
Le médiateur onusien Christopher Ross va faire le point sur sa dernière tournée régionale le 8 décembre prochain devant le conseil de sécurité de l’ONU. Quarante ans après le déclenchement du conflit, la question de la souveraineté du territoire reste au cœur des enjeux. Le roi Mohammed VI propose de négocier la création d’une « Région autonome du Sahara » qui disposerait de larges prérogatives (exécutif, parlement et tribunaux locaux) mais refuse depuis 2004 toute option pouvant déboucher sur la création d’un état indépendant. Fort de son contrôle sur la majorité du territoire et du consensus actuel au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, qui demande aux parties de négocier elles-mêmes une solution politique, l’Etat s’est engagé dans un rapport de force avec le Polisario et l’Algérie sur la question du droit à l’autodétermination.
Malgré l’abandon du plan Baker II en 2004 et la présentation du plan marocain d’autonomie en 2007, ces derniers continuent en effet de réclamer l’organisation d’un référendum à choix multiples, incluant l’option d’indépendance. Ils s’appuient pour cela sur le droit international : le territoire du « Sahara occidental » est maintenu chaque année sur la liste des territoires non-autonomes de l’ONU, examinée par la 4e commission de l’Assemblée générale, chargée des affaires de décolonisation. Un statut qui garantit aux habitants de ces territoires l’exercice du droit à l’autodétermination.
Le Conseil de sécurité, organe exécutif des Nations Unies, « demande » chaque année depuis 2007 à ce qu’une solution politique soit trouvée pour permettre ce droit à l’autodétermination. Au regard du droit international, l’autonomie fait partie des options possibles mais à une condition : qu’elle soit librement négociée et acceptée par les parties en présence. Ce que le Polisario refuse jusqu’à présent.
Depuis 2007, le mouvement indépendantiste s’emploie au contraire à maintenir en jeu la question de la souveraineté, et ce à travers plusieurs leviers : l’extension du mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l’homme, la question de l’exploitation des ressources naturelles (phosphates, pêche et hydrocarbures) et le développement du territoire situé à l’est du mur de sable, une bande de terre aride que le polisario contrôle de facto depuis le cessez-le-feu de 1991. Grâce au soutien de l’Algérie et de l‘Afrique du sud, le polisario peut également compter aujourd’hui sur l’Union africaine. Depuis 2013, l’UA tente de se ré-engager dans le dossier et de peser auprès du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’ONU pour relancer l’option du référendum.


Une pression pour des réformes
Afin de contrer l’extension du mandat de la Minurso, réclamée par le Polisario et les ONG internationales, les alliés du Maroc ont poussé l’Etat ces dernières années à s’engager sur des réformes (CNDH, tribunal militaire, liberté d’association, nouveau modèle de développement), dont la mise en œuvre doit permettre de crédibiliser la position marocaine. A Laâyoune, le gouvernement a annoncé début novembre 77 milliards de dirhams d’investissements sur les prochaines années afin de développer les provinces du sud, qui regroupent également la province de Tarfaya et la région de Guelmim Oued Noun.
En parallèle, la diplomatie marocaine est passée à l’offensive face à l’Algérie. Alors que Christopher Ross, ancien ambassadeur à Alger, juge préférable de manœuvrer le pouvoir algérien en coulisses, Rabat a adopté la démarche inverse. Les récentes déclarations de la diplomatie marocaine à New York sur le droit à l’autodétermination des Kabyles et le ton « offensif » du dernier discours de Mohammed VI vis-à-vis d’Alger, participent à cette stratégie. Confrontée à une grave crise budgétaire, liée à la baisse des cours du pétrole, à une situation sécuritaire tendue à ses frontières et à une guerre de succession à la tête de l’Etat, l’Algérie peut-elle lâcher du lest sur la question du Sahara ?



Les réfugiés exaspérés
Le Polisario de son côté avait prévu la tenue de son 14e congrès en décembre à Tifariti, à l’est du mur de sable. Après une série de rencontres avec la chef de la Minurso, Kim Bolduc, la direction du mouvement a toutefois décidé en aout dernier de déplacer le lieu du congrès au camp de Dakhla, le plus excentré des camps de réfugiés, où les inondations qui ont frappé la région en octobre ont fait des ravages. L’événement devrait avoir lieu du 16 au 20 décembre prochains et pourrait aboutir au remplacement de Mohamed Abdelaziz, qui règne sur les camps de Tindouf depuis près de quarante ans et dont l’incapacité à faire avancer la « cause sahraouie » suscite de plus en plus de mécontentement parmi les réfugiés.
PARTIE I
Au Maroc, l’autonomie toujours sur la table ?

La mise en place d’une autonomie avancée au Sahara a été considérée dès 1999 comme une alternative au référendum d’autodétermination, prévu par le plan de règlement de 1991 mais dont Rabat redoutait les résultats. Les promesses de démocratisation nées de l’accession au trône de Mohammed VI avaient en effet permis aux soutiens du Maroc, Washington et Paris en tête, de pousser le conseil de sécurité de l’ONU à suivre cette « troisième voie » – encore taboue dans le Royaume – au lieu d’imposer la tenue du référendum. « J’ai réglé la question du Sahara qui nous empoisonnait depuis vingt-cinq ans. Ce genre d’affaire ne se traite pas en grimpant sur un piédestal et en publiant un communiqué par jour. », confiait ainsi, non sans fierté, Mohammed VI au Figaro en 2001.
Mais suite au refus du Polisario et de l’Algérie de négocier l’accord-cadre sur l’autonomie proposé cette année-là par le Maroc et le diplomate américain James Baker, l’ONU a proposé un autre plan en 2003 : une période d’autonomie de cinq ans suivie par un référendum d’autodétermination comportant trois options (intégration au Maroc, autonomie ou indépendance). Un plan définitivement rejeté en 2004 par le Royaume. Les négociations se sont alors enlisées jusqu’à ce que la proposition marocaine d’autonomie soit officiellement déposée à l’ONU en avril 2007.




Ayant convaincu le conseil de sécurité de ne pas lui imposer un référendum d’autodétermination, Rabat s’attendait à ce que sa proposition serve de base de négociations. Mais la dynamique enclenchée à New York en faveur de l’autonomie à partir d’avril 2007 a été rapidement stoppée. Les câbles diplomatiques américains révélés depuis par Wikileaks mettent en lumière les intérêts fluctuants des grandes puissances et leur volonté de préserver leurs relations bilatérales à la fois avec le Maroc et avec l’Algérie.
Lors de l’examen du dossier par le Conseil de sécurité en octobre 2007, les Etats-Unis ont mis la pression sur le Polisario en rédigeant un projet de résolution qui qualifiait la proposition marocaine de « base réaliste des négociations ». Après plusieurs séances houleuses, ce passage, soutenu par Washington et Paris, a finalement été supprimé de la résolution face à l’opposition de la Russie, de l’Espagne et du Royaume-Uni. L’Envoyé Personnel de l’ONU Peter Van Walsum conseillait alors à Washington « de ne pas sous-estimer la résistance à l’approche marocaine ni de surestimer sa propre influence ». Il rappelait à quel point l’Algérie avait été « efficace » pour mobiliser la Russie et l’Afrique du sud, selon un câble diplomatique envoyé par l’ambassadeur américain à New York, Zalmay Khalilzad.
En mars 2008, l’administration Bush a concocté une nouvelle stratégie pour tenter de clore le dossier Sahara, selon un câble classifié « secret » et rédigé par la Secrétaire d’Etat de l’époque, Condoleeza Rice. Le plan comportait trois étapes : inciter le Secrétaire général de l’ONU à mentionner dans son rapport annuel que le plan d’autonomie est la seule base possible des négociations, pousser les membres du Conseil de sécurité à faire des déclarations publiques dans ce sens, puis inviter le chef du polisario, Mohamed Abdelaziz, à la Maison Blanche pour ouvrir les négociations.
Mais là encore, rien ne s’est passé comme prévu. Ban Ki-moon n’a pas mentionné l’autonomie dans son rapport d’avril 2008 sur le Sahara. Sammy Kum Buo, Directeur Afrique au Département des affaires politiques (DPA) de l’ONU, avait averti l’ambassadeur Khalilzad que le nouveau Secrétaire général serait critiqué par les pays du Mouvement des Non-Alignés et par l’Afrique du sud s’il tentait de saper le principe de l’autodétermination.
Lors des consultations au Conseil de sécurité, tenues quelques jours après la présentation du rapport de Ban Ki-moon, la France a refusé d’affirmer publiquement que l’indépendance du territoire est irréaliste. Selon l’ambassadeur américain à Paris, Craig Stapleton, l’Elysée a cédé face aux pressions du « lobby algérien » au sein du gouvernement français : le président Sarkozy avait besoin du soutien de l’Algérie pour le lancement de « son » Union pour la Méditerranée (UPM).
Au final, seuls l’ambassadeur américain et Peter Van Walsum se sont exprimés publiquement sur la question de l’indépendance, ce qui a isolé Washington et conduit à l’éviction de l’Envoyé Personnel quatre mois plus tard. La « fenêtre de tir » la plus favorable à l’autonomie venait de se refermer, provoquant le début d’un raidissement de la part de Rabat.
« Le Maroc, sur la défensive pour la première fois depuis des années après une série de victoires diplomatiques, apparaît déterminé à limiter la casse », relevait alors l’ambassadeur américain à Rabat, Thomas Riley.






Acculé, Mohammed VI hausse le ton
A la déconvenue subie à l’ONU est venu s’ajouter un autre facteur : l’élection de Barack Obama et l’arrivée des démocrates américains à la Maison Blanche en 2009. La nouvelle administration a tiré les leçons de l’épisode Van Walsum et a revu sa position sur le dossier du Sahara pour l’adapter aux priorités des Démocrates - coopération sécuritaire et développement – au Maroc mais aussi avec le voisin algérien, devenu un partenaire incontournable des Occidentaux suite à la montée de l’instabilité au Sahel.
Fini le soutien affiché en public à la position marocaine, Washington s’est désengagé et a laissé son diplomate Christopher Ross, nouvel envoyé personnel de Ban Ki-moon, manœuvrer sous l’égide de l’ONU.
Sur le plan interne, Mohammed VI a constaté lors des élections locales de 2009 que les notables sahraouis n’étaient pas prêts à se laisser dicter (toutes) les règles du jeu politique par Rabat, preuve d’une certaine émancipation locale. Lors d’une réunion tenue fin juin 2009 à son domicile avec Christopher Ross, le conseiller royal Fouad Ali El Himma, accompagné du secrétaire général du PAM, le Sahraoui Mohamed Sheikh Biadillah, a ainsi « détaillé leurs vains efforts pour battre la machine politique de Khalihenna Ould Errachid, l’actuel président du Corcas, aux élections municipales de Laâyoune », selon un câble de l’ambassade américaine à Rabat. El Himma et Biadillah ont indiqué à Ross « que le PAM continuerait à travailler contre le clan Khalihenna ». Une diplomate suédoise qui s’était rendue au Sahara peu de temps après les élections a rapporté que même des sympathisants du Polisario ont défié l’appel au boycott pour voter en faveur des Ould Errachid car, selon un de ces électeurs, « aussi corrompus qu’ils soient, ils s’opposent aux machinations de Rabat ».
Les « séparatistes de l’intérieur » ont eux aussi franchi un cap à ce moment-là lorsque sept d’entre eux – dont Ali Salem Tamek et Brahim Dahane – ont organisé pour la première fois une visite médiatique à Tindouf. « Ils avaient toujours maintenu leur distance avec le Polisario, sachant que des liens politiques aussi proches et ouverts nuirait à leur légitimité sur les questions des droits de l’homme », notait l’ambassadeur américain Samuel Kaplan. Arrêtés à leur retour à Casablanca, ils ont été accusés d’intelligence avec l’ennemi.
Mohammed VI a alors durcit le ton lors de son fameux discours de la Marche verte de novembre 2009, dans lequel il a annoncé la mise en œuvre unilatérale de la régionalisation avancée au Sahara, tout en tapant du poing sur la table. « Fini le temps du double jeu et de la dérobade. L'heure est à la clarté et au devoir assumé. Ou on est patriote ou on est traitre ».
Régionalisation ou autonomie ?
En affrontant sans trop d’embûche les vagues des printemps arabes de 2011, Mohammed VI a consolidé son pouvoir et éloigné les pressions d’ordre stratégique. Le Maroc et l’Algérie, puissances locales aux portes de l’Europe, forment un couple de stabilité et d’opposition qui empêche tout interventionnisme contre Rabat sur la question du Sahara, dans un contexte où la priorité est donnée aux enjeux sécuritaires. De fait, le territoire sous contrôle de Rabat est aujourd’hui une des rares zones de stabilité dans cette sous-région minée par les groupes terroristes.
Ce qui donne la main au Maroc pour jouer sur les deux tableaux : d’un côté l’Etat accélère la décentralisation et le développement du territoire afin d’étouffer toute velléité séparatiste. De l’autre, il maintient officiellement en jeu sa proposition d’autonomie.
La régionalisation lancée cette année efface la ligne de démarcation internationale : le « Sahara occidental » est aujourd’hui intégré dans les provinces du sud, qui comprennent les régions de Dakhla-Oued Eddahab, Laayoune Sakiat el Hamra et Guelmim Oued Noun. Un plan d’ensemble qui régit les relations entre le pouvoir central et les régions.
Le Corcas, instance consultative des sahraouis relancée par Mohammed VI en 2006 pour préparer le plan d’autonomie, a finalement été mis en sommeil depuis Manhasset. C’est d’ailleurs le CESE, instance nationale basée à Rabat, qui a été chargé en 2013 d’élaborer le « nouveau modèle de développement des provinces du sud », lancé le mois dernier à Laâyoune par Mohammed VI.
Le plan d’autonomie présenté en 2007 à la communauté internationale est relégué aujourd’hui au rang d’option maximale de négociation, et ce uniquement si le Polisario se décide à abandonner toute revendication sur la souveraineté du territoire. S’agissant du mouvement séparatiste, avec qui le Maroc doit en théorie trouver un compromis, Mohammed VI a d’ailleurs parlé devant le Parlement en octobre 2015 d’« une minorité qui réside hors-patrie et tente illusoirement et sans le moindre fondement juridique de s’autoproclamer représentant de ces populations. »
La proposition marocaine d’autonomie comporte des éléments de base, à négocier, portant sur les compétences et les organes d’une « Région autonome du Sahara », qui remplacerait alors les trois régions composant aujourd’hui les « provinces du sud » (Guelmim Oued Noun, Laâyoune Sakiat el Hamra, Dakhla Oued Eddahab). Le Maroc propose d’attribuer de larges prérogatives à ce territoire : administration, police et fiscalité locales, infrastructures, développement économique, social et culturel. Rabat conserverait une compétence exclusive sur les attributs de souveraineté, ceux liés aux compétences constitutionnelles et religieuses du Roi, la sécurité nationale et extérieure, l’ordre juridictionnel du Royaume.
La vraie différence avec la régionalisation qui est déjà en cours de mise en œuvre concerne les organes de la Région autonome : le Maroc propose la création d’un parlement régional composé de membres élus par les tribus sahraouies et d’autres membres élus au suffrage universel. Ce parlement élirait à son tour un « chef de gouvernement » régional, investi par le roi, qui formerait le « gouvernement de la Région ». Le plan d’autonomie propose enfin la création d’un Tribunal Régional Supérieur et d’un conseil économique et social propre à la région.
Ce plan d’autonomie, une fois négocié avec le Polisario, serait soumis « à une libre consultation référendaire des populations concernées » et nécessiterait un nouveau changement de la Constitution du Royaume.
PARTIE II
Les dernières cartes du Polisario


Depuis la fin de la guerre froide, le Polisario n’a pu empêcher l’érosion de ses soutiens politiques sur la scène internationale. Suite à la présentation du plan d’autonomie en avril 2007, le ministre délégué russe aux Affaires étrangères, Alexsandr Saltanov, confiait lui-même à l’ambassadeur américain à Moscou que le Maroc avait déjà gagné « au niveau politique », selon un câble diplomatique daté d’août 2007 et révélé par Wikileaks. Le responsable russe estimait que le refus du Polisario et de l’Algérie de négocier l’autonomie leur était « coûteux » et jouait en faveur du Maroc.
Outre l’Algérie, qui porte le mouvement indépendantiste à bout de bras grâce à sa machine diplomatique, Abdelaziz et ses hommes ne comptent aujourd’hui que sur le soutien actif de l’Afrique du sud, qui préside cette année le G77, et des pays sous son influence. En Amérique latine, seul le Venezuela, actuellement membre non permanent du conseil de sécurité, se mobilise en faveur du mouvement.
Grâce à Alger et Prétoria, le Polisario espère que l’Union africaine puisse peser auprès des organes de l’ONU, mais les efforts menés depuis 2013 par l’organisation régionale pour réanimer le référendum d’autodétermination restent vains jusqu’à présent.
Clashs à répétition avec l’ONU
La position ferme de l’Etat marocain sur la souveraineté du Sahara provoque par ailleurs des clashs à répétition avec la Minurso, le Secrétariat général de l’ONU et son Envoyé Personnel, Christopher Ross. Les câbles diplomatiques marocains révélés l’année dernière à travers le compte anonyme « Chris Coleman » montrent à quel point Rabat s’inquiète de la dynamique actuelle à New York et de l’avenir réservé à sa proposition d’autonomie. Lors d’une réunion organisée en juin 2014 à New York entre Christopher Ross et les diplomates marocains, ces derniers ont exigé un engagement écrit de l’ONU sur les paramètres des négociations, y compris sur la question de la souveraineté du territoire. Le secrétariat général de l’ONU s’y est opposé et Ban Ki-moon s’est exprimé à deux reprises sur le sujet, suite à la tenue en mars 2015 du forum Crans Montana à Dakhla puis le 4 novembre dernier, deux jours avant la visite de Mohammed VI à Laâyoune. Il a répété que « le statut définitif du territoire est l’objet d’un processus de négociations mené sous mes auspices, en conformité avec les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité ».




Dans son discours prononcé à Laâyoune, Mohammed VI a indirectement répondu à Ban Ki-moon en affirmant que « le Maroc fera face à toutes les tentatives visant à remettre en question le statut juridique du Sahara marocain et à contester l’exercice par notre pays de la plénitude de ses pouvoirs sur son territoire, tant dans ses provinces du Sud qu’au Nord. »
Question des ressources naturelles
L’autre limite à l’approche marocaine sur la souveraineté du territoire concerne la question des ressources naturelles. Dès 2001, le Polisario a tenté de bloquer le développement des investissements au Sahara en saisissant l’ONU. L’avis juridique rendu alors par le suédois Hans Corell, à la demande du conseil de sécurité, indiquait que l’exploitation des ressources naturelles d’un « territoire non-autonome » est conforme au droit international tant qu’elle répond à la volonté et aux intérêts des habitants du territoire. Les accords commerciaux signés par le Maroc avec l’UE et les Etats-Unis ne spécifient pas les limites du territoire marocain mais incluent implicitement la partie du Sahara sous administration marocaine.
Aujourd’hui les soutiens du Polisario tentent de mobiliser les pays occidentaux pour opérer une différentiation entre les produits originaires du Sahara et ceux du reste du Maroc. L’activisme de l’association Western Sahara Ressource Watch (WSRW), suivie par des fonds de pension nordiques, a ainsi poussé plusieurs clients de Phosboucrâa à stopper leurs achats de phosphate « sahraoui ». Une situation jugée suffisamment inquiétante à Rabat pour être mentionnée par Mohammed VI dans son dernier discours : « Pour ceux qui, en violation du droit international, veulent boycotter ces produits, libre à eux de le faire. Mais, ils devront assumer les conséquences de leurs décisions. ».
Les bailleurs de fonds internationaux s’interdisent eux aussi d’investir au Sahara. Afin d'obtenir un prêt de la SFI (filiale Banque mondiale), Anouar Invest, la holding de Hachmi Boutguerray, a ainsi été obligée en septembre dernier de se séparer de ses activités de pêche (Silver Food). Pour l'appel d’offre groupé du plan éolien, qui nécessite de lourds investissements et dont une partie des centrales prévues se trouvent au Sahara, certaines compagnies européennes comme EDF, Alstom ou Gamesa ont formé des consortiums avec des sociétés du Golfe (Acwa Power, Qwec). Dans l'optique de lever les financements nécessaires aux côtés des banques marocaines ?
Un retour aux armes ?
Le Polisario brandit régulièrement la menace d’un retour aux armes en cas de prolongement du statu quo. La direction du mouvement a d’ailleurs mené de nouvelles manœuvres militaires ces derniers mois à l’est du mur de sable. Mais les rapports de force ont profondément évolué depuis le cessez-le-feu de 1991, et un retour aux hostilités serait suicidaire politiquement.
Le meilleur atout aujourd’hui pour le Polisario reste la mobilisation « grassroots » au sein des sociétés civiles occidentales, qui permet depuis 2007 de maintenir en jeu la question de la souveraineté du territoire et de concentrer l’attention de la communauté internationale sur des questions considérées par Rabat comme « périphériques » (droits de l’homme, ressources naturelles), au détriment de la négociation politique sur le statut du territoire.
Cette stratégie du Polisario a fonctionné jusqu’à présent, grandement aidée par l’approche sécuritaire adoptée par Rabat. Lors d’une rencontre organisée en juin 2008 avec l’ambassadeur américain au Maroc, Thomas Riley, le directeur général des Relations multilatérales au ministère des Affaires étrangères, Nasser Bourita, estimait ainsi que « l’élargissement des espaces de liberté pour la société civile dans le territoire ne permettrait ni de développer la confiance dans le processus de Manhasset ni de promouvoir la réconciliation ». S’agissant de la légalisation des associations séparatistes, Nasser Bourita et Mohieddine Amzazi, directeur général des affaires intérieures au sein du ministère de l’Intérieur, affirmaient qu’une telle mesure serait « contre la loi et la constitution ».
Face à la menace de l’extension du mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l’homme, Paris et Washington ont dû expliquer aux autorités marocaines « l’importance de mener des réformes internes », selon un câble diplomatique daté de février 2010. Lors de la rencontre entre Mohammed VI et Barack Obama en novembre 2013, Mohammed VI s’est finalement engagé sur trois points : la réforme du tribunal militaire, la liberté d’association et l’autorisation des visites du Haut commissariat de l’ONU aux droits de l’homme. A terme, la démocratisation et le développement du Royaume (y compris au Sahara) devraient enlever au Polisario ses derniers arguments.
Le contexte régional reste en effet favorable au Maroc, sans qu’il n’y ait d’urgence à intervenir pour la communauté internationale. « Il faut regarder les choses en face, le problème du Sahara occidental dans l'ordre des priorités internationales, est du niveau de Chypre, ou du Cachemire », affirmait en avril 2014 l’ambassadeur français à New York, Gérard Araud, devant le conseil de sécurité, à propos d’une éventuelle date butoir à imposer aux parties.
Malgré l’appel lancé par Ban Ki-moon le 4 novembre dernier pour la tenue de « véritables négociations » dans les mois à venir, le statu quo risque donc de perdurer, d’autant plus que deux échéances majeures sont attendues l’année prochaine : l’élection du nouveau Secrétaire général de l’ONU et celle du prochain président américain.