Le cas Kaoutar Fal, espionne du Maroc selon les autorités belges
Kaoutar Fal, 32 ans, célibataire d’extraction sociale modeste, native de Casablanca et demeurant à M’diq, est-elle, comme le prétend la Belgique, une Matahari à la solde de la DGED, le service de renseignement extérieur marocain ?
Une « menace pour la sécurité nationale » belge
Celle qui se présente à la fois comme fondatrice et présidente de l’Organisation internationale des médias africains (OIMA) depuis février 2017, et directrice générale de Fal’s Consulting, sa propre agence de lobbying basée depuis 2014 à Casablanca est, selon une note de la Sûreté de l’État belge datée du 15 mars 2018, une « espionne » du Maroc. Celle-ci considère que l’intéressée « constitue une menace pour la sécurité nationale », car elle a constaté que « Fal et ses organisations sont activement impliquées dans des activités de renseignement au profit du Maroc ».
Par ailleurs, ajoute la note des services de contre-espionnage belges dont Le Desk a consulté le contenu, Kaoutar Fal « est également en contact avec des personnes qui sont connues par la Sûreté de l’Etat pour leurs activités en faveur de services de renseignement étrangers offensifs ou pour des liens avec ceux-ci ».
La Sûreté de l’Etat belge estime également qu’il faut « empêcher l’intéressée d’accéder au territoire au territoire et de se déplacer dans l’espace Schengen afin de mettre fin à ses activités et au danger qu’elle représente ».
Aussi, l’Office des étrangers dépendant du Service public fédéral intérieur, tente depuis plus d’un mois de la renvoyer au Maroc. Le 29 mai dernier, à son arrivée à l’aéroport de Charleroi en provenance de Rabat, la police des frontières l’a informée que son visa, pourtant « valable jusqu’en décembre 2019 », avait été abrogé à la suite de l’analyse de la Sûreté de l’État.
Jusqu’ici, elle disposait d’un visa pour entrées multiples qui lui permettait de voyager librement en Belgique où elle a établi son QG avenue Louise en plein quartier chic de Bruxelles sans pourtant être en possession d’un titre de séjour conforme à ses activités, estiment les autorités belges.
Fal a alors été transférée au centre fermé Caricole 127 bis à l'aéroport Steenokkerzeel près de Zaventem en vue de son refoulement vers le Maroc. Elle a cependant fait « un recours en extrême urgence auprès du Conseil du Contentieux des Étrangers qu’elle a gagné au motif que la note de la Sûreté de l’État la concernant était apparemment trop imprécise », rapporte le média bruxellois La Capitale. L’Office des Étrangers a alors redemandé à la Sûreté de l’État de préciser sa note avant de reprendre une nouvelle décision de refoulement à son encontre pour pouvoir continuer à justifier sa détention.
Kaoutar Fal, « qui se défend farouchement d’être une espionne », ajoute la même source, a introduit un second recours qu’elle a cette fois perdu. Elle s’est alors assuré les services de Me Julien Hardy, « redoutable spécialiste du droit des étrangers », qui lui a obtenu gain de cause le 9 juillet. « La Chambre du conseil et, puis, la Chambre des mises en accusation de Bruxelles ont toutes deux constaté que l’Office des Étrangers avait procédé de manière illégale pour justifier rétroactivement la détention de ma cliente et sa libération immédiate a été ordonnée », a déclaré Me Hardy. A l’agence Belga, ce dernier évoque « un cas de privation illégale de liberté ».
Ramenée le 9 juillet au soir à l’aéroport de Charleroi où elle pensait pouvoir récupérer son passeport, Fal a de nouveau été renvoyée par la police en centre fermé 127 bis, après un nouvel avis de l’Office des Étrangers. Le lendemain, et grâce à une intervention de sa défense, elle retrouvait sa liberté, mais pour une courte durée. Dès le 11 juillet, alors qu’elle s’apprêtait à rencontrer un eurodéputé, Fal a encore une fois été interpellée à l’issue d’un contrôle dans le cadre du sommet de l’OTAN et renvoyée de nouveau en centre fermé.
« C’est de l’acharnement visant à contourner les décisions de justice. On lui reproche de ne pas avoir quitté le pays, mais elle ne saurait pas le faire tant que l’Office des Étrangers refuse de lui rendre son passeport », s’est indigné Me Hardy dans une déclaration à La Capitale.
L’ascension rapide d’une « femme d’influence »
Inconnue du grand public il y a à peine quelques années, Fal a été subitement présentée dans les médias officiels marocains, dont l’agence MAP, tantôt comme une femme d'affaires influente, tantôt comme une journaliste établie en Belgique. Plusieurs articles l’ont ainsi affublée de divers titres et statuts : ambassadrice itinérante, conseillère économique, docteur, et amie proche de chefs d’Etat…
Selon son profil Facebook, la jeune femme était employée du voyagiste TUI Fly avant de fonder Fal’s Consulting en 2014. Installée dans le nord du Maroc, elle s’est fait remarquer en avril 2015 en organisant à Tétouan un colloque de l’Association des femmes chefs d’entreprises (AFEM) sur la « régionalisation avancée ». La même année, elle fait partie des invités du forum Crans Montana de Dakhla, grand-messe para-diplomatique annuelle qui fait la promotion de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, où elle multiplie les selfies avec Dominique de Villepin, le révérend Jesse Jackson ou encore José Luis Zapatero. Des images qu’elle mettra en évidence sur son site internet pour faire valoir ses qualités en relations publiques et magnifier sa biographie.
Un an plus tard, elle apparaît aux côtés de Mustapha Belktibia, promoteur du site Asdae Maghribia et cheville ouvrière de l’Observatoire international des médias et de la diplomatie parallèle (OIMDP), une association qui s’active dans la propagande d’Etat. C’est en sa qualité d’ambassadrice de l’OIMDP qu’elle participera pour la seconde fois en 2016 au forum Crans Montana.
Sur sa lancée, et manifestement inspirée par son passage à l’OIMDP, elle créé alors sa propre organisation, l’OIMA, début 2017, à Bruxelles, celle-là même qui est dénoncée aujourd’hui par les autorités belges comme étant une officine du renseignement marocain. Elle accroît alors ses activités, toujours pour défendre les positions de son pays selon les mêmes thématiques officielles : Sahara, Afrique, UE, etc.
Selon un billet à charge publié sur la plateforme de blogs Medium, lors de ses tribulations en Belgique, la lobbyiste multicarte a très vite tissé un impressionnant réseau de relations auprès du milieu de la presse bruxelloise, « proposant même à certains médias francophones de leur obtenir des financements ». Elle a ainsi, selon nos sources, collaboré au magazine Yambola, dédié au « partenariat Afrique-Europe-Maghreb », qui sert essentiellement la communication des chefs d’Etat africains. Le titre, édité par le belgo-congolais Jean Boole Ekumbaki, ancien exilé du régime de Mobutu en 1993, n’a eu de cesse d’encenser le Maroc par une série d’articles et de dossiers élogieux (feuilleter le fichier ci-après) qui lui ont valu autant de citations dans la MAP en sa qualité « d’expert des relations Afrique-UE ».
Kaoutar Fal s’est fait notamment connaître à travers son instance, l’OIMA, par l’organisation le 7 mars 2017, soit un mois à peine après sa création, d'une réunion au Parlement européen intitulée « L’avenir des musulmans en Europe entre le dialogue des religions et l’islamophobie », à laquelle ont participé outre le député Afzal Khan, ancien maire de Manchester et co-organisateur de l’événement, une brochette d’intervenants dont le belgo-marocain Fouad Ahidar, premier vice-président du Parlement de Bruxelles et Khalid Hajji, secrétaire général du Conseil européen des oulémas marocains.
C’est cependant l’intervention du Saoudien Muhammad bin Abdul Karim bin Abdulaziz Al-Issa, secrétaire général de la Muslim World League, premier orateur invité à cette réunion, qui a retenu l’attention compte tenu du contexte tendu à l’époque entre Riyad et Bruxelles « juste après le retrait de la Grande Mosquée de la sphère d'influence saoudienne, par crainte des sermons religieux appelant à l'extrémisme », note l’article paru sur Medium. La présence de Jamel Saleh Momenah, directeur de la Grande Mosquée de Bruxelles, démis de ses fonctions en mars dernier suite à des tractations avec l’Arabie saoudite, « a été vécu comme une nouvelle ingérence de Riyad sous couvert de cette conférence », assurent nos sources.
Selon ces mêmes sources, le coût de ce conclave particulièrement élevé, estimé à plusieurs milliers d’euros, en particulier pour la prise en charge des invités étrangers, aurait été entièrement réglé en espèces par Kaoutar Fal, alors que l’OIMA ne dispose pas de compte bancaire en Belgique. « La question est de savoir comment Kaoutar Fal est parvenue à réunir tout cet argent ? », s’est interrogé l’auteur du billet publié sur Medium, qui précise que selon la loi belge, « les organisations subventionnées doivent avoir un compte bancaire, de sorte que toutes les transactions financières se déroulent conformément à la loi. Ce n'était pas le cas de la réunion que Fal a organisé à Bruxelles ».
Au Maroc, aucune réaction officielle n’est venue commenter le cas Fal et les Affaires étrangères ne lui reconnaissent aucun statut. Une source sécuritaire autorisée assure par ailleurs au Desk que « l’attention a été attirée sur l'intéressée dans le cadre du suivi par les autorités belges des activités liées au radicalisme du Centre Islamique et Cultuel de Belgique lié à la Ligue Islamique Mondiale » et que dans ce sens, « il se pourrait qu’elle travaille avec un autre pays… »
Pourtant, fin novembre 2017, et à la veille du Sommet UE-UA, elle monte, toujours au Parlement européen et avec le soutien actif de Rabat, la première édition du Globe’s Forum – Listen to Africa pour « promouvoir la région de Dakhla Oued Eddahab », flanquée d’Ahmed Réda Chami, l’ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, invité en guest speaker et de Gilles Pargneaux, président du groupe d’amitié UE-Maroc et fervent défenseur de la « marocanité » du Sahara Occidental. Des sources proches de la Mission diplomatique du Maroc auprès de l’UE disent apprécier « l’engagement de Kaoutar Fal pour le Maroc », mais affirment « ne rien savoir sur ses financements ».
En février 2018, le premier anniversaire de l’adhésion du Maroc à l’Union africaine lui offre l’occasion d’organiser la Conférence africaine de Chefchaouen où elle convie l’ex-président des Comores, un ministre de Guinée-Conakry, un conseiller du président sénégalais Macky Sall et le consul honoraire de Gambie…
Encore une fois, à Rabat, cette initiative est qualifiée de « privée et non officielle ». Cependant, toutes ses activités prises aujourd’hui pour « minimes et sans grand impact », ont été systématiquement relayées par l’agence MAP et le site Le360 en des termes ronflants qui la présentent comme une personnalité incontournable de la diplomatie parallèle marocaine.
Mais pour la Sûreté de l’Etat belge qui scrute ses déplacements, son train de vie est assurément suspect. La location, payée d’avance pour un an, d’un luxueux pied à terre pour 1 500 euros par mois au cœur de l'un des quartiers les plus huppés de Bruxelles, qui selon sa déclaration, devait lui servir pour ses séjours réguliers dans la capitale belge « afin de rencontrer des partenaires professionnels et des amis » ne cadre pas avec son statut.
Alors que Kaoutar Fal a estimé devant les enquêteurs qu’elle « subissait un préjudice car elle doit payer le loyer de son appartement sans pouvoir y résider », l’Office des Étrangers a cependant établi dans son procès-verbal de refoulement daté du 7 juin 2018 dont Le Desk détient copie, « qu’au cours des six derniers mois, Mme Fal n’a passé que 23 jours dans l’espace Schengen (…) qu’elle n’envisageait cette fois qu’un séjour de trois jours, qu’elle ne s’est jamais présentée à l’administration communale pour y faire de déclaration d’arrivée et qu’elle n’a pas fait non plus de demande de long séjour en Belgique ». Par ailleurs, note la même source, « la Police fédérale nous a informés que le prochain séjour de Mme Fal en Belgique n’était prévu qu’en septembre. Malgré cela, Mme Fal a elle-même choisi de louer un appartement plutôt que de séjourner à l’hôtel ». La police cherche alors à savoir comment Fal peut louer une maison en Belgique sans disposer de documents de résidence.
Le rabbin Moshe Friedman à la rescousse
Dès sa première interpellation à l'aéroport de Charleroi, Kaoutar Fal a reçu le soutien de Moshe Aryeh Friedman, un rabbin controversé originaire de Brooklyn et résident à Anvers, qui par un post sur son compte Facebook, a accusé Radouan Bachiri, producteur d’événements et activiste de Bruxelles, d'être un informateur des services secrets belges ayant causé l'arrestation de la marocaine. Ce dernier aurait, en réplique, porté plainte contre le religieux juif pour diffamation. Akhbarona Aljalia, journal de la diaspora marocaine publié à Bruxelles, développe la même thèse que Friedman. « Il la décrit comme une victime d'un authentique espion marocain qui, pour se venger, l'a dénoncée à la Sécurité d'Etat, qui avait déjà remarqué Fal en invitant l'imam controversé de la Grande Mosquée de Bruxelles à son événement », rapporte le journal espagnol El Confidencial.
Selon des sources proches de l’affaire, « Friedman a remué ciel et terre pour faire libérer Fal et a organisé pour elle un avocat pour 6000 euros ».
Le pedigree de Moshe Friedman interroge lui aussi. Celui-ci avait du quitter les Etats-Unis en 2011 après avoir soulevé une vive polémique au sein de sa communauté pour avoir participé à une conférence anti-sioniste et négationniste à Téhéran. Après un passage par Vienne où il a exercé avant d'être banni de son culte, il s’est établi en Belgique. Devenu proche de Fal dans le cadre de ses activités inter-religieuses, il s’est vu attribué une carte de membre de l'organisation de Mustapha Belktibia avant de rallier l’OIMA. Une proximité qui lui a valu d’assister à toutes les conférences organisées par son amie Kaoutar Fal, à Bruxelles et à Chefchaouen, sans compter quelques voyages d’agrément en famille au Mövenpick de Tanger pour le Noël 2017 ou encore à Cabo Negro et Marrakech pour le Nouvel an 2018. A chacune de ces occasions, il n’a pas manqué de chanter les louanges du Maroc et de son roi sur les réseaux sociaux, posant pour les photographes avec des officiels, dont le porte-parole du gouvernement Mustapha El Khalfi lors d’une réunion de l’OIMDP au Berbère Palace de Ouarzazate en mai dernier…
Kaoutar Fal et l’affaire Bouachrine…
Fait troublant, au Maroc, le nom de Kaoutar Fal a été cité dans la presse à l’occasion de l’affaire Taoufik Bouachrine. Elle a fait partie de la liste des supposées victimes sexuelles ayant décidé de témoigner contre le journaliste et directeur du groupe Akhbar Al Yaoum dans la sombre affaire des sextapes pour laquelle il est actuellement en cours de jugement. La plaignante avait fait savoir à L’Observateur du Maroc et d’Afrique, un média dont le directeur, Ahmed Charaï, est réputé pour sa proximité avec la DGED, toute sa détermination à « aller jusqu’au bout dans sa plainte contre Bouachrine ». A l’ouverture du procès, son nom disparaitra pourtant du dossier d'accusation...
El Confidencial rappelle enfin que ce n’est pas la première fois que la Belgique suspecte des ressortissants marocains de travailler pour la DGED, mais précise que Kaoutar Fal est la première femme à être ainsi sous le coup d'une expulsion. « Pour ne pas susciter la susceptibilité de Rabat, d’autres reconductions pour les mêmes raisons ont déjà été opérées en Espagne et en France, mais avec discrétion », ajoute la même source, citant l’exemple de l’agent marocain Noureddine Ziani, expulsé par Madrid en mai 2013 alors qu’il s’activait en Catalogne.
Contacté par Le Desk, Me Julien Hardy, l'avocat de Kaoutar Fal n'a pas répondu à nos sollicitations.
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