Outlet à Cabo Negro: l’Espagne redoute le pire pour son enclave de Ceuta
Suite à l’annonce faite récemment par Tanger Med Zones (TMZ), aménageur-développeur, filiale du groupe Tanger Med, du lancement d'un projet d’outlet au Nord du Maroc dont les travaux d’aménagement ont déjà démarré entre Tétouan et M’diq, au niveau de Cabo Negro, la presse espagnole tire la sonnette d’alarme pour l’enclave de Ceuta (Sebta).
Ainsi, El Espanol souligne que Rabat « qui ne laisse rien au hasard », « finalise à Tanger-Tétouan un plan de développement industriel et touristique comme celui du nord-est du pays, dans la région de Nador, à la frontière avec Melilla », faisant référence aux projets de Marchica Med et du port de Nador West Med, appelé à devenir un terminal gazier stratégique accueillant une barge GNL.
Dotée d’une superficie de 70 hectares, une première tranche de 30 ha sera livrée en avril 2022. Comme nous le rapportions en février 2020, un magasin Ikea sera implanté sur la zone, sur une superficie de plus de 3 ha, avec 19 000 m² couverts, dont une verrière de 500 m2 destinée aux seuls mobiliers d’extérieur. La construction de l'enseigne a déjà démarré, et son ouverture est prévue pour l’été 2022. Le projet ayant mobilisé près de 400 millions de dirhams (MDH) d’investissement devra générer 500 emplois directs et 1000 indirects.
L’espace central de la nouvelle zone commerciale de Cabo Negro sera consacré au projet d’outlet, sur une superficie de 10 ha, extensible à 20 ha, dédié au commerce grand public. Ce projet promet « une nouvelle expérience de shopping au Nord du Royaume », avec l’installation d’enseignes internationales d’habillement et d'accessoires, à l’instar des grands outlets internationaux. L’enseigne Virgin Megastore, qui vient d’ouvrir son dixième point de vente dans le pays à Tanger, compte y installer un futur magasin dédié aux produits high tech pour un investissement de 9 MDH devant générer pas moins de 50 emplois directs.
Les installations comprendront également des espaces de loisirs, des aires de jeux, des lieux restauration, etc. Un appel à manifestation d’intérêt public a été lancé le 29 novembre pour sélectionner un investisseur spécialisé et « disposant du savoir-faire requis pour le développement, la promotion et la gestion des projets outlets ».
Des projets qui inquiètent donc les Espagnols qui, durant des décennies, ont fait de leurs « cités autonomes » de Ceuta et Melilla une rente du commerce dit « atypique » que le Maroc a décidé non seulement d’éradiquer, mais de substituer par s es propres plateformes commerciales et industrielles.
Un coup fatal au commerce illicite transfrontalier
Depuis deux étés, crise de Covid-19 oblige, le transit des Marocains résidents à l’étranger (MRE) via les enclaves espagnoles a été complètement asséché. Mais déjà depuis octobre 2019, le Maroc décidait unilatéralement de fermer le poste-frontière aux marchandises entre la ville de Fnideq et Ceuta. Une mesure qui a stoppé nette l’activité économique de la zone, portant un coup fatal au commerce illicite transfrontalier.
Un embargo destiné à en finir avec la situation des « femmes-mulets », qui traversaient quotidiennement la ligne de démarcation, harnachées de dizaines de kilos de ballots de contrebande sur leur dos et dont un rapport parlementaire avait, en plus des reportages de presse récurrents, pointé les tares.
Pour relancer l'activité économique de ces zones transfrontalières, le rapport parlementaire préconisait de créer une zone industrielle pour permettre la reconversion des porteurs.
Les responsables politiques espagnols locaux évoquent quant à eux une politique d’ « étouffement » menée sciemment par le Maroc, en plus de reprocher à Rabat de manquer de fermeté pour freiner la migration vers l’Espagne.
« Le commerce à Ceuta a fonctionné grâce aux touristes marocains et aux visiteurs européens. Les aires de ravitaillement, comme Lidl, ont été installées dans le port de Ceuta en raison du transit de citoyens du pays voisin qui ont pris le ferry, mais surtout pour les trois mois de l'opération Paso de El Estrecho (Opération Marhaba) », souligne El Espanol, qui cite aussi la fermeture de magasins dans la ville…
A Ceuta et Melilla, enclaves que le Maroc n’a jamais reconnues comme étant des territoires espagnols, ont ainsi vu la disparition du « portage », l'augmentation de l'arrivée de migrants notamment subsahariens, les restrictions de passage… Le processus a débuté en 2017, mettant l’activité commerciale en berne à cause de nouvelles exigences sur les calibres des paquets. La fermeture pure et simple des frontières économiques en 2019, aura alors été « le coup de grâce ».
Une autosuffisance stratégique pour le Maroc
Les raisons qui sont invoquées sur la posture du Maroc sont multiples comme celles relatives aux positions diplomatiques de la classe politique espagnole qui n’adhère pas à la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, certaines formations partisanes militant de plus pour un renforcement des clôtures et des restrictions à l’import avec le Maroc.
Ensuite, le sentiment pour le Maroc d’avoir atteint une autosuffisance stratégique avec deux pôles économiques majeurs, Tanger et Nador. En effet, le royaume s’est manifestement engagé dans une politique destinée à favoriser les grandes infrastructures portuaires de Tanger Med et de Beni Ensar ainsi que les aéroports de Cherif Al Idrissi à Al Hoceima et Al Arou à Nador.
De plus, les velléités de trouver des alternatives à l’activité de « portage » de contrebande par la création d’usines pouvant offrir un emploi stable aux populations locales sont mises en avant : une ambition marocaine pour assurer la conversion des travailleurs de l’informel vers une économie légale.
Enfin, sur un plan géopolitique plus large, le fait que le Maroc soit soutenu et avantagé, d’une part, par les Etats-Unis dans sa politique sécuritaire régionale, et d’autre part, par les effets du Brexit qui changent la donne sur ses capacités à diversifier ses alliances hors l’Europe communautaire, l’autorise à vouloir changer de paradigme avec l’Espagne voisine et par extension avec l’Union européenne, qui cherche pour sa part, à lui faire jouer le rôle de gendarme de la migration africaine en Méditerranée occidentale.
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