
n°586.BCG minimise sa mission de conseil auprès du gouvernement
Suite à notre précédent article révélant que le cabinet Boston Consulting Group (BCG) était partie-prenante de la réflexion du gouvernement dans sa mobilisation contre la pandémie du Covid-19, son antenne de Casablanca a apporté des « clarifications » sur la nature de sa contribution par un communiqué rendu public dans Medias24 et relayé par l’agence officielle MAP.
BCG-Casablanca précise « qu’au lendemain de la proclamation de l’état d’urgence sanitaire (celui-ci) a mis à la disposition du ministère de la Santé ses capacités d’analyse et ses études des expériences internationales récentes ».
Insistant sur le fait que sa participation « s’inscrit dans un cadre strict de solidarité nationale », celle-ci, « est menée à titre gracieux et ne prévoit donc aucun honoraire ».
Aussi BCG tient à souligner n’avoir pas « reçu de mandat spécifique du gouvernement marocain pour l’élaboration d’une stratégie de déconfinement ».
Dans la foulée, le ministère de la Santé a ajouté, lui aussi par voie de communiqué, n’avoir pas sollicité BCG, s’agissant, selon le département de Khalid Ait Taleb, d’une initiative de mise à disposition offerte par le cabinet international.
Si BCG affirme délimiter son action à une mission de conseil pro bono auprès du seul ministère de la Santé, Le Desk détient un document de travail du cabinet qui montre que le scope de son intervention est bien plus large, comprenant ainsi des thématiques qui concernent le volet économique, notamment sur les conditions de reprise du tissu entrepreneurial. Ce qui fait justement partie de toute stratégie de déconfinement, au-delà des seules questions de sécurité sanitaire.
Destiné au gouvernement, ce document daté du 14 avril, a fait l’objet d’une présentation issue des travaux d’une table ronde virtuelle à laquelle, selon nos sources, ont participé, outre des analystes de BCG, - dont Lisa Ivers, managing director and partner, et directrice du bureau de Casablanca -, des représentants du ministère de l’Intérieur et de la Santé, ainsi que des experts indépendants.
Le document, consacré à l’expérience des entreprises chinoises, est tiré d’une étude menée en Chine se focalisant sur le niveau de la demande avant et après la pandémie.
Lors de cette réunion, Lars Faeste, managing director de BCG à Hong Kong y a longuement exposé les niveaux de reprise et de réponse de la demande chinoise dans les secteurs de la finance, l’automobile, les produits de consommation et le secteur immobilier. Faeste y a également exposé l’évolution du comportement de l’offre chinoise.
Un volet concernant la réponse des entreprises marocaines par rapport au benchmark global indique que 70 % d’entre elles s’attendent à une baisse d’activité sur les 12 mois à venir. L’impact économique qui « varie largement selon les secteurs », note le document, qui est ainsi ventilé pour l’industrie, les services discrétionnaires, ceux de la communication, l’informatique, la Santé, les matériaux, les services financiers et les biens de consommation.
Les résultats d’un sondage auprès des entreprises sur les mesures et réactions prises face à la crise démontrent, entre autres, que 60 % des entreprises étudient ou projettent d’étudier les opportunités d’investissement.
BCG relève aussi dans ce document de prospective pour « l’après-Covid-19 » les opportunités majeures en particulier dans le domaine du digital.
La table ronde a été clôturée par Badr Choufari, project leader du bureau casablancais qui a animé une séance de questions-réponses. Une journée intense d’échanges, bien au-delà du champ d’action du ministère de la Santé.
Selon nos informations, cette session n’est pas la seule, d’autres réunions similaires avec des entités gouvernementales ont eu lieu, montrant que l’engagement de BCG auprès de l’Etat est multiforme.
Pro bono, en attendant ?
De toute évidence, BCG, qui a, des années durant souffert de l’offensive commerciale de son principal rival, McKinsey, se positionne ainsi auprès des départements ministériels stratégiques pendant, mais aussi pour la phase d’après-crise.
La majorité du contenu présenté au gouvernement, des modèles statistiques d’évolution du Covid-19, aux expériences d’autres pays face à la pandémie, en passant par les scénarii de sortie de crise, ont été produits par d’autres succursales du groupe, et constituent, au Maroc, un corpus adéquat pour séduire un exécutif en soif de données, de coordination et ce, dans l’instant présent à zéro coût.
Il faut cependant aussi savoir que Othman Omary, partner chez BCG Casablanca, réputé proche du ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, s’est évertué depuis sa nomination en 2019, d’apaiser des relations quelque peu conflictuelles avec l’Etat.
Africa Intelligence rapportait en août dernier que BCG devait vraisemblablement devoir tirer un trait sur les 5 millions de dirhams qu'il réclamait au ministère du Tourisme pour la révision à mi-parcours de l'étude du plan touristique Vision 2020.
Le cabinet américain, qui avait mis en demeure le gouvernement marocain de lui régler cette somme en octobre 2018, avait à l’époque, reçu une fin de non-recevoir du ministère. La facture, précisait la même source, correspond à une mission attribuée en 2016 à BCG, mais aussitôt suspendue et octroyée par la secrétaire d'Etat Lamia Boutaleb au patron du cabinet Southbridge A&I, Hassan Belkhayat, membre comme elle du parti RNI et ex-McKinsey. L’affaire de cette dessaisie-attribution clanique avait fait scandale et passablement écorné l’image du parti de Aziz Akhannouch.
BCG n’avait pas pu se consoler avec les deux appels d'offres pour le plan d'impulsion du tourisme et le financement des projets touristiques, lancés un an auparavant, Mohamed Sajid, alors ministre du Tourisme ayant décidé de les enterrer, expliquait la même source.
Chami : « Nous n’avons pas été consultés »
Si le ministère de la Santé affirme aujourd’hui que BCG a pris l’initiative d’une telle démarche, qui a inclut, selon nos sources, un certain nombre d’experts marocains de la diaspora, chacun dans sa spécialité, le cabinet collabore aussi avec le ministère de l’Intérieur.
Une question demeure posée et qui fait débat depuis que nous avons dévoilé cette discrète coopération : pourquoi ces départements n’ont-ils pas fait appel au CESE (Conseil économique, social et environnemental) ? Cette institution consultative, composée d’experts, est capable d’ajuster sa production d’idées à la crise actuelle, mais n’a pas été « mise dans la boucle » de la réflexion, a assuré au Desk son président, Ahmed Reda Chami.
« Nous n’avons pas été consultés », a clairement affirmé Chami « peut-être parce qu’on émet nos avis sur des politiques de long-terme », a-t-il estimé. Le CESE dispose des moyens humains et intellectuels capables d’être mis à contribution, ainsi que d’une expertise de terrain à même de faciliter la tâche de l’appréciation de l’évolution de la pandémie et des conditions pour la sortie de crise.