
n°52.Qui sont les manifestants de Sidi Ifni et pour quelles raisons réclament-ils la nationalité espagnole ?
Hier, une dizaine de jeunes de Sidi Ifni en colère ont pénétré dans la Bagadoria, un ancien bâtiment datant du protectorat espagnol sur la ville. Fait sans précédent, leurs revendications, d’ordre administratif, étaient destinées à l’Etat espagnol et non marocain.
Les manifestants qui brandissaient le drapeau espagnol et l’ancien étendard de Sidi Ifni ont été arrêtés par les autorités locales et emmenés pour interrogatoire dans un commissariat de la ville. Ils ont été présentés aujourd’hui devant le procureur général de Tiznit, selon une source de la section locale de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) qui déclare n’avoir pas plus d’informations sur les éventuels chefs d’accusations prononcés à leur encontre.
Selon les sources du Desk, une délégation diplomatique espagnole s’est rendue sur place hier soir où elle a rencontré le président du conseil municipal. Plusieurs sit-in de solidarité avec les jeunes manifestants sont organisés dans des villes européennes par la communauté de Sidi Ifni résident à l’étranger.
La loi espagnole donne raison aux manifestants
Dans leurs revendications, les manifestants se basent sur un traité signé le 19 mai 1969 à Fès entre le Maroc et l’Espagne par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Ahmed Iraki et les représentants du gouvernement d’Espagne, ainsi que sur un récente loi publiée dans le bulletin officiel espagnol du 24 avril 2015 octroyant certains droits aux populations des anciennes colonies et possessions espagnoles, dont ceux relatifs à la nationalité.
Dans le premier article de cette loi modifiant l’article 21.1 du Code civil espagnol, il est clairement notifié que les populations juives séfarades et d’origine mauresque habitants de Sidi Ifni et les Sahraouis peuvent bénéficier de la nationalité espagnole. En considération de ces dispositions spéciales, la loi a supprimé quelques exigences nécessaires pour obtenir la nationalité espagnole pour ceux qui peuvent prouver par des documents « un lien spécial avec l’Espagne ».
Le Traité de Fès conclu en 1969 a prévu le maintien d’un consulat et des institutions espagnoles dans la ville, l’obligation d’enseigner la langue espagnole aux habitants de Sidi Ifni, ainsi que la construction d’un aéroport. Des engagements historiques signés avec Madrid, mais qui n’ont pas été tenus par le Maroc après la récupération de l’enclave.
« Les jeunes réclament une équité de traitement des dossiers dans l’obtention de la nationalité espagnole pour les natifs de Sidi Ifni », nous explique une source locale. « Ils disent qu’il y’a une sorte de discrimination de l’Etat espagnol à leur égard qui donne une priorité aux juifs séfarades et aux sahraouis », explique Mohamed Anflous, un activiste local.
Qui sont les jeunes contestataires ?
Cette requête doit être comprise dans le contexte général vécu par Sidi Ifni depuis les grandes émeutes qui ont secoué la ville en 2008. « C’est la conséquence d’un désespoir total de ces jeunes vis-à-vis de la situation de marginalisation dans laquelle ils sont plongés. Ils ne demandent plus rien à l’Etat et n’attendent plus rien de Rabat. C’est aux Espagnols qui ils s’adressent, et c’est très symbolique », explique Anflous.
Les huit personnes arrêtées sont toutes au chômage et en majorité des encartés de la section locale de l’AMDH, présidée par Mohamed Amazouz, 43 ans. Il était l’un des lanceurs du grand mouvement de protestation sociale qu’a connu Sidi Ifni en 2008 dénonçant un « embargo de l’Etat sur la ville ». Les activistes locaux tous courants politiques et idéologiques confondus, avaient formé à l’époque ce qui est désormais connu sous le nom de « Secrétariat local de Sidi Ifni », instance dans laquelle Amazouz avait un rôle majeur dans le sit-in du port qui avait provoqué des heurts durant plusieurs semaines.
Mohamed Amazouz est connu dans la ville pour son activisme depuis des années, d’abord au sein d’Attac puis de l’AMDH - dont il est membre actuellement - et auprès des associations des diplômés chômeurs. Il avait mené une expérience politique avec le Parti socialiste unifié (PSU) avec qui il s’est présenté aux élections municipales en 2009, en tant que fondateur de la section locale du parti.
En 2010, il était aussi le leader d’un mouvement de protestation à Sidi Ifni connu sous le nom de « Camp de la dignité » au sein duquel une dizaine de jeunes revendiquaient l’emploi direct et le droit de bénéficier des cartiyas (bon de rationnement) distribuées aux nécessiteux par les autorités de la ville. En 2011, il a formé avec le groupe de jeunes ayant mené l’action contre le bâtiment espagnol, une association dédiée à la mémoire de la ville, association dissoute par la justice l’année dernière. Amazouz avait déjà écopé de huit mois de prison ferme en 2013 pour son implication dans les événements de mai 2013, théâtre de violents affrontements entre les forces de l’ordre et des citoyens en colère contre l’arrestation d’un jeune chômeur. Il fait d’ailleurs à ce titre l’objet de plusieurs poursuites judiciaires.
Le choix de la Bagadoria, cet ancien bâtiment du consulat espagnol à Sidi Ifni, abandonné depuis de longues années est un acte symbolique. Il constitue une des dernières traces de la présence espagnole dans la cité portuaire, une Espagne à qui les jeunes de Sidi Ifni « gagnés par la hogra dans leur propre pays », demandent aujourd’hui des comptes.
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