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11.07.2017 à 14 H 13 • Mis à jour le 11.07.2017 à 14 H 14 • Temps de lecture : 7 minutes
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n°177.Du prix à payer pour couvrir le Maghreb avec indépendance

Le journaliste espagnol Ignacio Cembrero couvre le Maghreb depuis de très longues années. Depuis 2016, il écrit, entre autres, pour le site TSA. Ses articles sont repris par Le Desk dans le cadre d’un accord algéro-marocain inédit dans la presse. Pour lui, le fait d’être publié simultanément dans les deux pays est un gage de son indépendance dont il n’est pas peu fier, malgré le feu croisé des critiques acerbes

« Mercenaire de la plume aux ordres de l’Algérie ». « Vendu aux séparatistes » du Front Polisario. Ils sont là, les premiers à réagir sur les réseaux quand j’affiche une information qu’ils considèrent préjudiciable aux intérêts du Maroc. Ils s’adressent à moi, en public et en privé, sur Twitter, mais surtout à travers mon groupe Facebook (Maghreb-South River, 10 280 inscrits). Leurs profils sont parfois faux à en juger, par exemple, par le peu d’amis qu’ils ont et l’absence de photos sur leurs pages.


Il m’arrive aussi de poster des nouvelles théoriquement plus amènes pour les autorités marocaines, comme celles concernant, par exemple, la séquestration dans les camps de réfugiés de Tindouf de jeunes filles sahraouies ayant la nationalité espagnole. On les empêche, apparemment, de retourner en Espagne, le pays où elles ont été élevées par une famille d’accueil. Mes détracteurs n’en démordent cependant pas. « Alors, Alger ne t’as pas encore envoyé ton chèque ce mois-ci ? », écrivent-ils.


Les défenseurs de la monarchie marocaine ne sont pas les seuls à m’en vouloir. Quoique en général moins virulents, des internautes qui se disent proches du Polisario me reprochent vertement de ne pas bannir le mot « indépendantisme » quand je parle des sahraouis. « C’est une lutte pour la décolonisation et non pas pour l’indépendance ! », écrivent-ils en rappelant que le Sahara occidental est à l’ordre du jour de la IV Commission de l’ONU. Celle-ci est chargée, entre autres, des questions de décolonisation.


« La récompense maghrébine décernée à mon indépendance »

Quand en 2016 j’ai commencé à écrire pour le journal en ligne algérien TSA mon côté « anti-marocain » a éclaté au grand jour pour tous mes pourfendeurs proches du « makhzen ». C’était la preuve par neuf que j’étais à la solde de « l’ennemi numéro un » du Maroc. Qu’importe si sur ce site algérien j’ai pu disserter, par exemple, sur les conséquences néfastes de la maladie du président Bouteflika sur la politique étrangère de l’Algérie !


En début d’année le journal en ligne marocain Le Desk a conclu un accord avec TSA – le premier partenariat journalistique algéro-marocain – pour échanger une partie de leurs contenus. Peu après, mes « papiers » ont commencé à être repris par le site marocain. Cela m’a fait plaisir même si mes détracteurs n’ont pas nuancé leurs critiques. Le Desk c’est « un journal d’extrême gauche » élaboré par « un ramassis de traîtres », écrivaient-ils sur les réseaux.


Grâce à ces deux médias, je pense être aujourd’hui le seul journaliste à publier simultanément un même « papier » en Algérie et au Maroc. J’interprète cela comme la récompense maghrébine décernée à mon indépendance. J’avoue que j’en suis fier. Espérons que cela dure !


J’ai eu, peu après, un deuxième prix un peu pareil octroyé cette fois en Espagne, dans mon pays. Deux hommes politiques aussi antagonistes que le conservateur, José María Aznar, ancien chef du gouvernement, et le gauchiste Pablo Iglesias, ont fait successivement appel à moi, en juin et juillet, pour modérer ou participer à des débats qu’ils organisaient. Des fondations proches des socialistes espagnols m’avaient elles aussi invité peu auparavant.


Tout cela me réconforte un peu après les déboires subis ces dernières années qui m’ont obligé, en 2014, à quitter El País, le journal où je travaillais depuis plus de trente ans, car subitement la direction n’a plus voulu que je couvre le Maghreb.


Ces déconvenues continuent encore aujourd’hui quand j’apprends en sous-main que telle institution officielle espagnole a renoncé à m’inviter à prendre part à un débat car je suis supposé être « anti-marocain ». « On ne va pas incommoder nos amis marocains avec ta présence », m’avait expliqué, dans un élan de sincérité, l’animateur d’un colloque. Les officiels espagnols ont été jusqu’à dissuader une ambassade étrangère à Madrid de m’inclure dans la liste des orateurs d’un séminaire qu’elle organisait. Heureusement les universités et bon nombre de fondations –pas les think tanks - échappent à la tutelle des autorités espagnoles.


Un roi qui concentre l’essentiel du pouvoir

Ce n’est pas qu’elles me détestent. Certains responsables me demandent par exemple discrètement, ces jours-ci, mon opinion sur les événements du Rif. C’est surtout qu’à Madrid on ne veut rien faire qui puisse gêner Rabat et mettre en péril la coopération bilatérale en matière de lutte contre l’immigration irrégulière et le terrorisme considérée comme vitale.


Cela va si loin que l’Espagne n’a pas bronché publiquement après que, jeudi dernier, le gouvernement du Maroc ait annoncé l’adoption de deux textes de loi sur son espace maritime qui heurtent de plein fouet le projet de Zone Économique Exclusive pour les Canaries soumis par Madrid à l’approbation de l’ONU en 2015.


Je ne suis pas plus « anti-marocain » qu’« anti-algérien ». Je suis journaliste et en tant que tel j’insiste pour rapporter des faits substantiels souvent « oubliés », pour toutes sortes de raisons, par la presse marocaine et algérienne et même par les correspondants étrangers. Pourtant ces sujets négligés par la presse sont l’objet de toutes sortes d’analyses et de spéculations dans les chancelleries diplomatiques européennes et chez les services secrets, car il y va de la stabilité des grands voisins maghrébins.


Nous assistons au Maghreb à un phénomène étonnant, sans précédent dans l’histoire contemporaine. Au Maroc, un roi, Mohammed VI, concentre entre ses mains l’essentiel du pouvoir exécutif, mais il n’est pas souvent chez lui. Il vient encore de repartir pour Paris, le jeudi 6 juillet, alors qu’il était rentré le 14 mai de ses dernières vacances en France précédées d’autres congés à Cuba et en Floride. En tout, 37 jours d’affilée au printemps.


« Le roi du Maroc n’habite plus à la maison » (El rey de Marruecos ya no vive aquí), un long « papier » sur les vacances royales publié sur El País en juin 2013, a été l’une des causes de ma descente aux enfers journalistiques dans le premier quotidien d’Espagne. J’y reprenais la phrase d’un éditorial d’Ali Anouzla, directeur du quotidien numérique Lakome : « L’absentéisme du roi pose un problème constitutionnel, politique et moral ». Qu’on le demande, par exemple, à Recep Erdogan, alors premier ministre de Turquie, qui s’était rendu, début juin 2013, en visite officielle à Rabat et n’avait été reçu par aucun membre de la famille royale. Le roi était en vacances en France.


Bouteflika, un président qui ne va nulle part

En Algérie c’est le problème inverse qui se pose. Le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, détient lui aussi presque tous les pouvoirs entre ses mains, mais lui il est tout le temps-là, dans sa résidence médicalisée d’Alger. Il ne va nulle part, ni en province pour faire campagne électorale, ni même à l’aéroport accueillir ses homologues étrangers. Il est le seul président au monde qui ne peut prononcer un discours.


Son piètre état de santé l’oblige à annuler des visites à Alger, comme celle de la chancelière allemande Angela Merkel, ou des audiences plus ou moins prévues comme celles de Bernard Cazeneuve, premier ministre français, en avril dernier. Pour ne pas avoir à les supprimer, le protocole algérien ne les inscrit plus dans le programme de la visite, même si on laisse entendre à la délégation étrangère que le Président trouvera un moment pour la recevoir. Quand sa forme le permet, il reçoit les hôtes européens mais sa voix est inaudible sans micro et il se fatigue au bout d’une courte conversation.


Quand le général Franco gouvernait encore l’Espagne (1939-1975), mon père, un opposant, défendait à tue-tête cette presse européenne qui s’en prenait à la dictature et que le régime franquiste accusait d’être anti-espagnole. Elle n’était pas plus anti- espagnole que je ne suis aujourd’hui anti-marocain ou anti-algérien.


J’ambitionne pour le Maghreb, à commencer par le voisin le plus immédiat de l’Espagne, quelque chose de semblable à cette construction européenne que, pour des raisons familiales et professionnelles, j’ai suivi de près.. Je souhaite que se mette en route un processus d’intégration comme celui qui a débuté il y a plus de 60 ans dans le Vieux Continent.


Il traverse certes quelques turbulences, avec notamment le Brexit. N’oublions pas cependant qu’après une guerre des plus mortelles (1939-1945) il a contribué à faire surgir le plus grand espace de paix, de prospérité et de liberté dans le monde. Ce n’est pas uniquement par altruisme que je désire l’union du Maghreb. Je sais que la prospérité de cette sous-région africaine rejaillira sur l’Europe, surtout sur celle du Sud. Nous sommes très interdépendants.

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