L’élan du PJD, marqueur de l’échec démocratique

A défaut de sondages, les projections les plus posées indiquent que le parti de la justice et du développement (PJD) devrait arriver en pôle position des prochaines législatives. Ce n’est pas une surprise, mais le résultat de vingt ans de tergiversations de l’Etat et de l’ensemble de la classe politique solidairement responsables de cette situation.
Le PJD est un parti ultraconservateur et populiste né dans les jupes de la dictature de Hassan II. Sa matrice originelle, la Chabiba islamiya, a été tolérée puis biberonnée du temps de Driss Basri pour servir de contre-feu à la gauche contestataire des années 70 et 80. Son code génétique comporte en cela l’empreinte de l’autoritarisme, ce fameux tahakoum dont le parti au référentiel islamiste assumé dit vouloir s’affranchir aujourd’hui au nom de la démocratie contre laquelle il a lui-même servi de moyen d’annihilation pour sortir de l’anonymat et prospérer.
Une redoutable machine de propagande
Aujourd’hui, le PJD est incontestablement la première force politique institutionnalisée du pays. Il est le mieux organisé, un des très rares à respecter une charte interne doublée d’une discipline de fer. Il est porté par une logique finement élaborée d’entrisme dans les sphères de pouvoir et une capacité de séduction du peuple inégalée. Son appareil politique, assis sur le socle sectaire du Mouvement unicité et réforme (MUR), pépinière sans cesse renouvelée de ses adeptes formatés, en fait un redoutable outil de propagande et de recrutement, parfaitement hiérarchisé, et surtout étanche à toute tentative de morcellement.
Face à lui le néant ou presque. Un quarteron de partis laminés ou préfabriqués et sur les ruines encore fumantes de la Gauche, la lueur vacillante de la Fédération de la gauche démocratique (FGD).
Le 7 octobre, il est demandé aux électeurs de faire un choix cornélien : se résigner au nom de la démocratie à accepter la montée en puissance inexorable d’une formation politique porteuse d’une idéologie rétrograde, mais qui en politique est en résonnance avec les aspirations de la majorité agissante, ou se ranger dans le camp adverse, qui est tout aussi rétif à faire bouger les lignes institutionnelles, représenté aujourd’hui par un autre rouleau-compresseur, le Parti authenticité et modernité (PAM), créature de laborantin dopée par une large frange de l’Etat. Il faudra en somme choisir entre la peste et le choléra disent certains, étant les seuls à pouvoir se tenir tête.
Le pêché originel de la Gauche
Il reste bien entendu cette sympathique « troisième voie » menée par Nabila Mounib, encore si inaudible et si loin d’être en capacité de mobiliser les masses populaires. Son discours, ses idées, ses aspirations sont salutaires, mais son programme économique parcellaire et non abouti, par son rejet fondamental de la social-démocratie, ressassant des idées moribondes puisées dans la littérature alter-mondialiste, démontre une réalité indépassable : ses leaders ne sont pas encore aptes à conquérir la moindre once de pouvoir. C’est là sa principale faiblesse, car en plus de n’être qu’un embryon de force politique encore fragilisé par ses contradictions internes, la FGD n’a pas su traduire son idéal démocratique en une machine à gagner des élections.
Le pêché originel de cette gauche éparpillée remonte au momentum de la fin des années 90, lorsque l’Union socialiste des forces populaires (USFP) encore auréolée par ses longues années de lutte dans l’opposition, n’a pas agi dans le sens de l’Histoire. A l’époque, le parti mené par Abderrahmane Youssoufi s’est effacé devant Hassan II au nom de l’impérieuse stabilité, convoquée par le système à chaque tournant délicat. Au lieu de pousser à la roue vers une véritable transition démocratique, la Gauche s’est couchée sur l’essentiel pour accompagner la transition généalogique du Trône, sans pour autant imposer ses valeurs, par pur calcul politicien.
Cette capitulation en rase campagne synonyme de suicide collectif de la Gauche a retardé pour au moins une décennie le Maroc dans son chemin heurté vers la démocratie et permis que dans cette brèche béante s’engouffre le PJD, qui tout en reconnaissant en façade la suprématie de la monarchie, a volé les espoirs des démocrates progressistes et de toute une nation à l’aune des printemps arabes.
De ce rappel nécessaire de l’Histoire récente, il faut aujourd’hui tirer les conclusions pour l’avenir. D’abord en ayant bien conscience que l’élan fulgurant du PJD depuis les années 2000 ne s’est pas réalisé par la volonté d’un peuple libéré des scories du passé, mais par la faillite de tout un système politique mité par la corruption, l’achat des âmes et le renoncement de ses élites politiques. Ensuite, parce-que son accession au balcon du pouvoir s’est faite sur un coup de Jarnac inespéré alors que des jeunes, récemment politisés, et abreuvés d’idées gauchistes, ont crié comme leurs semblables dans le monde arabe leur ras-le-bol de l’inertie de la société dans laquelle ils vivotent sans droits réels et sans perspectives.
Le temps de l'entrisme et de l'accommodation
Après son rapt, le PJD a eu le temps de s’institutionnaliser, de se frotter à la réalité de l’exercice de la parcelle de pouvoir qui lui a été concédée. Son leader, Abdelilah Benkirane, qui n’était qu’un tribun excommunicateur au langage cru, a pris de l’épaisseur. Derrière lui, son parti s’est installé dans l’administration, a appris autant ses rouages que ses portes dérobées. Durant ces cinq dernières années, Benkirane a su arrondir les angles de sa personnalité, entretenant l’image du sauveur contre le chaos, de réformateur graduel, du bon père de famille attentif aux vicissitudes des citoyens, mais aussi fouettard à souhait. Il est devenu incontournable, séduisant autant les déshérités que la classe moyenne par sa gouaille, mais n’hésitant pas à faire passer au nom de l’orthodoxie propre aux convictions de son parti et sous la contrainte internationale, des lois antisociales, par pur pragmatisme. Le PJD et sa terne coalition ne l’ont pas fait uniquement par nécessité, mais parce-que le peuple lobotomisé par les incessantes rengaines du Chef du gouvernement et par sa fidélité au national-monarchisme, ne pouvait le contredire, pensant qu’il formait avec le roi, un parfait attelage. En réalité, sa doctrine inspirée d’expériences étrangères est foncièrement incompatible avec la Commanderie des croyants sur laquelle repose la légitimité de la monarchie. Dans ce sens, le PJD n'est pas une exception. Il doit son succès, comme d'autres expériences vécues ailleurs, à la vague de l'islam politique qui a fait son terreau dans la plupart des pays arabes grâce à l'absence de maturation démocratique et au repli identitaire et religieux.
Le voir reprendre du service pour une nouvelle législature serait le signe que le Maroc prendrait encore pour longtemps la voie de l’enlisement et de l’abandon de la modernité, que ce soit en terme de libertés individuelles, préalable essentielle à la démocratie, qu’en terme de réforme institutionnelle. Depuis cinq ans, le PJD s’est accommodé de la tutelle de l’Etat profond, acceptant comme l’a fait avant lui l’USFP, l’effeuillage des prérogatives du gouvernement au profit de l’Administration. A la veille des élections, son discours s’est soudainement durci face au feu roulant des attaques souvent innommables qu’il subit. Mais ce réveil tardif est de nature électoraliste rappelant les fausses promesses de Benkirane qui jurait d’en finir en 2011 avec les privilèges et la rente.
En somme, les islamistes du PJD ont profité de l’opportunité offerte par la nouvelle Constitution et les précédentes élections anticipées pour se hisser aux commandes de la chose publique, mais ont renoncé à en tirer avantage pour le bien de tous. Ils mériteraient un vote sanction que l’abstentionnisme et le rejet de la politique par la majorité des citoyens empêche encore.