Quartier de Moghougha Lakbira, dans la banlieue Est de Tanger. Une fumée épaisse couvre les collines qui surplombent ce quartier industriel. À quelques encablures de la gare de triage ultramoderne abritant les treize rames du futur TGV, il suffit d’emprunter un petit chemin balisé par le passage de multiples camions à ordure, pour se propulser dans un univers digne de Germinal.
Dans ce lieu oublié, Tanger Métropole, sa marina, sa forêt d'immeubles et sa frénésie de développement semblent si lointains. A mesure que l’on progresse sur la piste qui serpente à flanc de collines, l’odeur des ordures brulées rend l’air de plus en plus irrespirable.
Arrivés à proximité de la décharge, quelques dizaines de personnes viennent à notre rencontre pour exprimer leur colère. Si la partie qui surplombe le quartier est construite en dur, le reste des habitations est fait d’un amoncellement de plaques de plastique et ds couvertures récupérées sur la montagne d’immondices.
L’angle mort de Tanger
« Quand le roi est en visite à Tanger, ils brûlent moins d’ordures, de peur d’infester la ville quand le vent tourne. Nous autres, on s’est habitué à l’air irrespirable du lieu », explique Abdelilah Mrizik. Avec sa longue barbe, son physique de boxeur et son regard malicieux, Abdelilah est d’une vitalité sans limites.
Cheville ouvrière de son quartier, il a été désigné par la population pour défendre leur cause auprès des autorités. Ancien sympathisant du PJD, il vit désormais avec le sentiment que le parti de la lampe a lâché les populations des quartiers miséreux. Il nous conduit à la décharge qui est l’unique source de revenus des sans-culottes qui habitent ici.
« Les gens travaillent 24h sur 24 et 7 jours sur 7 pour récupérer du plastique, des métaux et parfois même de la nourriture. Lors du mariage du prince saoudien qui a été célébré à Tanger en août dernier, des dizaines de caisses de plastique remplies de méchoui échouaient ici. La population, très pauvre, s’est régalée avec ce festin », raconte Abdelilah. Alors que la nuit tombe, les chiffonniers, torche vissée au front, continuent de fouiller les ordures.
« La vente de bouteilles en plastique nous rapporte jusqu’à 80 dirhams par jour. Mais nous vivons en sursis et les autorités nous mènent la vie dure », narre Abdeslam, 38 ans. Originaire de Fès, il vit dans une baraque de fortune avec sa femme, ses trois enfants et sa vieille mère. Comme lui, ils sont des dizaines à s’installer à proximité de la décharge. Un casse-tête pour les autorités locales qui usent de tous les moyens pour endiguer l’exode rural dans la ville.
Le jeu du chat et de la souris
Ce qui est frappant dans ce quartier poubelle, c’est la solidarité entre les habitants qui ont bénéficié d’un lopin de terre pour construire une maison et ceux qui attendent leur tour pour bénéficier du programme de recasement. Mais c’est sans compter avec la férocité des autorités qui ne veulent pas que des nouveaux arrivants s’y installent.
« Les autorités organisent de façon sporadique des expéditions punitives, brulent nos baraques de fortunes et jettent nos affaires personnelles au milieu des détritus. En plus de l’humiliation, nous subissons les caprices de la nature et l’odeur toxique et pestilentielle de la décharge », raconte, dépité, Abdeslam. En raison de leur incapacité à obtenir un certificat de résidence, les familles ne disposent pas de livret de famille et les enfants nés dans cet enfer n’ont aucune existence légale et se trouvent donc privés de l’accès à l’école.
Dans ce triste théâtre, la présence de plusieurs salafistes est frappante. De quoi inquiéter les autorités dans le contexte tendu de la lutte contre le terrorisme. Mais Abdelilah nous apporte son éclairage : « Dans ce coupe-gorge, les salafistes, les voleurs et les drogués vivent en bonne intelligence. On survit tous au jour le jour et ce ne sont pas les diatribes mielleuses des candidats aux élections qui vont changer quoi que ce soit ».
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.