enchainé des interviews à un rythme industriel pour expliquer sa vision du monde actuel. Une vision difficile à décortiquer, souvent illisible.

Des récits apocryphes sur Hassan II

Au Maroc, il était surtout connu pour ces diatribes contre Hassan II, qu’il a souvent accusé d’être directement impliqué dans l’affaire du détournement de l'avion des leaders du FLN durant la guerre d’Algérie en 1956. Des déclarations démenties par Houcine Aït Ahmed, l’une des figures de la révolution algérienne. Autant fasciné que critique envers Hassan II, il a souvent relaté des anecdotes pour la plupart sorties de son imagination débordante.


Lors d’une de ses émissions sur Al Jazeera, il a déclaré qu’il était au courant du putsch de Skhirat deux ans avant les faits, rapportant qu’il faisait partie de la délégation égyptienne officielle accompagnant Nasser lors d’un sommet à Rabat en 1969 : « L’un des officiers qui ont participé au putsch m’a visité à mon hôtel et m’a informé de ce qu’ils préparaient », avait-il prétendu. A d’autres occasions, il avait accusé Hassan II, alors prince héritier, d’avoir entretenu des liens avec Israël. « Il ne croyait pas vraiment dans le rôle du peuple marocain dans la libération du joug colonial, c’est pour cette raison qu’il était entré en contact depuis son exil avec Mohammed V à Madagascar avec le lobby juif en Israël et partout dans le monde », disait Haikel. Ce dernier colportait aussi l’histoire des écoutes ordonnées par le roi lors du sommet arabe de 1965, où Hassan II aurait permis aux israéliens d’être au parfum des plans de guerre de la coalition arabe…De son côté, Hassan II, exaspéré par « le porte-plume de Nasser », l’a toujours considéré comme un imposteur sans épaisseur et sans talent véritable.


Pourtant Haikel disait à qui voulait bien le croire, avoir déjà rencontré à maintes reprises le défunt roi, évoquant même un entretien qui aurait duré près de 6 heures à Fès. Une assertion démentie par plusieurs sources, dont le journaliste soudanais Talha Jibril, habitué des arcanes marocaines. «  Haikel a en effet croisé Hassan II à quelques occasions, mais leurs entrevues n’ont pas dépassé le cadre protocolaire », relativise le journaliste. « En ce qui concerne la rencontre de Fès, ce que je sais, d’après ce que m’a raconté le conseiller royal Bensouda, c’est que Haikel a patienté plus de deux heures avant que le roi ne le convie pour le diner, et que la discussion n’a pas duré plus de 20 minutes à son issue », avait rapporté Jibril dans un article au canon contre Haikel, qu’il accusait de mythomanie et de fanfaronnade. 


Personnage unique dans les annales de la presse arabe, le patriarche, pris au piège de ses idées d’un autre temps et dans son corps presque centenaire, a fini sa vie quelque peu reclus dans son sanctuaire au-dessus du Nil, au milieu de ses grimoires, de ses tapisseries anciennes, et dans l'odeur et les volutes des cigares fins qu’il offrait à ses visiteurs d’un soir pour les séduire et leur raconter autant ses souvenirs avérés que ses fables de vieux conteur.

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