
n°831.Fraude, opacité, sous-capitalisation : les constats alarmants du rapport Rahhou sur les cliniques privées
Le Conseil de la concurrence vient de publier son avis relatif au fonctionnement concurrentiel du marché des soins médicaux dispensés par les cliniques privées et les établissements assimilés au Maroc L’analyse menée par le Conseil de la concurrence a permis de faire ressortir des constats positifs quant à la dynamique enregistrée par ce marché au cours des dernières années - représentée notamment par l'émergence de grands groupes structurés comme Akdital, leader du secteur qui vient de s'introduire à la Bourse de Casablanca -, ainsi que des dysfonctionnements l’empêchant de jouer pleinement son rôle dans le développement du système national de santé.
Des tares qui demeurent persistantes au sein d'une kyrielle d'établissements connus dans la profession pour maintenir des pratiques opaques, pour leurs services de piètre qualité, leur pratique de la fraude à grande échelle, profitant ainsi d'un cadre législatif et règlementaire non adapté et désuet. Des brebis galeuses qui mettent ainsi à mal la structuration d'un secteur vital appelé à jouer un rôle central dans l'offre globale de soins aux Marocains à l'aune du chantier en cours visant la généralisation de la protection sociale.
Les cliniques privées, un acteur majeur
Les cliniques privées et établissements assimilés sont devenus l’un des acteurs majeurs dans le marché des soins médicaux de façon générale. Ils sont actuellement au nombre de 613 établissements, dont 389 sont des cliniques privées (63 %). Ces dernières offrent un tiers (33,6 %) de la capacité litière nationale d’hospitalisation. L’investissement dans le secteur des cliniques privées s’est vu particulièrement accéléré après la publication de la loi n° 131.13 ayant permis l’ouverture de leur capital. Sur le plan de la consommation médicale, les cliniques privées constituent le premier poste de dépenses en tiers payants pour l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et le deuxième prestataire de soins dans les dépenses courantes de santé au niveau national, après les pharmaciens et les fournisseurs de dispositifs médicaux.
Une répartition géographique inégale et déséquilibrée
L’évolution de la répartition géographique des cliniques privées au Maroc se trouve rythmée par le développement économique de nos régions et par le niveau de déploiement des ressources humaines de santé. Cette répartition demeure à ce jour particulièrement inégale et déséquilibrée. En effet, cinq régions regroupent 79 % des cliniques privées et 82 % des lits de l’offre en hospitalisation privée. Il s’agit des régions de Casablanca-Settat, Rabat-salé-Kenitra, Tanger-Tétouan Al-Hoceima, Fès-Meknès et Marrakech-Safi. Dans ces régions, le secteur privé héberge entre 25 % et 50 % de la capacité litière du territoire. Nos régions du Sud et du Sud-Est restent, pour leur part, quasiment dépourvues de ces structures de soins.
Un marché privé des soins médicaux opaque
Malgré leur poids, aussi bien dans l’offre de soins que dans la consommation médicale, les cliniques privées ne font pas l’objet d’un suivi régulier de la part des pouvoirs publics. Ainsi, il n’existe aucune entité ou structure administrative (service, division ou direction) relevant du Ministère de la santé, dédiée au suivi et à la promotion des cliniques privées et à la collecte des informations y afférentes.
Devant ce vide, les services du Conseil de la concurrence se sont trouvés dans l’obligation de diligenter une enquête de terrain, menée par un cabinet d’études mandaté à cet effet. Cette enquête a pour objectif de collecter des informations relatives à la structure de ce marché, à la structure des coûts des cliniques privées, leurs principales contraintes en termes de barrière à l’entrée, etc.
Une absence de cadre juridique dédié aux cliniques privées
L’un des constats les plus saillants liés au marché des soins dispensés par les cliniques privées a trait à l’absence d’un cadre juridique dédié, en dépit de l’importance prise par les cliniques privées dans l’offre nationale de soins médicaux. A cet égard, il y a lieu de relever que les dispositions juridiques actuelles relatives aux cliniques privées sont dispersées dans plusieurs textes législatifs et réglementaires régissant le système de santé national (6 textes différents). En effet, les cliniques privées ne sont considérées par les pouvoirs publics que comme une simple composante de ce système.
En sus de la dispersion des dispositions relatives aux cliniques privées, les textes législatifs et réglementaires sont datés et leurs textes d’application n’ont, pour la plupart, toujours pas été publiés.
Ce retard pris s’agissant de la complétude du cadre réglementaire afférent aux cliniques privées est source de dysfonctionnements et de conflits et altère l’efficacité de la régulation du marché des soins de santé prodigués par les cliniques privées. Ce retard donne aussi lieu à divers dépassements dont pâtit la patientèle, notamment celle disposant d’une couverture médicale, qui ne cesse de voir, de façon corrélative, son restant à charge s’alourdir.
Il y a également lieu de signaler que le cadre juridique ne permet pas d’établir de distinction claire entre clinique privée et établissement assimilé.
Des cliniques privées majoritairement sous capitalisées
Le niveau des capitaux propres des cliniques demeure très faible et se caractérise par le fait que les capitaux sociaux de la plupart des cliniques privées n’ont pas subi de changement depuis leur création.
En effet, le capital social des cliniques privées et établissements assimilés demeure en deçà de 1 million de dirhams dans 43 % des cas et il varie entre 1 et 10 millions de dirhams dans 43 % des cas. Ce n’est que dans 13 % des cas que le capital est supérieur à 10 millions de dirhams.
Pour un secteur réputé particulièrement capitalistique, eu égard aux investissements nécessaires à l’acquisition des équipements lourds, les cliniques privées ressortent comme étant majoritairement sous-capitalisées.
Des barrières à l’entrée du marché des soins privés
La dynamique de ce marché en croissance se heurte à la persistance de contraintes structurelles assimilées par les opérateurs à des barrières. Il s’agit notamment de la pénurie des ressources humaines, de la vétusté des tarifications de référence qui ne sont pas basées sur une analyse des coûts réels des prestations et de l’absence d’incitations à l’investissement. Ces contraintes structurelles favorisent les pratiques de nature à compromettre le fonctionnement concurrentiel du marché.
Une rareté structurelle des ressources humaines médicales et paramédicales et recours illégal des cliniques privées au personnel du secteur public
La rareté des ressources humaines (personnel médical et paramédical) est également considérée par les opérateurs comme une barrière structurelle du marché. La rareté de ces ressources a généré de nombreux maux : manque d’implantation de cliniques privées dans plusieurs régions du Royaume, détournement du personnel paramédical et des médecins du secteur public en dehors de l’exercice de temps partiel aménagé (TPA), etc.
Le détournement du personnel médical et paramédical du secteur public biaise non seulement le fonctionnement concurrentiel du marché des soins dispensés par les cliniques privées, mais altère aussi fortement l’efficacité de l’utilisation des infrastructures hospitalières publiques.
Une persistance de pratiques frauduleuses
Compte tenu de la spécificité des services de soins médicaux impliquant une asymétrie d’information entre le patient et le médecin traitant/la clinique, les prestations réalisées au sein des cliniques et leur mode de facturation sont très souvent matière à contestation de la part des patients et de leurs familles.
Plusieurs pratiques frauduleuses ont été relevées. Il s’agit principalement des accords de captation de la clientèle/patientèle : accords d’exclusivité et ristournes entre les cliniques et les transporteurs (ambulanciers, taxis, etc.). Il s’agit également des ristournes au profit des médecins des secteurs public et privé. Ces derniers dirigent, voire rabattent des patients au profit des cliniques qui offrent les ristournes les plus élevées sous forme de paiement au noir non déclaré au fisc et supporté par les patients.
En outre, les cliniques recourent à la pratique de chèque de garantie, interdite aussi bien par le code pénal22 (article 544) que par la loi n° 131.13 relative à l’exercice de la médecine, en cas de tiers payant (article 75).
Le motif invoqué par les cliniques privées pour recourir au procédé de chèque de garantie est de sécuriser le paiement des prestations réalisées au profit du patient.
Similairement, la pratique d’un paiement « au noir » est souvent objet de doléances de la patientèle, même si elle concerne davantage les médecins que les cliniques le médecin exigeant ce type de paiement dans la majorité des cas de manière discrétionnaire et en sus des honoraires versés par la clinique en contrepartie de sa prestation.
Il a, en outre, été relevé une tendance à la facturation abusive des soins. En effet, la multiplicité d’examens imposés aux patients, la sollicitation abusive d’avis spécialisés de médecins de la part de leurs confrères, des admissions injustifiées en réanimation, la surfacturation de nuitées et autres frais de séjour et la facturation de médicaments non consommés grèvent sévèrement les factures d’hospitalisation.
Ces pratiques ont conduit les cliniques privées à mettre en place une double comptabilité.
CLINIQUES PRIVEES- AVIS DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE
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