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18.08.2018 à 20 H 32 • Mis à jour le 19.08.2018 à 00 H 02 • Temps de lecture : 7 minutes
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n°341.Réhabiliter le service militaire obligatoire, une idée anachronique ?

Le malaise social qui perdure depuis des années, exacerbé par la crise du Rif et des poussées de fièvre récurrentes dans plusieurs régions du royaume, ont-elles poussé les autorités à vouloir réinstaurer le service militaire obligatoire, comme celui du civil ? La mesure ne semble pas convaincre tout le monde, dont l’économiste Zouhair Ait Benhamou qui a critiqué cet appel sous les drapeaux sur Twitter

Des sources gouvernementales ont indiqué à la presse que le service militaire obligatoire, aboli en 2006 au profit d’une armée professionnelle, serait sur le point d’être réhabilité. Un projet de loi dans ce sens, préparé en toute discrétion depuis un an, serait déjà fin prêt.


L’idée a reçu, en ces temps de malaise social, un écho plutôt favorable sur les réseaux sociaux où ordre et éducation civique ont été mis en avant pour saluer cette mesure qui sera discutée selon les mêmes sources, lors du prochain Conseil de gouvernement devant se tenir lundi 20 août. Conclave de l'éxecutif qui sera immédiatement suivi par un Conseil des ministres présidé par le roi au Palais royal de Rabat (et non plus Tétouan comme annoncé précédemment, selon des sources concordantes)


Mais au milieu de l’acclamation généralisée, des voix se sont interrogées voire ont critiqué cette éventualité qualifiée de « mauvais choix politique et civique », par l’économiste Zouhair Ait Benhamou, qui dans un long thread sur Twitter, l’a vertement battue en brèche.



L’idée serait-elle venue en parallèle de celle du Conseil économique et social (CESE) qui lui aussi a proposé la réinstauration d’un service civil ?


Une mesure qui avait du sens après l'indépendance...

Pour Ait Benhamou, « introduire le service militaire en 1956 avait du sens : l’Etat s’approprie des outils d’encadrement du territoire et de la population avec une économie dirigiste, des institutions et des offices qui ont le monopole d’activités civiques et économiques ». Mais au même moment, rappelle-t-il, la période post-indépendance était marquée par « des luttes politiques entre les nationo-gauchistes d’un côté, et la monarchie de l’autre ».


« Le triomphe de cette dernière est consacré avec la ‘Marocanisation’ qui sous couvert de nationaliser le capitalisme, l’a en plus privatisé en faveur des proches du régime ». Quelle est la place du service militaire, s’interroge-t-il ?


« Au lieu d’y voir seulement la création d’une réserve citoyenne de soldats à appeler en cas de guerre, les autorités ont aussi transposé le modèle des scouts pour en faire un creuset de l’identité nationale nouvelle qu’on souhaitait transmettre aux marocains », affirme-t-il.


« Il faut comprendre le service militaire dans le contexte de politiques volontaristes comme la construction de la Route de l’Unité - symbolique mais ô combien inefficace en termes de coûts et de déploiement de ressources - l’opération labour, etc », ajoute-t-il.


Par conséquent, pour lui, le service militaire « n’est pas que la préparation d’une réserve opérationnelle. Dans l’absolu, ce n’est pas mauvais, et cela est bénéfique dans l’idée de transmettre des valeurs civiques », reconnaît-il.


« Or le Maroc a désormais plus de 60 ans d’expérience dans la transmission de valeurs, et force et de constater que ces dernières ne sont pas civiques, encore moins démocratiques. Il y a un fort risque de cultiver parmi toute une génération le culte du chef, de l’obéissance aveugle en plus de nos valeurs d’obséquiosité à l’autorité. On n’oubliera pas au passage que c’est un moyen pour les Forces armées royales (FAR)  d’endoctriner encore plus les jeunes générations que l'essence du Maroc se résume à la personne du Roi », estime Zouhair Ait Benhamou qui cite des « éléments de langage utilisés par les soldats FAR envoyés dans les campagnes durant le début des années 1960 ».


« Donc l'histoire moderne nous enseigne bien que la structure actuelle du pouvoir au Maroc ne vas pas transmettre des valeurs civiques », conclut-il.


Un terreau fertile pour un nationalisme exacerbé

Au contraire, « celle-ci va créer un terreau fertile pour un nationalisme fasciste au sens premier du terme - c’est-à-dire un rejet de la société actuelle comme décadente, et un attachement au culte du chef, qui sera bien entendu celui de la monarchie ».


Si le service militaire répond à deux objectifs, l’un opérationnel, l’autre politique. Pour le premier créer une réserve opérationnelle a beaucoup plus de sens en passant par une armée métier assortie de volontaires réservistes, explique-t-il en substance. Or, « cela fait belle lurette que les armées modernes n’ont plus besoin de mobiliser les masses pour leurs opérations militaires, et le besoin de connaissances techniques du personnel s’est considérablement accru depuis la fin de la Guerre froide », note-t-il, pointant du doigt l'obsolescence et le caractère hétéroclite d'une armée encore sous-équipée malgré les fortes dépenses allouées à sa modernisation.  « Comment va-t-on équiper les classes d'âges qui passeraient ce service ? », s'interroge-t-il.


« Je doute fort que le Maroc a le moyen de former des milliers de pilotes de drones par exemple. Par contre, avoir 1 réserve composée de volontaires est un bon moyen à la fois d’alléger la pression sur les professionnels, et de créer des liens entre l’armée et la nation », écrit-il.


Pour le second objectif politique, son avis est plus partagé. D’un côté, si la volonté de vouloir ‘encadrer’ la jeunesse en lui inculquant des valeurs peut paraitre séduisant et donc compréhensible. D’un autre côté, cet objectif avoué - d’après Le360 en tout cas-  est, selon lui, une reconnaissance honteuse de l’échec du système éducatif marocain, qui est supposé transmettre ces valeurs.


« Il serait beaucoup plus indiqué de renforcer le volet éducation civique sur ce point dans les écoles, collèges, lycées et système d’enseignement supérieur au lieu de demander à un sous-officier de discourir sur les vertus du sacrifice à la Nation face à des recrues peu motivées », assène-t-il, sans parler du « côté malsain à vouloir ‘encadrer’ les gens (…) on a fait cette expérience de l’indépendance jusqu’aux années 1990, les résultats ne sont pas très encourageants ».


Pour lui, cette volonté éventuelle « d’améliorer la conscience civique des jeunes marocains (…) ne fera que refléter ses maux, voire les exacerber ».

 

Un non-sens sur le plan économique et social

Sur le plan économique et social, la réhabilitation du service militaire obligatoire procéderait d’un « choix de politique publique mal pensé ».


D’après le HCP, les projections de la population marocaine d’ici 2050 sont telles que la variation annuelle moyenne de la classe d’âge concernée - les 15-17 et 18-24 ans est de 373 100 personnes.


A titre de comparaison, les FAR comptent actuellement 300 000 hommes et femmes actifs sous les drapeaux. « En supposant qu’une seule fraction des appelés sera effectivement intégrée à l’armée, où trouver l’encadrement nécessaire d’officiers et sous-officiers pour mener leur instruction ? », s’interroge-t-il.


Sachant que les FAR ont déjà 200 000 réservistes, « à quoi bon avoir un effectif théorique proche du million de soldats ? Et pour manœuvre, manier quelles armes ? Des Patton datant de la Corée ou des MAS39/MAT49 datant de la Seconde Guerre et de la Guerre d'Algérie ? »


Qui plus est, « cela suppose que le budget des forces armées va augmenter considérablement - au détriment d’autres secteurs déficitaires en services sociaux, comme l’enseignement et la santé. On est à 3-3.5 % du PIB actuellement », rappelle l’économiste.


A titre de comparaison, dit-il, s’appuyant sur les données de la Banque mondiale, la moyenne européenne a été divisée par deux en termes de dépenses militaires en % de PIB entre les années de la Guerre froide et post-1990.


Avec cette mesure basique, « on peut aisément prévoir que le Maroc doit faire passer ses dépenses militaires de 3,2 % du PIB (2017) à + de 6 % pour les prochaines années. Si on se base sur une croissance annuelle moyenne du PIB de l’ordre de 4 % - une hypothèse guerre farfelue-, cela veut dire que le Maroc doit dépenser en sus 73 milliards (en termes réels) pour assurer le financement du service militaire. Où va-t-on trouver cet argent, sinon en le ponctionnant sur les autres secteurs de l’Etat ? », assure Zouhair Ait Benhamou qui conclut que « réintroduire le service militaire n'est ni une bonne idée en termes de création d'une réserve opérationnelle, ni en essayant de façonner la jeunesse ».

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