« Appelez Camille*, dites-lui que vous êtes une amie de fac. Parlez-lui en français. Il attend votre appel. » Camille est fonctionnaire à l’ONU depuis dix ans. À Manhattan, à l’opposé des quartiers généraux des Nations unies, il accepte de nous rencontrer. Durant quatre heures, il va nous dévoiler les multiples dysfonctionnements de l'appareil disciplinaire interne, dont il est l'un des rouages. Cet appareil est censé instruire et sanctionner les affaires de violences et agressions sexuelles qui mettent en cause des personnels des Nations unies.
Car bien loin des nobles intentions de promotion des droits de l'homme – et des femmes –, les scandales d'abus sexuels commis par des casques bleus ou des fonctionnaires onusiens émaillent l'histoire récente de l'organisation. D'après le « Rapport d’évaluation sur les efforts d’assistance en matière d’exploitations et abus sexuels liés au personnel des missions de la paix » (mai 2015), 480 allégations d’abus ont été dénombrées de 2008 à 2013. Tout porte à croire que les cas sont largement sous-reportés.
Bosnie, Timor oriental, Cambodge, Liberia, Guinée et plus récemment Haïti, République centrafricaine (RCA) ou République démocratique du Congo (RDC) : la liste est longue. « Alors que les forces de maintien de la paix sont censées protéger la population, rappelle la sociologue Vanessa Fargnoli, certaines organisations constatent que le nombre de viols augmente avec la présence militaire. »

Et à chaque nouveau scandale, son lot de promesses. En 2005, le rapport du prince Zeid, conseiller du secrétaire général de l'ONU, dénonce l’exploitation et les abus sexuels. Il fait l'effet d'une bombe dans toute l'organisation. Onze ans plus tard, quasiment aucune des mesures qu'il avait proposées n'a été suivie d'effets.
Les règles de bonne conduite pour les 16 missions rassemblant 120 000 personnels (100 000 casques bleus, militaires le reste des civils) sont pourtant claires : tolérance zéro vis-à-vis de l'exploitation et des abus sexuels interdiction de relation sexuelle avec une prostituée ainsi qu'avec une personne de moins de 18 ans relations avec les bénéficiaires de l'assistance de l'ONU vivement découragées. Mais sur le terrain, hypervirilité, machisme, misogynie, déliquescence des États, sentiment de toute-puissance et racisme ont raison des règlements, selon Vanessa Fargnoli. Ils favorisent ces « abus de pouvoir qui prennent une forme sexuelle ». Les humanitaires ou fonctionnaires onusiens rencontrés lors de notre enquête s'accordent, en « off », à parler de « sexualité débridée » lors des missions de la paix et de « verrous moraux qui sautent ».

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