Il a suffi d'un banal contrôle routier pour dénuder l’arbre, puis la forêt. Le 10 juin 2015 à Mornas, dans le sud de la France, une Audi A5 immatriculée en Allemagne interpelle les douaniers. Une cachette aménagée est découverte, au-dessous de la banquette arrière. Pour ouvrir « el hofra » (« le trou »), il fallait démarrer le véhicule, mettre en service le dégivrage et presser le bouton d'une télécommande. Dans la petite planque : 297 940 euros ( €) en petites coupures.
Sitôt cueillis, Achraf El Jaouhar, le conducteur, 31 ans au moment des faits, ainsi que son passager Mohamed Boussakouran, 30 ans, sont placés en détention. Leurs agendas téléphoniques sont disséqués, la liste de leurs contacts auscultée. Un numéro marocain, par le passé en communication avec eux, cesse subitement toute activité à la suite de leur arrestation. Les enquêteurs attribuent dès lors à son propriétaire un possible intérêt dans l’entreprise délinquante du duo. Pour le débusquer, ils procèdent par capillarité : les principales lignes jointes par le numéro initial sont mises sur écoute. Au terme des interceptions, on retrouve des interlocuteurs en France, en Belgique, aux Émirats arabes unis, aux Pays-Bas et au Maroc. Celui localisé aux Émirats est lié à Nawar Hadrazi Radwan, un énigmatique trader qui réinjectait l'argent de la drogue dans le circuit légal moyennant une commission variant entre 3 à 4 %. La ligne belge allait mener les limiers sur les traces de la famille Zechnini, relais du réseau en Europe. Ceux-ci organisent les rendez-vous, coordonnent la collecte des fonds, acheminent les sommes récupérées et gèrent la comptabilité. Plus de deux millions d'euros sont découverts à leur domicile, entassés dans des boîtes de rangement Ikea.
Rôdant principalement entre Colombes, en région parisienne, et Grande-Synthe, dans les Hauts-de-France, un numéro est rattaché à Abdelakrim Daoudi, ancien garagiste au casier judiciaire vierge. « Ce gars, c’est la confiance ! », s'exclamait à son sujet Mustapha Zechnini, patriarche du clan. Pièce centrale du dispositif criminel, Daoudi récolte, achemine et stocke l'argent pour le compte des Zechnini.
Tandis que les auxiliaires s'activaient en Europe, les donneurs d'ordre opéraient en périphérie. C’est au Maroc que l’on identifie Sallam Chaabani. Selon les documents judiciaires consultés par Le Desk, Sallam, aidé de sa comptable Hind Zouiten, dirigeait l’organisation et gardait, depuis Casablanca, un œil sur la besogne quotidienne en France, en Belgique et ailleurs.
L’organisation s’appuie sur une infrastructure hiérarchisée et ordonnée : qui ramasse l’argent des trafiquants au cours de rendez-vous furtifs, qui le dissimule, qui le transbahute vers d’autres destinations, qui l’inocule dans le système financier légal puis reverse les bénéfices, et qui tient les comptes. Le théâtre des opérations s’étend de Casablanca à Paris, la Belgique et les Pays-bas, l’Espagne et les Emirats. Cette gigantesque lessiveuse clandestine, qui a pu se jouer des frontières pendant plusieurs années, a prospéré en adoptant de multiples précautions opérationnelles.

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