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07.02.2017 à 18 H 29 • Mis à jour le 07.02.2017 à 18 H 47 • Temps de lecture : 8 minutes
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n°98.De quoi l’affaire Salim Cheikh est-elle le nom ?

Le fait divers fait les choux gras des médias. Accusé de viol par une jeune reine de beauté, le patron de la chaîne publique 2M dénonce un chantage. La justice devra trancher entre vérité et calomnie, mais c’est surtout le procès de la presse oublieuse de ses principes qui doit s’ouvrir d’urgence

C’est l’histoire d’une dénonciation. Une jeune femme, Saloua Bouchaib, ancienne stagiaire à 2M et exerçant dans le mannequinat, accuse de viol, via les réseaux sociaux, le patron de la chaine de télévision publique, Salim Cheikh. L’effet est immédiat, comme c’est le cas dans pareille affaire de moeurs impliquant un personnage public, des médias s’emparent du sujet, à l’évidence croustillant et le public s’en délecte.


Le Desk, comme probablement d’autres organes de presse, détient depuis plusieurs semaines les « éléments » du scandale. Il s’agit de deux enregistrements de conversations téléphoniques entre les protagonistes, d’un troisième entre une seconde personne responsable de 2M et l’accusatrice, ainsi qu’une série de 12 captures écran d’échanges de textos entre Saloua Bouchaib et Salim Cheikh.


Ces « pièces » ont été transmises au Desk fin janvier par une source identifiée, se disant dépositaire du témoignage de la jeune femme.


En parallèle, le détenteur d’un compte Facebook, influent sur la Toile, à qui Saloua Bouchaib avait demandé de faire étalage de ses accusations - compte tenu de son audience -, avait cédé à sa requête en publiant un post sur sa page relatant les faits tels qu’elle les lui avait exposés, sans pour autant rendre publics les enregistrements et les échanges SMS.


Celui-ci s’était rapidement ravisé et avait effacé son billet, réalisant que jeter en pâture une personne sur la base d’une simple accusation non étayée était de nature à le nuire, mais aussi à exposer son relais à des poursuites judiciaires.


L’accusation est suffisamment grave pour qu’un média sérieux prenne toutes les précautions d’usage avant de décider si oui ou non, il y a matière à en faire état.


Intérêt public vs. Vie privée

D’abord par rapport à l’intérêt public, seule motivation dont doit se prévaloir un média exerçant son rôle en toute liberté en faveur de la communauté, mais aussi dans les limites tracées par la règle de droit, l’éthique et la déontologie du métier de journaliste.


Sur ce point s’agissant d’une personnalité publique ayant de surcroît une responsabilité importante en sa qualité de directeur d’un média public, le traitement du sujet est à priori légitime. Il ne peut être confiné dans ce qu’on appelle communément la sphère privée. Le Desk avait expliqué, à l’aune de l’affaire El Achchabi, en quoi la déontologie journalistique impose que seule une nécessité publique peut justifier une intrusion dans la vie privée de quiconque.


Salim Cheikh, directeur de la deuxième chaine de télévision 2M. DR


Reste l’enquête à rebours nécessaire. Elle tient, comme pour tout sujet journalistique à la vérification des faits, à leur enchaînement, à leur contexte précis, à l’authentification des pièces disponibles. Elle se doit aussi d’être validée par le sacro-saint principe de la contradiction, c’est-à-dire de la confrontation du sujet au mis en cause avant publication.


Or dans ce cas, que s’est-il passé ? L’accusatrice est demeurée tout au long de son action de dénonciation en retrait. D’abord en disséminant à des intermédiaires (non journalistes) sa version des faits et ses « éléments de preuve » sortis de toute contextualisation, puis en se bardant le temps du buzz dans le silence après avoir « balancé » le contenu de ses échanges avec son supposé bourreau sur Facebook.


Ce seul fait doit appeler à la prudence la plus extrême, car à défaut du témoin entendu de manière circonstanciée et en face à face, la divulgation des « pièces » est tout simplement une violation de la correspondance privée condamnable par la loi au même titre que l’effraction d’une boîte aux lettres.


Sur le fond, de quoi s’agit-il ?

Selon le propre récit de Saloua Bouchaib qu’elle a exposé à la presse à postériori, celle-ci n’a fait connaissance du directeur de 2M qu’à l’issue de son stage, durant lequel, prétend-elle, elle aurait subi un harcèlement sexuel d’un autre responsable de la chaine, au même titre que d’autres stagiaires. Une affaire dans l’affaire qui avait été évoquée un temps dans la presse et jusqu’au Parlement.


Elle a ensuite pris l’initiative de prendre langue avec Salim Cheikh dans l’objectif de relater ce qu’elle aurait enduré et d’obtenir ce faisant en réparation une titularisation à priori indue au sein de l’entreprise.


Cette prise de contact a évolué en relation intime entre deux personnes majeures et consentantes. Saloua Bouchaib s’est engagée dans cette voie avec un objectif assumé, celui de réaliser ses desseins – c’est à dire l’embauche -. Elle reconnaît se faisant qu’elle n’a pas subi de violences physiques, mais affirme avoir été victime d'une forme de sujétion consécutive à sa propre démarche de marchandage. Dans ce cas, la thèse du viol ne tient plus dans la stricte définition que la supposée victime veut faire valoir, s’agissant au pire d’une promesse non tenue qui tient plus de la morale que d’un acte grave punissable dans ces circonstances par la loi.


Le débat suscité par nombre de commentateurs sur l’effet de domination par le statut de l’accusé, illustrant une société enfermée dans le patriarcat, s’il n’est pas anecdotique est pour le moins collatéral.


 Le traitement de cette affaire par la presse soulève de nombreux problèmes

Sur le plan de l’opportunité d’en faire état, les médias n’ont pas respecté le code de conduite professionnel qui oblige à prendre ses distances par rapport aux éléments présentés comme preuve, alors que le contexte n’est pas mis en perspective.


Aucun média n’a reconstitué le fil de l’affaire par un récit circonstancié, méticuleux et daté dans le temps, les dires de la jeune femme étant aussi parcellaires que confus. De cette manière, la publication en brut des enregistrements et des échanges de textos entre les protagonistes est contraire à l’éthique et confine à l’illégalité.


Les médias qui ont publié ces échanges au prétexte d’informer le public sur la décision de Salim Cheikh d’ester en justice sont eux aussi dans l’erreur, surtout qu’il s’agit de morceaux choisis par la seule plaignante et donc forcément orientés et que le numéro de téléphone personnel de l’accusé n’est même pas oblitéré, ce qui constitue une infraction supplémentaire.


Les médias qui ont évité de livrer l’identité complète de la dénonciatrice, alors qu’ils rendaient public celui de Salim Cheikh appliquent une règle de protection de la source qui n’est pas justifiable dans ce cas : Saloua Bouchaib, personne majeure, a elle même révélé son identité à travers sa page Facebook. Le fait de ne la désigner que par ses initiales la place de facto comme une victime soucieuse de son anonymat, ce qu’elle n’est pas.


La question de la vraisemblance des faits et de la force de conviction

 Le Desk avait décidé de ne pas rendre publique l’affaire pour au moins deux raisons principales.


D’abord au regard de la motivation de la victime supposée. Que ce soit dans ses tentatives de relayer ses dires par l'entregent d'influenceurs sur les réseaux sociaux ou à travers même ses propres menaces proférées en privé à l’endroit de Salim Cheikh, Saloua Bouchaib n’évoque le viol qu’en référence à son incapacité d’obtenir gain de cause, soit un emploi à 2M, ce qui fragilise la solidité de son témoignage, le pilier de la bonne foi, révélateur essentiel de la fiabilité d’une source s’en trouvant passablement ébranlé.


Ensuite, parce-que les éléments transmis par des sources multiples comportent un risque de caviardage impossible à ce stade à circonscrire, s’agissant de sonores et d’images non identifiés ayant été manipulés par nombre d’intervenants.


Bien entendu, Le Desk a pu savoir plus tard qu’un conflit latent existait bel et bien entre les deux personnes et que les « pièces » étaient certainement authentiques. Cela ne suffisait pas à conclure dans le sens de la supposée victime, le matériau n’étant qu’une partie du puzzle.


Dépit amoureux, ambition frustrée, désir de vengeance face à un comportement déshumanisant doublé d’un opportunisme émotionnel ? Peu importe, la qualification de viol n’étant ni avérée, ni étayée par un faisceau d’indices probants, ce que devra trancher maintenant la justice est le caractère potentiellement diffamatoire de la dénonciation publique et des ressorts de ce qui apparaît comme un chantage à la réputation.


C’est aussi un procès à la presse, qui a défaut d’être porté devant les tribunaux, devra faire l’objet d’un débat urgent. Déjà gangrenée par le phénomène des fake news, la pratique journalistique, polluée et discréditée par le clickbait, dérive dangereusement de sa mission première qui est celle d’informer dans le respect de la présomption d’innocence des mis en cause.

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