« C’est la fiancée du printemps et de l’automne. Ses phares et ses créneaux, tels des astres brillants, observent sa vallée », écrivait Ibn Al Khatib au milieu du 14ème siècle pour décrire l’une des plus anciennes et des plus pittoresques villes de la côte atlantique marocaine. Située à 17 km au nord d’El Jadida et à 80 km au sud de Casablanca dans la région de Doukkala-Abda, la petite cité blanche d’Azemmour cernée d'une muraille crénelée est une ville qui célèbre les artistes comme le montrent les fresques colorées qui ornent ses façades à ravir les photographes amateurs.
A flanc de falaise surplombant le fleuve Oum Errabiâ, Azemmour, qui se distingue par sa position géographique entre fleuve, océan et forêt est connue pour son patrimoine architectural médiéval, ses ruelles étroites, ses maisons anciennes et son antique kasbah qui attire les visiteurs. Comme l’avait si bien décrite Zimmermann, elle « apparaît périlleusement accrochée dans un désordre pittoresque d’une blancheur exquise à l’œil, sur le faîte d’une falaise abrupte ».
Sur sa grande place à plusieurs niveaux, offrant une belle vue sur l’oued se trouve la Kasbah Sidi Mohamed Benabdallah et la synagogue Rabbi Abraham Moul-Niss. Dos à la vue, de larges escaliers en forme de petit amphithéâtre sont eux aussi peints. Pendant plusieurs années, Azemmour a organisé un festival annuel d'art de rue où des artistes ont été sélectionnés pour peindre des peintures murales autour de la médina. Durant la période du confinement dû à la pandémie de Covid-19, des jeunes de la ville se sont mobilisés dans le cadre du projet « Sauvez Azemmour » pour égayer les façades des maisons et lui redonner son cachet d’antan. Au quartier Chaoui, c’est un air de Chefchaouen que l’on retrouve.
Depuis les Phéniciens qui y ont installé des comptoirs commerciaux jusqu’aux Saâdiens qui l’ont libérée des mains des colons portugais sans omettre le valeureux émir amazigh Salih Ibn Tarif qui fit d’elle la capitale de l’émirat des Berghouata dès le 8ème siècle, Azemmour, de son nom amazigh Azama, fut une ville convoitée, jalousée, prise puis libérée et ensuite endormie.
Bercée par le fleuve Oum Errabiâ, qui fit sa renommée, la médina d’Azemmour raconte, à elle seule, l’histoire tumultueuse et légendaire de la région. Aujourd’hui, la ville de 40 000 habitants connaît un regain d’activité touristique, pendant la période estivale, mais aussi au-delà. Le quartier central est très vivant, avec de nombreuses rues très commerçantes et authentiques, comme la rue Moulay Bouchaib. Quelques restaurants populaires proposent des plats traditionnels de qualité et prix très corrects, avec pour certains une petite terrasse à l’étage. Pour une expérience plus authentique, il y a un petit marché qui propose des poissons et viandes en grillade juste avant l’entrée des remparts.
Une ville d’escale et de détente
A partir du hub aéroportuaire de Casablanca, Azemmour, au climat ensoleillé, calme et conviviale, est aussi une escale prisée pour les touristes en circuit des villes impériales du Maroc qui viennent découvrir ses attraits et profiter de sa capacité d’hébergement émergente. Urbanisée, avec une population cosmopolite, la cité abrite quelques maisons d’hôtes restaurées par des étrangers conquis par son charme discret.
« Aux groupes de golfeurs en compétition internationale à Mazagan et El Jadida, s’ajoutent désormais les résidents des grandes villes avoisinantes principalement Casablanca qui viennent à Azemmour pour son microclimat ou pour fuir le stress. Des touristes de passage y font aussi escale à Azemmour avant de visiter le reste du pays », déclare la gérante d’un des riads en activité dans la médina.
Le dynamisme du Parc d’exposition Mohammed VI situé à quelques kilomètres de la cité fortifiée a apporté une nouvelle classe de visiteurs à la province qui s’ajoute à celle des golfeurs habitués aux greens de Mazagan et d’El Jadida. En matière d’animation, le festival Malhouniat de musique Andalouse arrivé à sa 15ème édition en 2022 est l’un des évènements phare organisé dans l’enceinte de la vieille ville qui reste un musée à ciel ouvert malgré le fait qu’elle soit méconnue en comparaison de celles de Fès, Marrakech ou Tanger.
Une médina millénaire jonchée de monuments
Cette médina plusieurs fois millénaire reste l’atout touristique indiscutable de la ville en plus de sa charmante corniche offrant une vie imprenable sur l’Oued Oum Errabii. Elle abrite plusieurs monuments historiques et bâtisses de grande valeur patrimoniale : les remparts, les tours, les portes, la mosquée de la kasbah appelée jadis Mosquée Okba Ibn Nafii du nom du premier gouverneur musulman de Tunisie qui a conquis le Maghreb et la Grande Mosquée (Jamaa El Kbir) en passe d’être rénovée.
L’histoire d’Azemmour racontée jadis par Jean Darlet enseignant français ayant vécu dans la cité des Saints pendant l’occupation française, Zimmerman ou Prosper Ricard, est fascinante à maints égards mais à cause de la rareté des sources historiques et d’une certaine ambiguïté, le passé de la ville est largement méconnu. Pourtant, plusieurs civilisations se sont succédées sur ce territoire stratégique doté de terres agricoles de la plaine des Doukkalas. Attirés par son emplacement stratégique sur la rive gauche du fleuve Oum Errabii, les Phéniciens auraient été les premiers à y installer un comptoir commercial.
De son nom amazigh Azama, qui signifie le rameau d’olivier sauvage, abondant dans la région, elle a été l'une des premières villes marocaines islamisées. Et ce, en 667, soit l'an 45 de l'hégire par Moussa Bnou Nouçaïr. La présence de zaouïas, de multitude de fours traditionnels, de saqqayas, de sanctuaires islamiques et juifs, de maisons traditionnelles, de rues couvertes et de quartiers anciens comme le Mellah dénote de son effervescence passée. Deux ruelles étroites (derrazines et kherrazines) étaient bordées de boutiques destinées à fabriquer des produits d’artisanat locaux (tisserands, marchands d’étoffes et de babouches…). La célèbre broderie d’Azemmour faite de motifs géométriques aux couleurs vives et de style dragon (Ghorza) originaire d’Assise, une petite ville médiévale d’Ombrie, en Italie est encore préservée par quelques artisanes.
La médina d’Azemmour jouit aussi d’un patrimoine culturel immatériel riche et varié constitué du chant traditionnel (Al Malhoun), de traditions et de savoirs culturels et sociaux ancestraux comme l’art culinaire (tanjia), l’artisanat (tarz zemmouri), de coutumes de mariage, de baptême, de circoncision et autres.
Azemmour deviendra plus tard une importante colonie carthaginoise puis romaine. Agriculture, commerce et pêche à l’alose, étaient les ressources principales des habitants. Ce poisson (dénommé chabel) était abondant jusqu’à ce que l’embouchure du fleuve ne soit ensablée « depuis la construction du barrage Ben Maâchou entré en service en 1929 », explique un guide touristique local. Cependant, des travaux de dragage seront menés afin de libérer l’oued.
La corniche est le focal des visiteurs. Quelques cafés qui la bordent sont ouverts toute l’année. Des propriétaires de barques y proposent des virées en bateau jusqu’au mausolée de Lalla Aicha ou simplement une traversée jusqu’à l’autre rive où on cultivait auparavant du henné, des oranges et de la coriandre.
Une histoire riche et agitée
Sous la férule des Berghouata, cette principauté qui s’étendait de l’embouchure du Bouregreg jusqu’à la rivière Tensift durera jusqu’au règne des Almohades (1156-1269). Ce sont les sultans de cette dynastie qui construisirent les murailles actuelles de la ville. Celle-ci était, à l’époque, un centre spirituel de grande valeur. Azemmour accueille en effet le mausolée du cheikh soufi Abou Choaib Ayyoub Ibn Said Senhaji (appelé communément Moulay Bouchaib Erradad) qui a vécu entre la fin de l’époque almoravide et le commencement de celle des almohades vers 1165.
La ville constituait à l’époque l’un des pôles soufis les plus célèbres de l’histoire du Maroc dont la renommée avait atteint même l’Orient. Selon la légende, Lalla Aicha, une jeune femme venue de Bagdad à Azemmour pour y convoler en justes noces avec le cheikh soufi mourut noyée dans l’embouchure de l’Oued Oum Errabii. Devenue la sainte marieuse et la guérisseuse des femmes stériles, son mausolée est accessible par barque car se trouvant sur l’autre rive du fleuve.
Le mausolée de Moulay Bouchaib (nommé ainsi par les habitants) constitue pour sa part l’un des sanctuaires religieux les plus connus du pays. Sa baraka apporterait aux femmes les enfants de sexe masculin qu’elles désirent. Divers rituels en tout genre y sont pratiqués encore aujourd’hui.
Un saint juif vénéré aussi par les musulmans
A l’époque mérinide (1244-1465), Azemmour connut une grande prospérité scientifique et intellectuelle particulièrement après la construction d’une médersa par le Sultan Abou Al Hassan Al Marini décédé en 1351, au même titre qu’à Fès, Tanger, Salé, Taza, Marrakech ou encore Meknès.
Aujourd’hui disparu, ce lieu de culte et de savoir abritait également une communauté juive l’ayant quitté progressivement depuis 1948 avec la création de l’Etat d’Israël puis à partir de 1967 après la Guerre des Six-Jours.
La section juive de la médina offre un regard rétrospectif sur leur histoire au Maroc. Les Juifs d'Azemmour étaient principalement constitués d'exilés du Portugal qui y trouvèrent refuge en 1496 et comprenaient des pêcheurs, des artisans ainsi que quelques riches marchands. La communauté a prospéré sous l'occupation portugaise ultérieure en 1513 et les Juifs qui avaient été forcés de se convertir au christianisme (marranes) ont été autorisés à se rendre à l'intérieur du pays, à Fès notamment où ils pouvaient retourner à leur foi juive.
Plus tard, lorsque la ville fut reprise par les Maures, les Juifs furent envoyés à Asilah et furent même dédommagés de leurs pertes par Jean III du Portugal. Bien qu'une communauté locale ait été rétablie en 1780, la plupart des marchands les plus riches se sont retrouvés à Mazagan (El Jadida).
Leurs maisons au style mauresque et le mausolée du saint Rabbi Abrahim Moul Niss (Mulannes), arrivé, selon des sources apocryphes il y a 500 ans à Azemmour témoignent de leur présence et de l’esprit de tolérance qui a régné dans la ville. Son histoire n’est pas authentifiée ni documentée, mais on raconte aussi que ce saint est arrivé bien plus tard, vers 1870 d'Israël.
Un guide d’Azemmour raconte que la Hiloula de Rabbi Abraham Moul Niss est célébrée durant Lag Baomer (fête juive du calendrier rabbinique généralement au mois de mai). Il était vénéré par les juifs et les musulmans d’Azemmour pour être un tsaddik, c’est-à-dire un homme juste. Plusieurs miracles lui sont attribués notamment le pouvoir de guérison. C’est la raison pour laquelle plusieurs personnes effectuaient des pèlerinages pour visiter son mausolée.
Les mères coupaient les cheveux de leurs nouveaux nés près de sa tombe. On disait que sa baraka rayonnait sur les tristes gens qui, en allumant des bougies près de son mausolée voyaient leurs vœux exaucés et leur chagrin disparaître. On dit ainsi que dans les années 1930, pendant le protectorat français, le gouverneur de la ville qui avait une fille malade l’avait amenée au rabbin. La jeune fille a été guérie de sa maladie et les gens ont commencé à repeupler et à revitaliser le quartier juif de la médina, ainsi le nom du rabbin est devenu « Moul Niss » ou le « populaire ». Un moussem a lieu chaque mois d'août autour de son tombeau.
L’empreinte portugaise encore vivace
Au 15ème siècle, les Portugais sécurisaient les sites côtiers et pouvaient offrir une protection à la ville déjà peuplée d'Azemmour. A cette époque, vers 1486, les zemmouris nouèrent les premiers contacts commerciaux notamment avec les navigateurs portugais. Plus tard, lorsque le gouverneur, Moulay Zayam, a refusé de continuer à leur rendre hommage, une armée portugaise a été envoyée et la Bataille d'Azemmour à laquelle a participé en tant que soldat le célèbre explorateur Magellan a abouti à la conquête de la cité.
Les portugais arrivent ainsi en colonisateurs en 1513. Ils fortifieront les murailles des Almohades en ajoutant un style ibère et des bases à canon encore visibles aujourd’hui. Ils s’installèrent dans la kasbah où ils construisirent leurs propres bâtiments, notamment la capitainerie, siège du gouverneur portugais, récemment rénovée implantée sur une partie de l’ancienne kasbah islamique, l’église qui avait pris la place d’une ancienne mosquée et la porte de la ville, actuelle Bab El Kasbah. La capitainerie a été rénovée et ouverte désormais aux visiteurs.
En 1517, les portugais bâtirent l’intérieur séparant leur quartier de résidence (la kasbah) de l’autre partie de la ville. Suite à l’occupation portugaise d’Azemmour qui a duré 28 ans de 1513 à 1541, les colons ont également occupé les maisons des habitants d’origine à l’extérieur du fort avant de les démolir et les transformer en vergers et pâturages pour les animaux. Des fouilles archéologiques ont été menées dans cette partie de la médina révélant des infrastructures souterraines : des greniers et des silos à grain enfouis sous la cité qui servaient sans doute pour la conservation des denrées alimentaires, notamment le blé. Certains évoquent l’existence d’une ville ancienne construite sous l’actuelle Azemmour. On n’en saura pas plus.
En tout cas, la ville a connu tellement de transformations qui méritent d’être rappelées. Quand les Portugais ont pris leurs quartiers dans la kasbah, ils ont aménagé dans le mur d’enceinte intérieur un porche connu actuellement sous le nom de Porte de la kasbah et converti la Grande mosquée en église. L’édifice religieux a repris son caractère musulman d’origine après la libération de la ville en 1541. Et pour renforcer la protection d’Azemmour, les Portugais ont construit de nouvelles tours militaires notamment la Tour Saint Christophe de forme circulaire à l’angle sud-ouest de la kasbah. Pour leur besoin de défense, ils les renforcèrent et ouvrirent des cononnières à plusieurs niveaux comme à Borj Sidi Ouaadoud. La structure la plus importante est la tour Dar El Baroud qui est tout ce qui reste du stockage de la poudre à canon.
Les Portugais vivaient en partie de razzias pratiquées sur les tribus insoumises, des impôts imposés au « Maures de paix » et des droits sur la pêche des aloses. Mais ils étaient obligés d’importer le blé d’Europe. La vie des Marocains n’était pas de tout repos. Preuve en est, à l’époque de la piraterie, l’un des enfants du pays, Mustapha Zemmouri ou Estevanico sera capturé à l’adolescence par les Portugais et vendu à un commandant espagnol qui l’embarque pour le Nouveau Monde en 1526.
Le Portugal a finalement abandonné Azemmour pour des raisons économiques. À l'époque de la domination portugaise, Esteban le Maure ou Mustafa Zemmouri a été réduit en esclavage, vendu à un noble espagnol et a fini par devenir traducteur et explorateur lors d'une expédition en Amérique du Nord.
La légende d’Estevanico ou Mustapha Zemmouri
Azemmour a ainsi vu naître, le premier africain ayant mis les pieds en Amérique en 1527 et le premier marocain à avoir traversé l’Atlantique. Explorateur du Nouveau Monde envoyé par les Espagnols, il excella dans sa mission. Doté de fines connaissances en herbes médicinales, héritage des Doukkalas, Estevanico était surtout un polyglotte capable d’apprendre des langues amérindiennes en quelques semaines. Il fut adopté par les tribus indiennes puis fait prisonnier par d’autres. Après son retour triomphal en 1536 à Mexico entouré d’indigènes, Estevanico est cédé au vice-roi de la Nouvelle-Espagne (Mexique) qui l’emploie à la recherche des sept fabuleuses cités d’or de Cibola. La légende veut qu’en 1539, il soit de nouveau capturé puis tué par une tribu hostile du Nouveau Mexique. L’histoire d’Estevanico est aujourd’hui célébrée aux Etats-Unis qui a accueilli le premier Festival international d’Estevanico. Un buste de lui fait partie d'une série de sculptures historiques à El Paso, au Texas.
A l’extérieur de la ville, plusieurs sites sont à découvrir, comme le phare historique de Sidi Boubker qu’il faut embrasser du regard lors d’une balade sur une barque en prenant par le nord. Il faudra aussi passer du temps sur la plage de Haouzia, un bel endroit pour se détendre. Plus au sud-est, il est souvent conseillé de pousser son périple jusqu’à la belle Kasbah Boulaouane, isolée sur une colline. Construite en 1710 par le sultan Moulay Ismaïl, elle est considérée comme faisant partie de ses efforts pour ramener la paix sur une région à l’époque en proie à l’agitation.