PARTIE I
Un rapport d’audit
qui date de 2006


de Graciet
et Laurent. »
lors de la réforme de l'OCP
DE L'AFFAIRE
LAURENT-GRACIET
du livre Histoires de famille
chez Le Seuil.
avec le secrétariat particulier
de Mohammed VI. Il sollicite un entretien avec un représentant du Palais pour des raisons impérieuses.
entre Eric Laurent et Hicham Naciri, l’avocat du roi, au Royal Monceau. Eric Laurent a affirmé qu'il préparait un livre
avec Catherine Graciet et qu'ils accepteraient de ne pas le sortir contre 3 millions d'euros. L'avocat envoyé par le Maroc enregistre la conversation
sur son iPhone.
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cette fois sous surveillance policière, entre Laurent et Naciri à Paris, où il est de nouveau question d’une transaction
à 3 millions d’euros.
a lieu au bar du Raphaël,
une nouvelle fois sous surveillance policière avec
les deux écrivains. L'objectif
de cette rencontre était de s'assurer de l'implication de Catherine Graciet et de prendre les journalistes en flagrant délit. Après une garde à vue, Laurent et Graciet ont été mis en examen dans la nuit du 28 au 29 août pour « chantage » et « extorsion de fonds ». Ils sont soupçonnés d'avoir voulu monnayer, auprès du Maroc, la non-parution
d'un livre à charge
contre la famille royale.
au projet de livre et dénonce
une « rupture de confiance »
de la part de ses auteurs.
Catherine Graciet a obtenu les quelques fragments du rapport Kroll fin 2006. Ils étaient en possession de Nicolas Beau, ancien journaliste du Canard Enchaîné, qui dit les avoir reçus de Mustapha El Alaoui, un intime du prince Moulay Hicham qui dirige le cabinet de lobbying Strategic Communications Group à Dubaï. A l’époque des faits, Catherine Graciet était journaliste au Journal Hebdomadaire à Casablanca et pigiste à Paris pour le site Bakchich.info, que dirigeait Beau.
« La grenade ne devait pas être dégoupillée »
Le contexte de la dissémination des extraits du rapport Kroll il y a huit ans est très particulier. De juillet 2006, date de bouclage du rapport, au 26 novembre de la même année, date de sa présentation au roi Mohammed VI par Mostafa Terrab, ce dernier fait face à de puissantes résistances au sein de l’OCP qui le retardent à mettre en œuvre sa stratégie d’assainissement de la plus imposante société publique du royaume. Ces tensions ont culminé en septembre 2006, lorsqu’il décide de limoger plusieurs cadres dirigeants impliqués dans la mauvaise gestion de l’entreprise qui souffre d’un endettement colossal.
Selon des sources concordantes, à l’époque, Mostafa Terrab n’a pas de certitude quant à sa capacité à réformer l’Office. Il doute encore de ses appuis au Palais. Pendant les quatre mois qui séparent la conclusion du rapport et l’audience que lui accorde le roi lui annonçant son feu vert pour dérouler son action, Terrab se montre impatient…
Désemparé, Terrab a-t-il alors envisagé le pire : rendre public le contenu du rapport Kroll ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il qu’un abstract du document secret atterrit entre les mains de Nicolas Beau. A Paris, celui-ci donne à parcourir à quelques confrères de maigres feuillets jugés « explosifs » dans le contexte de l’époque. Beau, très au fait des affaires marocaines, sait qu’il tient là un scoop qui peut faire jaser au Maroc. Il assure qu’il a choisi de ne pas en faire usage, « sauf si le roi décidait de couvrir les mis en cause, ce qu’il n’a pas fait ».
A la lecture de son contenu, on peut en saisir les enjeux dans le contexte de 2006 : il démontre page après page l’incurie qui régnait alors à l’OCP. Pour le journaliste, les responsabilités dépassent forcément l’Etat-major du géant des phosphates. Outre des membres de la direction, des personnalités de haut rang seraient tout aussi responsables de cette situation, qui sera par la suite corrigée : « La grenade ne devait pas être dégoupillée, voilà tout ».

A la différence d’une mission de due diligence, l’Independant Business Review de Kroll comporte en plus du diagnostic financier, une analyse sectorielle et un diagnostic opérationnel poussé. Y sont recensés des faits objectivés, avec par ailleurs une évaluation des informations sources. L’audit a d’abord pointé l’impossibilité pour l’OCP d’établir des comptes consolidés, du fait d’un défaut d’information financière et de l’absence d’harmonisation comptable entre les différentes sociétés du groupe. Il a également souligné l’absence de provisionnel de trésorerie ou de couverture des risques de change valorisé par Kroll à près de 1 milliard de dirhams. Kroll a aussi évalué et réintégré l’intégralité du coût de la caisse interne des retraites, conduisant à un rapport dettes sur fonds propres négatif à -2,4 (les capitaux propres sont négatifs à hauteur de -15,9 milliards de dirhams et à des pertes pour l’exercice de 12,2 milliards de dirhams pour un chiffre d’affaires de 23,5 milliards !). Le rapport a aussi mis en évidence l’absence de stratégie, l’hypercentralisation du groupe, la lourdeur des process décisionnels et la médiocrité de la performance industrielle.
Un compte « de souveraineté » à la BMCE Paris
Dans la copie dont a eu accès Le Desk à Paris, seule la mention de l’existence d’un compte bancaire « de souveraineté », ouvert auprès de l’agence BMCE Paris-Opéra et qui aurait servi à l’Etat marocain pour des décaissements confidentiels, revêt un caractère sensible, ce que concède volontiers Nicolas Beau. Le rapport laisse aussi apparaître d’autres faits étranges et injustifiés : le pôle Mine vendait sa roche de phosphate aux sociétés du groupe, mais aussi à Imacid (une joint-venture créée à Jorf Lasfar en 1997 avec les sociétés indiennes Chambal Fertilizers and Chemicals et Tata Chemicals) en dessous de ses coûts de production !
Le financier Charles Thoma, aujourd’hui partner de LMVH, cabinet de consulting basé à Madrid, avait été d’avril à juillet 2006 le directeur de Kroll Talbot et Hugues. C’est lui qui a dirigé l’audit de l’OCP commandité par Mostafa Terrab. Thoma corrobore le fait que « le rapport Kroll n’a pas révélé de malversations, mais plutôt une absence de cadre stratégique préjudiciable à l’entreprise ». Il confirme aussi que ses équipes n’ont pas constaté que le trou de la caisse des retraites de l’OCP serait du à des détournements au profit de tiers. Pour lui, les difficultés financières de l’OCP en 2006 étaient « la cause d’un problème de gouvernance, d’une incapacité à traduire les capacités de l’Office en terme commercial et d’une gestion désastreuse de son ancienne direction ». Il réitère que son rapport a été la base du sauvetage de l’OCP opéré par Terrab et non pas « un rapport faisant état de nuisances pouvant impacter l’OCP ou le pays ». Un avis partagé par Pascal Croset, consultant international pour la transformation stratégique des entreprises. Fondateur du cabinet Praxeo-Conseil, Croset avait été recruté par l’OCP pour suivre la réforme engagée par Terrab sur la base du rapport Kroll. Il en a réalisé une étude circonstanciée pour la Fondation Manpower Group en 2013. Il a lui aussi compulsé le rapport Kroll et est tout aussi catégorique : « Rien dans ce rapport ne justifie les commentaires cataclysmiques de Graciet et Laurent ».
PARTIE II
« Graciet et Laurent ont fait monter la sauce »

de malversations, mais plutôt
une absence de cadre stratégique préjudiciable
à l’entreprise »
de Kroll Talbot Hugues
Elle quitte Le Journal Hebdomadaire en 2008 et continue de collaborer par intermittences avec Bakchich.info. Le site est alors aux prises avec de sérieuses difficultés financières, ayant dépensé plus de 4 millions d’euros sans réussir à s’imposer dans le paysage médiatique français. L’essentiel du financement provenait de mécènes libyens. Nicolas Beau reconnaît cependant des liens d’argent avec Mustapha El Alaoui. Catherine Graciet se consacre alors à l’écriture d’articles pour diverses revues. Elle collabore avec l’avocat William Bourdon, qui dirige l’association Sherpa, dans des recherches documentaires sur le dossier dit des « biens mal acquis » de dictateurs africains. En mars 2012, elle cosigne avec Eric Laurent Le Roi prédateur, une habile compilation d’enquêtes pour la plupart parues dans Le Journal Hebdomadaire. Malgré les erreurs factuelles qui émaillent le brulôt, le succès est immédiat. Contre l’avis de Nicolas Beau, Graciet y fait cette fois-ci mention du rapport Kroll. Tout ce qu’elle croit en savoir y est couché. « Sa portée y est manifestement exagérée », reconnaît Beau. Lorsque Graciet et Laurent concluent un nouveau contrat en décembre 2014 avec Le Seuil, ils présentent leur projet Histoires de famille comme une suite au Roi prédateur. L’éditeur y voit naturellement une opportunité de publier un second best-seller. Selon la presse française, un à-valoir de 21 000 euros est versé à chacun d’entre eux. Pourtant, les auteurs savent pertinemment à la signature de ce second contrat que le rapport Kroll n’est pas aussi juteux qu’ils le prétendront lors de leurs échanges avec l’avocat du roi. « Ils ont fait monter la sauce », observe un journaliste français proche des protagonistes. De décembre 2014 à juillet 2015, Graciet et Laurent cherchent « un moyen de transformer le projet de livre en une rente », estime-t-il. Son explication est simple : « Ils savent qu’en octobre 2015, ils doivent remettre un manuscrit au Seuil, qui en a programmé la sortie début 2016. A défaut, ils doivent rembourser les à-valoir déjà perçus ».
PARTIE III
« Notes blanches » de la DGSE :
le grand bluff


des documents
s'est passée
au moment
de la brouille
entre le Maroc
et la France. »
La réalité est tout autre. Les fameuses « notes blanches » de la DGSE datent en fait, pour la plupart, de juin 2003 et ont été rédigées dans le contexte des attentats du 16 mai à Casablanca. Il s’agit de six notes, quatre consacrées à Fouad Ali El Himma, à Abdelkbir M’daghri Alaoui et à Driss Basri, et deux citées par Catherine Graciet face à Hicham Naciri, qui concernent le conseiller du roi, André Azoulay. Ecrite en juin 2003, une des deux notes mettant en scène Azoulay relate dans le détail un court séjour de ce dernier à Abu Dhabi. Il s’y est rendu pour intervenir lors d’une conférence organisée au Centre Zayed fermé en août 2003. La première soirée de son séjour à Abu Dhabi, André Azoulay a assisté à un dîner chez Mohamed Khalifa Al-Murar, nationaliste arabe et directeur du Centre Zayed. Était présente l’élite intellectuelle et politique d’Abu Dhabi, ainsi que des membres du cabinet de l’émir du Koweït. Selon la note, « ces derniers ont intelligemment défendu, plutôt justifié, certains actes terroristes qu’ils appelaient “violences légitimes” face à la provocation occidentale et à la répression des régimes arabes. Ils étaient étonnants par leur franchise au point de dire que les attentats de Casablanca sont dus à la pauvreté et au cumul de haine contre une classe politique pourrie ». Un second dîner, cette fois chez un riche homme d’affaires de Dubaï, auquel a assisté André Azoulay ainsi qu’« une dizaine d’hommes du monde du commerce et de la finance » a été l’occasion, pour certains participants, de tenir des propos ouvertement anti-américains.
Des notes anciennes sans rapport avec la brouille
Ces notes seraient le fruit de discussions informelles d’un informateur marocain de la DGSE avec, entre autres, Hafid Benhachem, à la veille de son départ de la tête de la police nationale. Retranscrites dans un français approximatif, celles-ci ont d’ailleurs fait l’objet de synthèses parues dans Le Journal Hebdomadaire en octobre 2006 sous la plume de… Graciet. Mieux, elles ont été largement exploitées par la journaliste dans son livre Quand le Maroc sera islamiste. Absolument rien ne lie ces vieilles notes au contexte de la récente brouille diplomatique entre Paris et Rabat. Fait rare, le démenti de la DGSE publié au lendemain de la révélation du contenu des discussions au Raphaël est hautement significatif.
Demeure une question lancinante. Si Eric Laurent et Catherine Graciet ont monté en épingle les deux pièces maîtresses de leur projet de livre sur la base de documents qui datent et qui ne sont certainement pas de nature à « ébranler la monarchie », pour quelle raison sont-ils allés au contact du Palais ? D’autant plus que ni Le Seuil, ni son conseil juridique n’ont été mis dans la confidence de cette partie de poker menteur avec le roi du Maroc, comme il est d’usage dans le monde de l’édition lorsqu’une telle démarche est menée pour confronter son sujet à des informations à caractère sensible.
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