
Fanion turc attribué à Abdelkrim. / AIOLFI
L’origine du «fanion d’Abdelkrim» adjugé à 40 000 € est turque et non rifaine
Un fanion de soie attribué à Abdelkrim el-Khattabi a été vendu en France à plus de 30 fois le prix de sa mise aux enchères. Pourtant, la pièce provenant de la succession de l’officier de la marine française qui a obtenu la reddition du célèbre chef de la résistance rifaine en 1926, est un oriflamme des Jeunes-Turcs de la révolution de 1908. Explications
À l'origine
Ouest France rapportait samedi 1er juin qu’un fanion de commandement en soie attribué au célèbre chef rifain Abdelkrim, mis aux enchères à Caen, à 1 200 €, avait été adjugé à 40 000 €.
L’objet de 47×44 cm, usé et aux couleurs passées et déchirures effilochés, est présenté par la maison Aiolfi, spécialiste des ventes aux enchères d’objets militaires comme un « tissu en soie rouge uni face avec éléments brodés notamment en cannetille d’or, étoile pointe en bas entourée de cinq plus petits modèles, croissant souligné de l’inscription Chichaouen Ouatan. Sur le croissant proprement dit, on peut déchiffrer les termes suivants Grandeur, justice, Egalité, Majesté de Dieu. Petites franges dorées sur tout le pourtour ».
Comme repère historique, il est indiqué que « Chichaouen était un centre important de la rébellion rifaine et Abdelkrim s’y était fortement installé ».
Les détails
L’objet de 47×44 cm, usé et aux couleurs passées et déchirures effilochés, est présenté par la maison Aiolfi, spécialiste des ventes aux enchères d’objets militaires comme un « tissu en soie rouge uni face avec éléments brodés notamment en cannetille d’or, étoile pointe en bas entourée de cinq plus petits modèles, croissant souligné de l’inscription Chichaouen Ouatan. Sur le croissant proprement dit, on peut déchiffrer les termes suivants Grandeur, justice, Egalité, Majesté de Dieu. Petites franges dorées sur tout le pourtour ».
Comme repère historique, il est indiqué que « Chichaouen était un centre important de la rébellion rifaine et Abdelkrim s’y était fortement installé ».
Aiolfi assure de plus que sa provenance vient de « la succession du commandant Montagne faisant partie du service de renseignements français envoyé auprès d’Abdelkrim avec un message du colonel Corap de Targuist lui accordant l’aman ».
« Le 25 mai 1926, Abdelkrim remit à Montagne sa lettre de soumission et le 27, accompagné de Montagne, il se rend au général Ibos commandant la Division Marocaine devant un détachement commandé par le lieutenant-colonel Giraud du 14ème Tirailleurs », poursuit la maison aux enchères dans son descriptif, citant ainsi l’ouvrage du lieutenant-colonel Laure sur La Victoire franco-espagnole dans le Rif chez Plon en 1977 et les mémoires d’Abdelkrim parues à Paris en 1977.
Le fanion serait ainsi celui remis par le résistant rifain à l’armée française, lors de sa capitulation. Sa valeur historique supposée a ainsi fait s’envoler les enchères et la vente a été finalement adjugée à plus de 30 fois son évaluation en faveur d’un collectionneur tangérois…
Les faits réels
« Le 25 mai 1926, Abdelkrim remit à Montagne sa lettre de soumission et le 27, accompagné de Montagne, il se rend au général Ibos commandant la Division Marocaine devant un détachement commandé par le lieutenant-colonel Giraud du 14ème Tirailleurs », poursuit la maison aux enchères dans son descriptif, citant ainsi l’ouvrage du lieutenant-colonel Laure sur La Victoire franco-espagnole dans le Rif chez Plon en 1977 et les mémoires d’Abdelkrim parues à Paris en 1977.
Le fanion serait ainsi celui remis par le résistant rifain à l’armée française, lors de sa capitulation. Sa valeur historique supposée a ainsi fait s’envoler les enchères et la vente a été finalement adjugée à plus de 30 fois son évaluation en faveur d’un collectionneur tangérois…
Sauf que dès la nouvelle annoncée, Courrier du Rif , « une plate-forme d'information, de débat et d'analyse des thèmes qui concernent le Rif en particulier et l'Afrique du Nord en général », y a vu maldonne.
Dans son minutieux fack-checking, celui-ci a conclu que « le fanion en question n'est pas d'Abdelkrim ».
Premier constat et premier doute sur sa provenance : le fanion ne dispose pas d’une étoile à six branches comme sur le célèbre drapeau créé par Abdelkrim, mais à cinq branches.
En effet, l’étendard rouge d’Abdelkrim est frappé en son centre d’un losange blanc contenant une demi-lune verte et une étoile à six branches. L’unique drapeau datant de l’épopée rifaine contre la colonisation espagnole est d’ailleurs conservé au musée de l’armée ibérique à Tolède.
Des guerrilleros rifains arborant le drapeau rouge, d’inspiration ottomane, frappé d’un carré blanc, lui-même orné d’un croissant et d’une étoile à six branches. DR
Le drapeau conservé à Tolède est rehaussé de la profession de foi de l’Islam « Il n’y a de dieu qu’Allah, et Mohammed est son prophète », tissée de fils d’or.
Une autre oriflamme du même type est quant à lui conservé au musée militaire de Madrid.
Or, la maison aux enchères a commis une seconde erreur d’interprétation relevée par Courrier du Rif : les quatre mots حرية، عدالة، مساواة، أخوة brodés sur le fanion, ont été traduits par « Grandeur, justice, Egalité, Majesté de Dieu », alors qu’ils signifient « Liberté, Justice, Égalité et Fraternité », une devise bien connue de la Révolution des Jeunes Turcs en 1908.
Enfin, note la même source, le déchiffrage de l'expression « Chichaouen Ouatan » en référence à la ville Chefchaouen est faux, puisqu’anachronique : A l'époque celle-ci se nommait Chaouen et non pas Chichaouen. Ce terme vient plutôt de l’expression turque « Yashasun watan », voulant tout simplement dire « Vive la patrie » que l’on retrouve assez communément sur des affiches turques d’époque dont certaines sont présentées par Courrier du Rif pour appuyer son argumentaire…
Le Commandant Montagne Robert Louis André Montagne (1893-1954) , dont provient le fanion, est un ancien officier de la marine française, qui outre sa participation à la reddition d’Abdelkrim en tant qu’informateur et intercesseur (comme il le raconte lui-même), ce qui lui a valu la rosette d’officier de la Légion d’Honneur, était sociologue, arabisant et avait étudié les langues berbères au Maroc, dont il a d’ailleurs tiré une thèse et de nombreux ouvrages.
Après la guerre du Rif, il a dirigé entre autres l’Institut français de Damas et a parcouru tout l’Orient…
Le verdict
Dans son minutieux fack-checking, celui-ci a conclu que « le fanion en question n'est pas d'Abdelkrim ».
Premier constat et premier doute sur sa provenance : le fanion ne dispose pas d’une étoile à six branches comme sur le célèbre drapeau créé par Abdelkrim, mais à cinq branches.
En effet, l’étendard rouge d’Abdelkrim est frappé en son centre d’un losange blanc contenant une demi-lune verte et une étoile à six branches. L’unique drapeau datant de l’épopée rifaine contre la colonisation espagnole est d’ailleurs conservé au musée de l’armée ibérique à Tolède.

Le drapeau conservé à Tolède est rehaussé de la profession de foi de l’Islam « Il n’y a de dieu qu’Allah, et Mohammed est son prophète », tissée de fils d’or.
Une autre oriflamme du même type est quant à lui conservé au musée militaire de Madrid.
Or, la maison aux enchères a commis une seconde erreur d’interprétation relevée par Courrier du Rif : les quatre mots حرية، عدالة، مساواة، أخوة brodés sur le fanion, ont été traduits par « Grandeur, justice, Egalité, Majesté de Dieu », alors qu’ils signifient « Liberté, Justice, Égalité et Fraternité », une devise bien connue de la Révolution des Jeunes Turcs en 1908.
Enfin, note la même source, le déchiffrage de l'expression « Chichaouen Ouatan » en référence à la ville Chefchaouen est faux, puisqu’anachronique : A l'époque celle-ci se nommait Chaouen et non pas Chichaouen. Ce terme vient plutôt de l’expression turque « Yashasun watan », voulant tout simplement dire « Vive la patrie » que l’on retrouve assez communément sur des affiches turques d’époque dont certaines sont présentées par Courrier du Rif pour appuyer son argumentaire…
Le Commandant Montagne Robert Louis André Montagne (1893-1954) , dont provient le fanion, est un ancien officier de la marine française, qui outre sa participation à la reddition d’Abdelkrim en tant qu’informateur et intercesseur (comme il le raconte lui-même), ce qui lui a valu la rosette d’officier de la Légion d’Honneur, était sociologue, arabisant et avait étudié les langues berbères au Maroc, dont il a d’ailleurs tiré une thèse et de nombreux ouvrages.
Après la guerre du Rif, il a dirigé entre autres l’Institut français de Damas et a parcouru tout l’Orient…
C’est un fait. Les erreurs d’interprétation et de retranscription de la part de la maison aux enchères française démontrent de la fragilité de son travail d’expertise.
Le style, la typographie et la signification des inscriptions brodées sur l’objet vendu ne laissent que peu de doute sur son origine turque et non de l’éphémère République du Rif proclamée par Abdelkrim.
L’émir Abdelkrim El Khattabi, qui avait adopté un drapeau rouge, certes d’inspiration ottomane, avait joué sur le sentiment religieux pour mener la guerre contre l’Espagne et la France et ne pouvait donc pas adopter la devise « Liberté, Justice, Égalité et Fraternité » qui était celle des jeunes révolutionnaires turcs de 1908.
Un militant du Hirak hissant la version moderne du drapeau du Rif devant le Parlement à Rabat durant les événements de juin 2017. AIC PRESS
Reste que la maison Aiolfi certifie que la pièce provient de la succession du commandant Montagne qui a reçu la reddition du chef de l’insurrection rifaine, mais n’apporte en rien que le fanion ait pu appartenir à Abdelkrim.
Les voyages de Montagne aux confins de l’Orient suggèrent plutôt qu’il en a rapporté le fanion des Jeunes-Turcs qui symbolisaient pour lui probablement la symbiose dont il rêvait - comme Lyautey dont il adulait l’action -, entre « la grandeur de la France » et les traditions musulmanes…
Le style, la typographie et la signification des inscriptions brodées sur l’objet vendu ne laissent que peu de doute sur son origine turque et non de l’éphémère République du Rif proclamée par Abdelkrim.
L’émir Abdelkrim El Khattabi, qui avait adopté un drapeau rouge, certes d’inspiration ottomane, avait joué sur le sentiment religieux pour mener la guerre contre l’Espagne et la France et ne pouvait donc pas adopter la devise « Liberté, Justice, Égalité et Fraternité » qui était celle des jeunes révolutionnaires turcs de 1908.

Reste que la maison Aiolfi certifie que la pièce provient de la succession du commandant Montagne qui a reçu la reddition du chef de l’insurrection rifaine, mais n’apporte en rien que le fanion ait pu appartenir à Abdelkrim.
Les voyages de Montagne aux confins de l’Orient suggèrent plutôt qu’il en a rapporté le fanion des Jeunes-Turcs qui symbolisaient pour lui probablement la symbiose dont il rêvait - comme Lyautey dont il adulait l’action -, entre « la grandeur de la France » et les traditions musulmanes…
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