
n°136.Et maintenant, que va négocier le Maroc avec le Polisario ?
Avec l’adoption à l’unanimité de la résolution 2531 sur le Sahara, Rabat tourne une page difficile dans ses rapports avec les Nations Unies et la communauté internationale.
Les précédentes séquences de ce dossier ont été pour le moins pénibles pour la diplomatie marocaine avec des incendies à tous les étages : attitude non conciliante de l’Administration Obama, profond désaccord avec l’envoyé Christopher Ross, crise aigüe avec le secrétaire général Ban Ki-moon, batailles homériques avec les institutions européennes, bras de fer avec la Minurso, critiques acerbes des ONG internationales…
Les dispositions de la résolution sont au final favorables au Maroc en ce sens qu’elles remettent en quelque sorte les compteurs à zéro. Antonio Guterres semble plus proactif que son prédécesseur dans la recherche d’une solution réaliste. L’Allemand Horst Köhler remplace Ross et son pedigree d’européen tranquillise déjà Rabat. Enfin, la « vision Van Walsum », hier conspuée par le camp adverse, a le vent en poupe chez les superpuissances, notamment auprès de la diplomatie Trump. Les épines au pied du Maroc ont été ainsi retirées, une à une.
En face, le Polisario montre des signes évidents de fébrilité par l’attitude chien fou de Brahim Ghali, et voit son image dégradée après avoir été traité comme une rogue militia par le Conseil de sécurité. Fait nouveau et notoire, il est demandé à l’Algérie de sortir de l’ombre.
Mais si le Conseil de sécurité a éloigné l’orage pour un tour de piste supplémentaire, sa principale injonction à l’endroit des parties est de les voir de nouveau réunis autour de la table des négociations directes. Or, jusqu’ici, le Maroc s’y refusait. La pression devra donc reprendre dès que Köhler sera officiellement investi et qu’il se rendra dans la région pour ses premières consultations.
Nasser Bourita explique que les gains obtenus ces derniers mois à l’ONU sont dus à une approche anticipative et un certain volontarisme qui dictent désormais la doctrine diplomatique royale. Les résultats positifs, tant à l’UA qu’à l’ONU, en démontrent le bénéfice. La manière, résolument tactique, est efficace en temps de crise pour avoir un pion d’avance face à ses adversaires. Elle ne sera pas suffisante sur le moyen et long terme.
A la question de savoir comment le royaume compte aborder l’enchaînement qui vient, la réponse convenue est « chaque chose en son temps ». Il est pourtant impératif d’en redéfinir la vision pour ne plus être contraint à un agenda de pompier. Les conditions et le cadre des futures négociations sont la priorité, davantage que de convaincre telle ou telle capitale de son bon-droit en ressassant l’Histoire et de présenter le satisfecit de Washington ou de Paris comme un talisman.
Le conflit de basse intensité qu’est celui du Sahara dans la géopolitique mondiale n’apparaît que furtivement dans les radars des pays qui pèsent à l’ONU et leurs attitudes sont changeantes au gré d’insondables arrangements. Nous l’avons expérimenté même avec nos meilleurs alliés. Le Maroc doit donc choisir un nouveau cap et s’y tenir malgré les bourrasques, mais surtout se montrer encore plus créatif et se surpasser dans ses propositions concrètes.
Dans ce sens, il faut le dire, le Plan d’autonomie est dans sa forme figée depuis dix ans, obsolète. D’abord parce ses grands principes généraux qui ne tiennent que sur deux feuillets, ne sont pas suffisamment détaillés, notamment en ce qui concerne l’ordonnancement de ses mécanismes juridictionnels.
Lors de son point avec la presse à New York à l’issue du vote de la résolution, Omar Hilale a assuré pouvoir les décliner en un pavé de 300 pages en un temps record. C’est ce que l’on attend pourtant depuis 2007. L’argument qui voudrait que l’on ne doit abattre ses cartes que pas à pas, dans une logique d’Oslo, n’est pas convaincant et potentiellement contre-productif.
Pour séduire la communauté internationale, mais aussi et surtout les irrédentistes, la mariée ne peut être dérobée à la vue de ses prétendants. Il en va de la crédibilité du Maroc que les plus soupçonneux accusent de vouloir constamment jouer la montre.
Dernier point, le plus significatif, la régionalisation dont on se gargarise bien trop souvent et dans laquelle doit être enchâssée la future région autonome du Sahara, est au point mort. Les raisons en sont multiples, mais la principale est que le sommet de l’Etat, après en avoir été l’aiguillon, ne la place manifestement plus parmi ses priorités stratégiques. Et pour cause, la donne politique intérieure a changé. La « monarchie exécutive » a retrouvé sa prééminence après la parenthèse des Printemps arabes. Dernier clou au cercueil d’une démocratie participative et réellement représentative, la mise au pas du premier parti politique du pays mis sous tutelle de la technocratie dans son propre gouvernement.
L’heure est donc à une forme de jacobinisme, antagoniste avec toute forme de partage des pouvoirs. Le sujet, ici, n’est pas de discuter des raisons objectives de ce choix, mais d’en mesurer les conséquences sur l’architecture institutionnelle du pays.
Signe des temps, la course à la présidence des régions n’a pas suscité d’engouement particulier et encore moins d’enjeux majeurs, ni de la part du Palais, ni des partis. A Casablanca, le marketing et l’efficience supposée du modèle dirigiste sont exemplarisés. A Tanger, les contingences sécuritaires ont davantage souligné le pouvoir du wali de la région, que celui, écorné, de son président. Ailleurs, c’est le calme plat.
La maîtrise des dossiers dont a fait preuve la diplomatie ces derniers mois est un fait établi. Mais demain, que pourront faire ses techniciens lorsqu’il s’agira de profiter de la nouvelle dynamique onusienne pour se montrer encore plus imaginatifs dans leur offre si le pouvoir politique central n’est plus disposé à l’ouverture par choix idéologique ?
C’est tout le débat qui est posé désormais avec acuité, car le dossier du Sahara est en même temps un des marqueurs de la démocratisation du Maroc, son verrou, et certainement son plus intime laboratoire.
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