Madrid prépare un plan d’urgence pour ses enclaves asphyxiées par Rabat
L'Espagne cessera d'être sur la défensive à Ceuta (Sebta) et Melilla. C’est ce que démontre un plan stratégique pour lutter contre « l'asphyxie économique » des deux villes autonomes par le Maroc élaboré en urgence par Madrid, rapporte El Pais.
Pour la première fois, un document officiel espagnol met clairement en garde contre la détérioration rapide de la situation sociale dans les deux enclaves situées en terre marocaine, relève le quotidien madrilène. Parallèlement à la « déconnexion économique » avec la zone frontalière marocaine, que l'Espagne attribue à « un objectif national constant et inaliénable » de Rabat « d'annexer Ceuta et Melilla », l'exécutif dirigé par le socialiste Pedro Sanchez, met en garde contre le « changement démographique » dû aux flux migratoires et à la population croissante d'origine marocaine résidant dans les deux cités de manière irrégulière.
Le document met ainsi en évidence le « défi sociodémographique » à Ceuta et Melilla, qui se traduit par une « polarisation croissante » et un « fossé social » inquiétant, peut-on lire du document. Le rapport s’inquiète aussi d’un certain « détachement vis-à-vis de l'État » avec des services publics de moindre qualité, que beaucoup d’habitant des enclaves attribuent au fait que les services de santé, d'éducation et sociaux sont « à la disposition des étrangers ».
« Cette poudrière existe depuis longtemps, mais jusqu'à présent, l'Espagne préférait fermer les yeux afin d'entretenir de bonnes relations avec le Maroc », commente El Pais. Une attitude qui fait partie du passé, estime-t-il, relatant les épisodes de l’affaire Brahim Ghali et de la vague migratoire sur Ceuta.
Les Affaires étrangères espagnoles rappellent que cette crise oblige désormais l'Espagne et le Maroc à parler beaucoup plus clairement du dossier du Sahara Occidental, « priorité nationale pour Rabat », mais aussi de Ceuta et Melilla, devenus « une priorité espagnole, avec un plan stratégique qui sera prêt avant la fin de l’été », selon des sources gouvernementales espagnoles.
Inclusion à la sphère de l’UE, accueil de Frontex…
En attendant ce plan, le rapport propose déjà une feuille de route des intentions de l'Espagne, avec une batterie de propositions à court et moyen terme. Les données socio-économiques des deux villes autonomes sont parmi les pires d'Espagne, avec un chômage d'environ 30 % à Ceuta et 20 % à Melilla. Pourtant, relève El Pais, le revenu par habitant des deux enclaves est six fois plus important que celui des régions marocaines les plus proches, « une des clés expliquant la pression migratoire ». « Les services publics sont à fleur de peau, admet cette étude. Et rien n'indique que Rabat va renoncer à sa stratégie de pression économique qui étouffe les deux villes autonomes », prévient l'analyse du gouvernement.
Commandé par La Moncloa, un plan de sauvetage socio-économique est déjà en cours, avec au moins une demi-douzaine de mesures. L'Espagne étudie l'inclusion de Ceuta et Melilla dans l'Union douanière et la réforme du régime économique et social des deux villes autonomes
Le document vise à maximiser les avantages fiscaux « pour promouvoir de nouveaux secteurs d'activité », notamment le tourisme (avec comme objectif les bateaux de croisière) et les jeux d'argent en ligne. Il vise également à améliorer les liaisons avec la Péninsule et à générer une zone de « prospérité partagée », expression que l'Exécutif utilise également dans les relations avec Gibraltar. Par ailleurs, il préconise de redynamiser l'activité portuaire, qui a souffert dans le cas de Melilla en raison de la concurrence du port voisin de Nador.
Le plan de sauvetage concocté par le ministère espagnol de la Politique territoriale prévoit, outre ces mesures, l'inclusion des deux villes dans l'espace européen sans frontières ou le traité de Schengen, ce qui reviendrait à demander un visa à tous les Marocains vivant dans les provinces voisines désirant d’entrer à Ceuta et Melilla. Et il envisage également de laisser accéder des gardes de l'Agence européenne des frontières (Frontex) aux deux villes pour « donner de la visibilité au fait que leurs limites correspondent à la frontière sud de l'Union européenne ».
Mais le paquet économique, Schengen et Frontex, ne constitue qu'une partie de cette stratégie, ajoute El Pais. L'Espagne entend également s’opposer au Maroc dans d'autres domaines. Le rapport prévient par exemple que « le changement démographique progressif, avec une forte augmentation de la population d'origine marocaine, s'accompagne d'une augmentation de l'influence politique et religieuse » de Rabat. « De nombreuses fraudes liées à la résidence effective et aux droits sont l'un des éléments qui alimentent les susceptibilités entre les communautés et contribuent à la polarisation et aux difficultés de coexistence », notent les rédacteurs du rapport gouvernemental.
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.