
n°574.Covid-19: Désinformation et «fake news», l’autre épidémie
La crise du coronavirus au Maroc, au-delà de son impact sanitaire et économique, a mis la lumière sur un autre fléau : la propagation de rumeurs et de fausses informations créant au sein de la population un sentiment de panique et induisant en erreur l’opinion publique exposée à une « infobésité » exponentielle.
Cela a conduit l’État marocain à appliquer une politique de fermeté à l’égard des créateurs et diffuseurs de désinformation, celle-ci étant devenue un important facteur de déstabilisation au sein d’une société déjà confrontée à la crainte d’une crise sanitaire majeure.
Plusieurs modèles de désinformation
Depuis l’apparition du premier cas de contamination au COVID_19 au Maroc, plusieurs fausses informations -fake news- sont diffusées à travers les réseaux sociaux : vidéos, posts Facebook, tweets et audios sur WhatsApp, … les fake news autour de l’épidémie sont relayées sous plusieurs formes et sont rapidement propagées.
On décèle plusieurs « modèles » de fake news sur le sujet :
- - Le premier tend à exagérer la situation épidémique et sécuritaire ces informations prétendent que les cas de contaminations sont en réalité bien plus nombreux et graves que les chiffres officiels. D’autres supports annoncent de fausses informations sur les procédures sécuritaires et institutionnelles en cours. Elles créent, par conséquence, un sentiment de panique chez les citoyens.
- - Le deuxième type de désinformation vise à minimiser la gravité de la pandémie, en invoquant pêle-mêle des recettes de grand-mères ou différentes théories du complot visant à baisser la garde face à la menace sanitaire.
- - Enfin, un troisième type de message, plus subversif, présente un ensemble de procédés ou d’informations permettant de se prémunir du virus. Ces messages sont truffés d’« intox » et allient informations vérifiées et fausses informations (Disparition du virus sous haute température, etc). Ces informations n’ont aucun fondement scientifique et la référence essentielle sur le sujet reste l’OMS et les autorités institutionnelles et internationales.
Covid-19 et Fake news : un fléau mondial
A l’instar du Maroc, plusieurs pays à travers le monde connaissent la diffusion de fausses informations sur la pandémie. En Europe, des fichiers audios ou des écrits circulent sur les applications WhatsApp et Messenger contenant des « intox » sur les mesures de précaution quotidiennes, origine du virus ou encore le nombre de contaminations. Ce sont toujours des conseils qui viennent d'un médecin, d'une amie pneumologue qui a travaillé dans un hôpital auprès de patients atteints de COVID_19 ou encore, des chercheurs issus des groupes de travail sur les remèdes au nouveau virus. Mais la plupart du temps, ces messages, transmis massivement sur WhatsApp ou Messenger - de plus en plus viraux, eux aussi - sont truffés de fausses informations.
C’est un phénomène aussi dangereux que la pandémie elle-même, qui rend la discrimination de l’information très compliquée pour le grand public qui croule sous un déluge de données.
Quelles sont les motivations des auteurs de désinformations ?
Généralement, ceux qui inventent de fausses informations peuvent être mus par une multitude de raisons : la peur, la haine, la vengeance, ou encore des raisons politiques, pour promouvoir une idéologie, ou même nuire à un concurrent commercial. Mais la première motivation reste le gain !
Sur Internet, ce qui devient viral fait référence généralement à l'acquisition de revenus publicitaires. Plus il y a de clics sur une page, plus la publicité sur la page est visible. Et plus elle l’est, plus les administrateurs de la page génèrent des revenus.
Enfin, il ne faut pas oublier une dernière catégorie, celles des quelques rares sociopathes dont la seule motivation est de semer le chaos au sein de la société.
Quel que soit les motivations derrière ce déferlement de rumeurs et autres « intox » visant le grand public, il peut parfois en résulter des guerres d’information dont l’enjeu est d’ordre géopolitique.
L’Union Européenne a ainsi indiqué qu’une « campagne russe » serait à l’origine de plusieurs fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux. Ces informations sont produites en anglais, français, espagnol, allemand et italien. L’objectif de cette campagne serait, selon le rapport, de ralentir les efforts de l’UE pour apporter des réponses à la propagation du virus. La Russie a rétorqué que ce rapport est le produit d’une « obsession » anti-russe.
Il arrive donc que les fausses informations entravent la coopération internationale ou exacerbent les tensions géopolitiques existantes. Un exemple récent aux États-Unis reflète de tels rapports de force où le Département d'État a convoqué l'ambassadeur de Chine pour protester contre des publications sur Twitter en mandarin et en anglais, dans lesquelles le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a spéculé sur le fait que le « Patient Zéro » à Wuhan était venu des États-Unis, sans qu'il n’y ait de preuves à l'appui d'une telle déclaration.
La réponse des GAFAM et des États
Les plus grandes plateformes de médias sociaux du monde se sont efforcées de lutter contre la vague de faux rapports, des mensonges ou encore des cyberattaques autour du Covid_19, qui se sont répandus comme une traînée de poudre. Facebook a réprimé les rumeurs sur le coronavirus en ligne et a interdit les publicités faisant la promotion de masques médicaux et YouTube a supprimé les vidéos dans lesquelles les gens sont exhortés à ne pas se faire soigner. Twitter a mis en évidence des rapports officiels sur les bonnes pratiques à adopter en cas de symptômes et a renforcé la lutte contre les théories du complot.
Cependant, malgré l’investissement massif et les mesures préconisés par les GAFAM pour lutter contre les fakes news sur leurs plateformes il leur est difficile de réglementer le partage d’informations entre utilisateurs sur les applications de messageries, comme Whatsapp ou Messenger qui deviennent les principaux canaux de désinformation au moment de la crise sanitaire actuelle.
Malgré les réponses restrictives et proactives des groupes de travail créés par les plateformes Tech et les agences gouvernementales, il n'est pas surprenant qu’ils se retrouvent avec peu de leviers à tirer pour contrer les niveaux croissants d’une « infodémie » qui se propage aussi rapidement que le virus lui-même.
Si les États ont décidé de sévir contre les auteurs de ces fake news, la réponse légale risque d’être insuffisante face à leur prolifération accélérée.
Impact sanitaire et social au Maroc
Le vendredi 13 mars, la diffusion des fake news sur les plateformes de messageries des utilisateurs marocains a contribué à créer un sentiment de panique illustré par la ruée d’une partie de la population sur les supermarchés. Suite à la diffusion de rumeurs sur un confinement général, ou sur l’état d’urgence, plusieurs personnes se sont dépêchées pour faire leurs réserves de denrées nécessaires.
En plus d’augmenter le risque de propagation de la maladie, cette situation a créé des ruptures de stocks temporaires dans les supermarchés, ce qui a alimenté davantage la panique et a poussé les enseignes à publier des communiqués pour rassurer leurs clientèles.
La réponse des autorités face aux fake news a été ferme. Une série d’arrestations contre les auteurs et les promoteurs de fausses informations a eu lieu depuis le début de la propagation du virus au Maroc. En outre, le gouvernement a décidé d’adopter dans l’urgence un projet de loi contre les fausses informations. Là encore, les réactions sont mitigées. Certains considèrent que ce projet vient combler le vide juridique en matière d'encadrement de l'usage des réseaux sociaux, mais d’autres, estiment qu’il s’agit d’un projet de loi important qui nécessite un moment de réflexion et que le moment actuel n’est pas opportun pour l’adopter.
Quelles réponses apporter au phénomène ?
La désinformation s’appuie sur plusieurs biais cognitifs – non exhaustifs- qui influent sur notre perception :
- - Utilisation d’une référence ou d’une autorité rassurante pour le grand public – médecins, militaires, gouvernement- pour disséminer de fausses informations
- - Besoin de se rassurer et de confirmer un préjugé personnel
- - Besoin d’entraide et de partage communautaire – La majorité des messages incitent au partage et à la diffusion
- - Biais de négativité : l’être humain, par réflexe reptilien de survie, a tendance à accorder plus d’importance à une information négative qui a le même poids qu’une information positive
Face à cela, les mesures coercitives ne semblent pas suffire à prévenir la diffusion des fake news. Un travail de sensibilisation doit être effectué pour que le citoyen puisse distinguer entre la fausse et la vraie information. Il existe des mesures mises en place pour fact-checker -vérifier- les fausses informations, une initiative de médias et d’experts qui contrôlent les contenus diffusés sur les réseaux sociaux.
Cependant, il est peu probable que ces plateformes puissent arrêter à elles seules la propagation de la désinformation.
En prenant en compte l’utilisation croissante d'internet au Maroc : 73 % des Marocains utilisent les réseaux sociaux : WhatsApp est le plus utilisé (65 %), suivi de Facebook (53 %) – L’éducation et la sensibilisation à destination de plusieurs acteurs de la société, doivent être au cœur d’une stratégie de lutte contre les fake news sur le long terme.
Cette mesure comprend des dimensions à la fois réceptives et productives, englobant l'analyse critique, en particulier en relation avec les médias de masse et numériques. Lorsqu'un nuage de désinformation sape les fondements de nos sociétés, il faut armer les citoyens, les journalistes et les différents corps de métiers sur le recoupement de l’information, de contextualisation et de crédibilité des sources.
Pour encadrer ce savoir, il serait avantageux de mettre en place un observatoire des fausses informations permettant non seulement de les corriger mais aussi de connaître l'origine et les motivations de leurs auteurs. Cette structure pourrait encadrer la mise en place de programmes de sensibilisation à destination des encadrants de l’éducation nationale, des journalistes, des fonctionnaires et des entreprises privées.