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23.04.2017 à 05 H 17 • Mis à jour le 24.04.2017 à 14 H 34 • Temps de lecture : 14 minutes
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n°129.Maroc-Cuba : du tumulte de la Guerre froide à la réconciliation graduelle

Après 37 ans de gel, le Maroc et Cuba renouent leurs relations diplomatiques. L’aboutissement d’un lent processus qui a bourgeonné à l’avènement du règne de Mohammed VI, retracé par une note confidentielle datant de 2014. Il vient d’abord gommer les scories d’un ordre mondial ancien avant d’ouvrir la voie d’une neutralité du régime castriste sur le conflit du Sahara occidental

Une note confidentielle sur « l’évaluation des relations bilatérales » du ministère des Affaires étrangères datée du 15 septembre 2014 décrit quelques épisodes du réchauffement graduel des liens entre les deux pays. A postériori, elle renseigne sur la doctrine du Maroc à l'égard du régime castriste envisagée depuis les premières années du règne de Mohammed VI.


Ce document qui fait partie de la masse des câbles diplomatiques fuités entre 2014 et 2015 par le corbeau « Chris Coleman », communément appelés 'MarocLeaks', révèle l’existence d’une « stratégie de rapprochement diplomatique engagée (par le Maroc) en direction de certains Etats latino-américains et caribéens, notamment pour les amener à adopter de meilleurs sentiments à l’égard de notre Cause Nationale ».


Extrait de la note diplomatique marocaine datée de 2014 qui préfigurait du rapprochement entre Rabat et La Havane


Dans ce sens, le document de 7 pages se proposait « d’évaluer, dans ce contexte, l’avenir des relations entre le Maroc et Cuba ». Il revient tout d’abord aux origines historiques du gel des relations entre Rabat et La Havane.


« Après l’établissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Cuba en 1960 et la nomination par le Maroc de son premier ambassadeur à la Havane, en 1962, le Maroc a rompu ces relations en 1980, suite à la décision de Cuba d’instaurer des relations diplomatiques avec la « RASD » le 21 janvier de la même année », rappelle la note.


« Depuis lors, aucun contact n’est intervenu entre notre pays et Cuba, qui n’a cessé de marquer une position d’appui inconditionnelle aux séparatistes, qualifiée par la Havane de ‘devoir historique’, et de renforcer la ‘coopération’ avec la ‘RASD ‘ sur le plan diplomatique et militaire pour l’élargir, par la suite, aux aspects techniques et humanitaires couvrant notamment les domaines de la formation et de la santé », poursuit la note.


Première inflexion à l'aune de la Crise des fusées


Réunion à la Maison-Blanche autour du président Kennedy lors de la crise des fusées en 1962. KEYSTONE


Dans les faits, dans son rappel succinct, la note enjambe les ferments originels du conflit maroco-cubain. L’inflexion de l’attitude marocaine vis-à-vis du régime de Fidel Castro a débuté dès l’établissement d’une ambassade à La Havane à l’aune de la Crise des fusées et du blocus de l’île décrété par le président américain John Kennedy en octobre 1962. « Le Maroc resta silencieux et « ne soutint pas Cuba socialiste, comme il aurait du le faire par respect du principe de ‘non dépendance’ », affirmait Al Moukafih, organe du Parti communiste marocain (PCM) de Ali Yata, ancêtre de l’actuel PPS.


Aux Nations Unies, lors du débat général de la 18ème session, contrairement à l’Algérie qui dénonça avec vigueur l’intervention américaine, le représentant du Maroc n’aborda pas la question. Plus encore, quand le gouvernement américain demanda au Maroc comme à d’autres alliés d’interdire leurs territoires à toutes escale d’avions en provenance ou à destination de Cuba, Rabat se montra coopératif : il exigea des Cubains de déclarer au préalable le contenu de leurs cargaisons et organisa des fouilles de leurs soutes, selon un rapport de l’ambassade du Maroc à Moscou daté de décembre 1962, cité par l'historien Abdelkhaleq Berramdane dans son ouvrage Le Maroc et l'Occident (Ed. Khartala, 1987)


La folle expédition cubaine durant la Guerre des sables


Le colonel Houari Boumediene (premier plan à gauche), l’ambassadeur cubain en Algérie Jorge Serguera,le commandant Slimane Hoffman, en retrait avec des lunettes, Gabriel Molina. Gabriel Molina Franchossi | [email protected]


L’épisode de la Guerre des sables entre le Maroc et l’Algérie allait envenimer davantage les relations du royaume avec Cuba. Le 9 octobre 1963, Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, se rendit à la résidence de l’ambassadeur cubain, le commandant Jorge Serguera, pour l’informer des préparatifs des FAR pour une offensive alors que l’armée algérienne manquait cruellement de moyens pour affronter l’armée marocaine dans une guerre conventionnelle. Serguera lui répondit que Cuba pouvait envoyer des tanks, des canons et des munitions à l’Algérie, et lui répéta les paroles de Fidel : « Pour les Algériens, toute aide dont ils auront besoin… ».

 

Bouteflika en fit part à Ben Bella et à Boumediene qui acceptèrent la proposition sur le champ. Serguera informa le commandant Manuel Piñeiro à Cuba. Le commandant Raul Castro, ministre des Forces armées révolutionnaires se rendit en hélicoptère dans les provinces orientales pour retrouver Fidel dans la ferme El Jardin, dans l’actuelle province de Las Tunas, où le cyclone Flora frappait durement le pays, et l’informa de l’invasion marocaine. Ils conçurent alors « l’opération Dignité ».


Un groupe tactique de combat et un premier groupe spécial d’instruction (GEI) furent formés. Ils s’envolèrent pour Alger où ils arrivèrent le 14 octobre. Près de 120 soldats et officiers volontaires iront les rejoindre quelques jours plus tard pour former au total un contingent de près de 700 militaires. L’armement fut transporté à bord des deux navires, dont un bataillon de tanks composé de 22 T-34. Ils arrivèrent entre le 22 et le 29 octobre. Mais Hassan II, informé par le Renseignement américain, et connaissant la précarité de l’armement algérien, avait ordonné à ses troupes de franchir la frontière le 14.


Les villes de Hassi Beïda, Figuig, Tindouf et Tinjoub furent prises…Les généraux marocains avaient même planifié de tracer vers Alger, tandis que les Cubains arrivés trop tard avaient envisagé dans leurs plan de mener une percée jusqu’à Casablanca. « L’idée était de passer la frontière, d’avancer sur 60 à 70 km et d’y faire entrer les guérilleros africains qui s’entraînaient à Sidi Bel-Abbès et Oran, avec l’accord des Algériens », avait témoigné le général de division Ulises Rosales qui comptait sur l’appui de tankistes venus d’Egypte…


Le diktat du président Johnson 


Ahmed Reda Guedira (au premier plan) avec le roi Hassan II et Allal El Fassi. GETTY IMAGES


Un an plus tard, après la cessation des hostilités et alors qu’une partie des forces cubaines demeurées à Alger pour former l’ALN organisait un défilé militaire à l’occasion de l’anniversaire de la révolution castriste, en février 1964, les Etats-Unis déclarait qu’ils pourraient- en vertu de l’amendement d’une loi régissant sa coopération internationale- reconsidérer son aide au Maroc si ce dernier continuait à commercer avec Cuba, mais aussi avec la Chine populaire et la Corée du Nord.


Une note marocaine fut remise au gouvernement de Lyndon B. Johnson le 20 février 1964, lui demandant de revenir sur son diktat car « il n’existait pas de solution de rechange pour le Maroc », notamment pour ce qui est de l’importation de thé chinois et de sucre de palme de Cuba. Washington opposa son refus et Rabat accepta ces conditions par un engagement pris par Ahmed Réda Guedira, alors ministre des Affaires étrangères. Plus aucun bateau marocain ne fut alors autorisé à mouiller à La Havane.


Depuis lors, le Maroc et Cuba, chacun dans leurs camps respectifs tracés par l’ordre mondial bipolaire de la Guerre froide, devaient s’affronter à distance sur le terrain africain, dans des théâtres de guerre comme celui de l’Angola, mais surtout autour du conflit du Sahara occidental, le régime castriste ayant soutenu de manière inconditionnelle le Front Polisario.


Premiers talks avec Omar Azziman


Omar Azziman en avril 2017. AIC PRESS


« Ce n’est que lors du Sommet du Sud, tenu à la Havane, du 10 au 14 avril 2000, que l’ancien vice-ministre cubain des relations extérieures, Armando Guerra Menchor, avait fait part à l’ancien ministre de la Justice, Omar Azziman, de la volonté de Cuba de normaliser ses relations avec le Maroc, sans qu’aucun geste concret de la part de Cuba n’ait toutefois été livré », explique la note diplomatique de 2014.


Contrairement à cette déclaration de bonne intention et persistant ainsi dans sa position d’appui à la « RASD », Cuba a voté, en 2004 et 2006, en faveur de la résolution que l’Algérie a présentée sur la question du Sahara à la quatrième Commission de l’Assemblée Générale, peut-on y lire.


En 2006, la main tendue de Rabat


Dans une rue de La Havane, le 26 octobre 2016, jour ou les Etats-Unis se sont abstenus pour la première fois en 25 ans, lors d'un vote aux Nations Unies demandant la fin de l'embargo américain contre Cuba. Le Maroc l'avait fait dix ans auparavant.../ YAMIL LAGE /AFP


« En dépit de l’attitude hostile des responsables cubains à l’encontre du Maroc, notre pays a entrepris plusieurs démarches de rapprochement en direction de l’île caribéenne afin de ramener ses dirigeants à de meilleurs sentiments à l’égard, notamment, de notre Cause Nationale », poursuit la note. Ces gestes de rapprochement se sont ainsi concrétisés par le vote, pour la première fois, en 2006, en faveur de la résolution que Cuba présente annuellement à l’Assemblée Générale des Nations Unies, depuis 1992, pour la levée de l’embargo économique et financier qui lui est imposé par les Etats-Unis.


« Ce signal fort du Maroc, qui avait accéléré la reprise des contacts avec les autorités cubaines avait semblé avoir été bien perçu de leur part, puisqu’elles s’étaient alors engagés à adopter une certaine neutralité à l’égard du Maroc notamment sur la question du Sahara », explique la note.


Les débuts timides de la "neutralité" cubaine


Fidel et Raul Castro en 2013. Le Lider Maximo avait cédé ses pouvoirs à son frère dès 2006. ISMAEL FRANCISCO/AFP/Getty Images


Depuis 2007, « Cuba a tenté d’afficher une position moins hostile à l’égard du Maroc », notamment au sein du Mouvement des Non Alignés, en assurant, parallèlement, qu’elle procèderait, dès lors, à des « déclarations plus neutres » que celles réalisées dans le passé, lors du débat annuel sur la question du Sahara, à la quatrième Commission de l’Assemblée Générale de l’ONU.


Dans le cadre de ces mêmes contacts, les deux pays ont souvent procédé à des soutiens réciproques de candidatures à divers postes au sein d’organisations internationales. « Cuba paraissant ainsi souhaiter une normalisation des relations diplomatiques avec le Maroc, en a exprimé la demande, par la voix de son ministre des Relations Extérieures, M. Bruno Eduardo Rodriguez Parilla, à l’occasion d’entretiens avec l’ex-Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération, M. Taïb Fassi-Fihri en marge des travaux de la 64ème session de l’Assemblée Générale de l’ONU », révèle la note confidentielle qui avance que Parilla a ainsi fait part de son « entière disposition en vue de fluidifier les relations entre la Havane et Rabat » et a invité le Maroc à « dépasser » ce qu’il a appelé « les incidents du passé ». Parilla a précisé la note que Cuba a cherché à minimiser les relations de son pays avec la « RASD » « inscrivant cette relation sous le chapitre de la coopération technique et humanitaire ».


A Tindouf, la coopération cubaine maintenue 


Dans les camps de Tindouf. DR


Le document déplorait cependant que ce « pays continue de soutenir la « RASD » : « En dépit des diverses déclarations cubaines en faveur d’une normalisation des relations avec le Maroc, il n’en demeure pas moins que Cuba continue de poursuivre sa coopération avec « RASD », qui se matérialise par un certain nombre d’actions visibles  », citant « de larges programmes de formation, à l’endoctrinement idéologique des enfants sahraouis des camps de Tindouf (annuellement entre 350 et 500 enfants, depuis 1976) » (…), « la formation supérieure ou technique des étudiants et la présence dans les camps de Tindouf et de Rabonni de médecins cubains n’ont pas été interrompues » (..) « un mécanisme de dialogue de haut niveau représenté par un échange constant de visites de hauts responsables qui ne manquent pas de procéder à des déclarations d’appui à « l’indépendance du peuple sahraoui » et au « référendum d’autodétermination ».


Le document liste une série d’actions de coopération consenties par le régime castriste aux indépendantistes sahraouis dont celle à forte charge symbolique concrétisée en 2009 par la construction d’une école du nom de Simon Bolivar dans les camps de Tindouf, « dans le cadre d’une coopération tripartite, avec le financement du Venezuela et l’assistance technique de Cuba », sans compter les multiples aides octroyées au Polisario à travers le Programme alimentaire mondial, pour la diffusion de sa propagande sur les ondes radio-télévisées cubaines, dans le domaine de la santé et de la formation professionnelle.


Raul Castro, l'homme de l'ouverture


Une affiche du président cubain Raul Castro et du président américain Barack Obama, dans les rues de la Havane en mars 2016 - YAMIL LAGE / AFP


Si la note relève que l’ex-vice-ministre des Relations Extérieures cubain, Marcos Rodriguez Costa, avait déclaré en 2010 que son pays « continuera à soutenir la juste cause » de « RASD » dans la mesure où il s’agit « d’un devoir inaliénable des révolutionnaires », elle estime que sur le plan interne, qu’à son arrivée au pouvoir en 2008, Raul Castro, « s’est distingué de la politique de son frère, Fidel Castro, en établissant une ouverture à la fois économique et démocratique qui, bien que limitée, demeure significative pour un des derniers régimes communistes au monde », citant une à une les mesures prises parle nouveau leader dans ce sens que ce soit sur le plan politique que celui relatif à la réforme de l’économie vers davantage de libéralisme.


Sur le plan diplomatique, l’ouverture perceptible de Cuba vers les sous-ensembles latino-américains, l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Afrique et surtout le monde arabe est souligné par le rédacteur de la note comme autant de points encourageants : « S’agissant des relations avec le monde arabe, Cuba n’a cessé, ces dernières années, d’y accorder un intérêt particulier, notamment dans l’objectif de renforcer le partenariat tant politique qu’économique et commercial, avec la région ».

 

L'option du rétablissement des relations diplomatiques


Le roi Mohammed VI lors de son séjour à Cuba. GETTY IMAGES


Dans ses appréciations, la note diplomatique envisageait déjà en 2014 parmi les options offertes de « répondre à l’appel lancé par les autorités cubaines et évaluer la possibilité, dans un premier temps, de procéder au rétablissement des relations diplomatiques entre nos deux pays », avec cependant une prudence affichée : « Toutefois, si ce geste politique venait à être pris par le Maroc, il conviendrait de réfléchir à la démarche pouvant être envisagée pour capitaliser une telle décision. Le Maroc pourrait ainsi, en contrepartie, inviter les autorités cubaines à adopter une position moins tranchée à l’égard de notre Cause Nationale, l’objectif étant de ramener progressivement ce pays à une certaine neutralité sur la question du Sahara. Il est clair que, compte tenu de la position historique de La Havane sur ce dossier, il s’agira là d’une démarche qui sera de longue haleine, mais méritant, toutefois, d’être amorcée avec un Etat particulièrement apprécié dans son entourage régional ».


Cette approche est identique à celle qui a été adoptée avec le Panama, qui, après avoir reconnu la « RASD » de manière ininterrompue, pendant 34 ans, a finalement retiré cette reconnaissance à la suite de très longues démarches, le 20 novembre 2013.


En 2015, un signe avant-coureur de cette détente annoncée a été perçu lorsque la Royal Air Maroc a été autorisée d’engager des négociations avec les autorités aériennes de Cuba afin d’inaugurer un vol direct Casablanca-La Havane. L’opportunité offerte par le déploiement des nouveaux long courriers Boeing Dreamliner 787 et l’attrait grandissant de La Havane pour les touristes africains n’en étaient pas les seules raisons. « iIl y’aurait une raison diplomatique non avouée, visant la normalisation à petits pas des relations maroco-cubaines », écrivait à l’époque le site Mondafrique. Le roi Mohammed VI en a fait la démonstration, conjuguant à Cuba, villégiature et tractations secrètes pour y aboutir après 37 ans de fâcheries.

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