Chaque année, des milliers de migrants d’Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée, Burkina Faso, Cameroun…) cherchent à rejoindre l’Europe, chacun avec leur histoire et leurs raisons. Ils entrent clandestinement au Maroc depuis l’Algérie ou la Mauritanie, et par manque de moyens choisissent la voie terrestre, plutôt que des traversées par voie maritime. Ils se dirigent ensuite vers l’une des deux frontières qui séparent le Maroc de l’Espagne. Les chances pour rejoindre une des enclaves sont minimes, certains migrants peuvent se retrouver bloqués au Maroc plusieurs années à tenter de « Boza » ( réussir le passage en Europe dans le jargon des migrants ).
Le massif de Gourougou
Le massif de Gourougou constitue un point stratégique à l’approche de la frontière qui sépare le Maroc de Melilla, que les migrants soient de nouveaux arrivants ou d'anciens refoulés. Des individus continuent d’arriver chaque jour des quatre coins du royaume, afin de tenter à nouveau leur chance à la frontière.
Le quotidien au campement
Le campement est divisé en plusieurs « ghettos », selon le jargon utilisé par les migrants. Chaque ghetto est composé d’une dizaine de personnes : ils désignent un chef qui sera ensuite porte-parole du groupe auprès du "gouvernement" en cas de problème ou de conflit à résoudre.
Pour s’abriter, les migrants construisent des abris de fortune à l’aide des branches d’arbre, qu’ils recouvrent de couvertures. Ils ajoutent une bâche en plastique pour les rendre étanche. Beaucoup dorment dehors à même le sol avec seulement une couverture. Ils craignent les descentes régulières des forces auxiliaires marocaines qui détruisent les abris, brulent les affaires et la nourriture des migrants. Ces épisodes, appelés « Bombola » ou « Bombola générale », sont parfois accompagnées d’arrestations et refoulements forcés vers d’autres villes du Maroc, loin de la frontière.
La « Bombola générale » : Grande opération de ratissage du campement, accompagnée de plusieurs arrestations. Elle survient en générale une fois par an.
L’état du campement ainsi que les conditions climatiques de la région peuvent par moment rendre la vie très compliquée pour les migrants. S’ajoute à cela la fatigue, la malnutrition, et la présence de quelques cas d’intoxication. Certaines personnes ont des difficultés à passer de longues périodes en forêt, et alternent des séjours entre Gourougou et l’une des bases arrières, loin de la frontière.
Les préparatifs à l’attaque
Le chemin jusqu'à la barrière
« J’ai fait beaucoup de route pour arriver au Maroc, et j’ai vu trop de souffrance sur le chemin vers l’Europe. L’Aventure ( utilisé par les migrants pour signifier le voyage vers l’Europe) n’est pas une chose facile, il faut avoir la volonté et le courage pour tenir jusqu’au bout. j’ai déjà fait huit mois ici à Gourougou, huit mois de souffrance, on ne mange pas bien, on ne dort pas bien, il fait froid, et il a même neigé cette année. Huit mois à tenter d’escalader la barrière, mais en vain. » Le 9 mai 2017, il réussit à escalader la frontière, et a rejoint le CETI (centre d'accueil des migrants) de Melilla avec 108 autres personnes.
Les hommes sont prêts, une atmosphère différente des autres soirs s’est installée, la lune est lumineuse et éclaire la foret du massif Gourougou. Un silence règne sur le campement, les migrants échangent moins entre eux, chacun est concentré dans son coin et avale un dernier repas. Ils se mettent autour du feu, et attendent 22 heures pour se mettre en file indienne, et se lancer dans une longue marche qui les mènera jusqu’à la barrière, si tout se déroule comme prévu. Sur la carte, la frontière est située à deux heures de marche du campement à vol d'oiseau. Toutefois, les migrants sont contraints de prendre des détours par les collines environnantes pour ne pas se faire remarquer par les forces auxiliaires marocaines, ce qui rallonge le trajet de 8 à 10 heures supplémentaires.
Avec les moyens mis à disposition pour protéger la frontière, les migrants sont fréquemment repérés sur le trajet avant même d’approcher la frontière. Dans ces cas là, soit ils arrivent à prendre la fuite et revenir au campement, soit ils se font arrêter, et seront refoulés de force vers l’une des villes de l'intérieur du royaume, parfois même dans le sud du pays...
L’attaque de la barrière
Frontières de non droit pour les migrants
Depuis mars 2015, à l’ouverture du bureau d’enregistrement des demandes d’asile à la frontière de Melilla, le gouvernement espagnol a durci la politique migratoire à destination des personnes tentant d’entrer illégalement en Espagne.
Le Boza
Keïta, un jeune Malien de 19 ans, a grandi dans une famille d’agriculteurs du cercle de Bougouni, au sud de Bamako. A l’âge de 10 ans, il quitte sa famille pour travailler dans une ferme de poulet. Un an plus tard, il décide de rejoindre Bamako. Avec l’aide d’un proche, il trouve un travail dans une boulangerie. Puis quelques années plus tard il commence à rêver d’Europe. Le 12 décembre 2012, il quitte Bamako. Il réussit sa traversée et arrive en Algérie. Trois mois plus tard , il part en Libye et parvient à travailler comme manoeuvre, puis peintre. Au bout de 9 mois, alors qu’il avait assez d’économies pour payer sa traversée vers l’Italie, il se fait arrêter sur son chemin vers Tripoli, puis emprisonner pendant 3 mois. À sa sortie de prison, il retourne en Algérie, travaille pendant 3 mois, puis repart tenter sa chance du côté marocain. En juin 2014, il arrive à Gourougou pour la première fois. Après 3 mois de tentatives, n’arrivant pas à rentrer à Melilla, il repart travailler en Algérie. En février 2015, Keïta revient au Maroc pour tenter à nouveau sa chance. Quelques mois plus tard, il se casse la cheville durant une des tentatives d’escalade de la frontière et se fait hospitaliser. Il séjourne 3 mois à la résidence de Médecins Sans Frontières à Nador, puis part se reposer pendant 3 mois dans le bidonville de Fès. Depuis fin 2016 il est de retour au campement de Gourougou, et continue de rêver du jour où il rentrera à Melilla.
Une fois qu’ils ont relevé le défi pourtant quasi impossible de passer la frontière, les migrants doivent courir dans l’enclave espagnole pour rejoindre le CETI (le Centre de séjour temporaire pour immigrants). Tant qu’ils n’ont pas atteint le centre, il peuvent toujours se faire arrêter par la Guardia Civil et être refoulés au Maroc.
Le CETI, le Centre de séjour temporaire pour immigrants (CETI) a été construit en 1999, à l’extérieur de la ville de Melilla. Conçu avec le cofinancement de l’Union européenne, le CETI de Melilla a été prévu pour accueillir 480 personnes. Ses capacités d’accueil sont très souvent dépassées et le CETI a déjà pu accueillir trois fois plus de personnes que ce qui est normalement prévu.
Les migrants sont pris en charge par le centre, à leurs arrivés ils donnent leurs empruntes et récupèrent une carte pour rentrer et sortir du CETI, ainsi ils peuvent circuler librement dans la ville de Melilla. Le CETI prend en charge trois repas par jour, et offre des cours d’Espagnol à l’ensemble des résidents. La plupart des migrants passent leurs temps à tourner en rond dans le centre, ils sont dans les dortoirs à discuter en petite communauté ou sur le terrain de foot.
L’attente au Campo
En effet, ces transferts depuis les enclaves vers la péninsule espagnole ne sont aucunement régulés, puisqu’aucune loi ne les encadre. De ce fait, personne ne sait quand il va partir, et cette attente affecte particulièrement, notamment psychologiquement, les gens qui attendent dans le CETI.
Lire aussi : la première partie de ce reportage
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.