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20.02.2023 à 02 H 51 • Mis à jour le 20.02.2023 à 02 H 51 • Temps de lecture : 9 minutes
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n°852.Sahara : la fausse bonne idée d’une conférence internationale

En réalité, tout en fustigeant ce qu’ils qualifient de « diplomatie du chantage », ce que nous proposent les auteurs d’une tribune parue dans « Le Monde » pour sortir de la paralysie actuelle dans le dossier du Sahara, ressemble à s’y méprendre à un chantage inversé, analyse Ali Bouabid, délégué général de la Fondation Abderrahim Bouabid

Dans une tribune à l'initiative de Khadija Mohsen-Finan et Jean-Pierre Sereni parue dans les colonnes du Monde du 16 février dernier, plusieurs auteurs appellent à un changement de braquet dans le règlement du conflit du Sahara. Ramenée à l’essentiel, la thèse tient dans l’idée qu’il n’y aurait plus rien à attendre de l’ONU, et qu’une « alliance forte » européenne doit émerger dans le cadre d’une « conférence internationale » de sortie de crise qu’abriterait la France, laquelle a historiquement partie liée avec ce conflit.


On n’a aucune peine à suivre les auteurs, quand il est rappelé le préjudice inestimable qu’occasionne ce conflit aux peuples de la région. De même que les risques d’embrasement que fait peser la montée des tensions dans la région, ne sont plus une option à écarter tant la haine que voue le régime algérien au  Maroc semble s’être substituée à la rivalité. Pour le reste, c’est la perplexité qui domine tant dans l’analyse qui amène la proposition que sur l’opportunité et les modalités possibles de sortie de crise.


Déconstruire quoi ?

1/ Les auteurs plaident pour un travail de « déconstruction » du dossier auquel on ne peut que souscrire, pour peu que l’on s’accorde au préalable sur les termes de cette déconstruction.  Soit on déconstruit le processus onusien et dans ce cas, je ne vois pas l’intérêt de le contourner en provoquant une conférence internationale sur le sujet qui s’appuierait sur le même référentiel. Soit alors on procède à une déconstruction politico-historique du conflit depuis ses origines en commençant par revisiter l’attitude des acteurs (France, Maroc, Algérie et Tunisie) sur la question de « tous les territoires sahariens » durant la période coloniale. L’exercice aurait au moins l’avantage, au-delà du juridisme en vigueur, de déchirer le voile d’ignorance qui oblitère le discernement de bien des acteurs politiques sur le sujet et nourrit à peu de frais leur bonne conscience.


Mais de déconstruction on ne saurait déduire dans tous les cas, comme le suggère les auteurs, une mise sur le même plan des revendications du Maroc et de l’Algérie, les renvoyant dos à dos sous couvert d’impartialité. La ficelle est un peu grosse et confine au grotesque. Car là où le Maroc avance des arguments historiques étayés sur la matérialité d’un brassage humain, culturel et politique entre des populations sahariennes et le reste du Maroc, l’Algérie n’a pour elle que le masque grossier de la posture idéologique du défenseur autoproclamé des peuples opprimés. Feignant d’oublier au passage que c’est au nom de ce même droit à l’autodétermination que le Maroc et la Tunisie ont obtenu leur indépendance sans pour autant se sentir tenus d’en faire commerce. De la même façon que n’est jamais évoquée l’union dans le combat contre la puissance occupante, entre marocains sahraouis et non sahraouis au sein de l’Armée de libération du sud.


A dire vrai et pour déconstruire, il faudrait à tout le moins revenir aux résolutions de la Conférence de Tanger qui reste le seul moment où les Maghrébins sont parvenus à dégager une perspective d’action commune. Et c’est avec profit que l’on commencera par exemple par documenter la controverse entre le FLN et la France autour du « Sahara algérien », notamment après la découverte du pétrole  que l’on prendra à ce sujet la juste mesure des desseins de la France, et que l’on restituera l’attitude à la fois du Maroc et de la Tunisie indépendants sur le sujet, le sort réservé aux accords entre Maroc et le « Gouvernement Provisoire de la République Algérienne » (GPRA) de juillet 1961. On aura ainsi, sinon épuiser le sujet, du moins contribuer à lui restituer son épaisseur historique première.


2/ Déconstruire c’est ensuite et au nom du principe de réalité, consentir à l’idée que l’autodétermination a plus de chance d’être effective, (et non seulement formelle ) en empruntant la voie de l’autonomie proposée par le Maroc, qu’avec un projet de référendum. D’abord parce que l’option référendaire à laquelle le Maroc a initialement souscrit est devenue objectivement impossible. Outre les divergences pour définir le corps électoral, les nouvelles données démographiques qui s’imposent à tous rendent aujourd’hui caduque une telle hypothèse. Toute consultation des populations ne saurait en effet méconnaitre la légitime reconnaissance, en sus du « droit du sang » sur une base ethnique et tribale, le « droit du sol » des habitants sédentarisés depuis 1975 qui font vivre ce territoire. C’est donc une impasse qui contribue au statu quo.


Déconstruire c’est enfin, et en poussant le raisonnement à ses limites extrêmes, convenir que l’hypothèse de l’« indépendance » relèverait dans le cas d’espèce de la mystification absurde. Car elle ne saurait en effet revêtir d’autres caractères que purement formels, à mille lieues de l’indépendance politique réelle. La dette du Polisario à l’égard de l’Algérie est en effet telle, que les séparatistes n’ont aujourd’hui pas même la marge de liberté pour accepter la discussion sur le projet d’autonomie ! Et puis surtout, comment le Maroc, comme du reste tout autre pays, pourrait-il accepter de voir ses deux régions sahariennes, devenir deux wilayas à la botte de l’Algérie.


Le chantage inversé

En réalité, tout en fustigeant ce qu’ils qualifient de « diplomatie du chantage », ce que nous proposent les auteurs pour sortir de la paralysie actuelle, ressemble à s’y méprendre à un chantage inversé. Il s’agit de retourner contre le Maroc l’argument du « prisme de la question du Sahara » avancé par le Roi l’été dernier. La principale auteure de cette tribune ne dit pas autre chose quand, dans une intervention récente qui procède de la même inspiration, elle affirme après avoir déploré l’impuissance de l’ONU : « Il faut une force politique extérieure pour inverser les choses ». Entendre : conditionner la relation de l’Europe au Maghreb au prisme du règlement du conflit du Sahara, non en appelant mais en convoquant ( conditionnalité oblige, pour ainsi dire ) une conférence internationale !


Surgit aussitôt la question de savoir comment à contretemps d’un contexte particulièrement tendu qui n’a jamais été aussi défavorable à pareille initiative, cette idée de conférence a-t-elle pu germer dans l’esprit de nos auteurs ? On sera à demi surpris de relever que la guerre en Europe conjuguée aux tensions particulièrement vives dans la relation Maghreb-Europe, ne constituent manifestement pas aux yeux des auteurs des motifs de nature à faire obstacle à leur proposition. Il faut donc croire qu’ils y trouverait quelque avantage. Le plus plausible consiste à tenter de nous embarquer en terrain miné. La méthode : faire murir dans les esprits (notamment européens) un principe d’équivalence, en accréditant le parallèle à la fois spécieux et pernicieux entre d’un côté, l’annexion de la Crimée et l’occupation du Donbass par la Russie et, d’un autre côté, la présence du Maroc sur ses territoires sahariens ! Il faut ajouter ici que la thèse de « l’annexion par le Maroc » des territoires sahariens est suffisamment connue de la principale auteure de la tribune (Khadija Mohsen-Finan) pour écarter toute équivoque ou autre procès d’intention. La boucle est ainsi bouclée : ‏une force extérieure encore fortement imprégnée par le schèma de la guerre (annexion de la Crimée, occupation du Donbass)  qui par le recours à la conditionnalité (chantage inversé ) amènerait les protagonistes à la table de discussion en piégeant les paramètres. C’est peu dire qu’on ne saurait mieux faire pour attiser les tensions.


C’est pourquoi, j’ai peine à imaginer comment une telle conférence pourrait être « acceptable par tous les belligérants » autrement que sur le mode de l’injonction nord-sud qui n’est, faut-il le rappeler, plus de saison.


3/ Cela étant dit, il nous faut, nous Marocains, nous résigner à un double constat auquel il est désormais difficile d’échapper. Vis-à-vis de l’extérieur, les entraves à la liberté d’expression viennent systématiquement contrarier nos positions diplomatiques sur le dossier du Sahara. Elles en altèrent la capacité persuasive et ternissent inutilement notre image. Sur le plan intérieur, c’est l’absence de délibération à proprement parler sur nos options en matière de politique étrangère qui frappe. Balançant au gré des circonstances entre autosatisfaction et dénonciation, le parlement ne ménage aucun moment au débat en amont sur cette matière, qui éclairerait nos choix et explorerait les marges de progrès. C’est ici le fonctionnement à proprement de nos institutions, le parlement en tête, qui nous empêche de tirer meilleur avantage de nos positions.


La liberté d’expression comme rempart

Vue de l’extérieur, la crispation autoritaire au Maghreb semble être, dans des proportions variables, le seul point commun aux trois pays qui le compose ! C’est là un fait. Pourtant, le Maroc dispose d’un double atout dont aucun des autres pays ne peut se prévaloir : la faculté de se soustraire à la facilité qui consiste à se nourrir du trouble qui mine la démocratie sur ses terres d’origine pour renouer avec la tentation « illibérale ». Que les occidentaux aient perdu le monopole idéologique, tout autant que celui de la puissance est un fait qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Il ne doit cependant pas nous conduire à céder à l’inclinaison contraire. Nous n’avons pas besoin d’être rappelés à l’ordre sur des options que nous avons nous même souverainement prises. Il nous faut juste en accepter les implications, étant entendu que nous sommes le seul pays du Maghreb capable d’assumer politiquement le prix de la grandeur de la démocratie libérale, en affrontant sans crainte ses propres contradictions. A savoir, celles inhérentes à une délibération vivante qui permet que s’exprime librement dans le débat public la pluralité des vues. Bref, arrêter de penser la démocratie comme une contrainte imposée mais en réguler les imperfections par le droit. Ne sommes-nous pas le pays de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) ? N’avons-nous pas apporté avec cette expérience inédite, la preuve qu’en matière de droits et de libertés, on ne se grandit jamais autant que lorsque l’on consent à sortir du déni ?


C’est donc prosaïquement en nous mettant au diapason de nos propres choix, qu’alors, et qu’alors seulement on pourra se flatter de susciter la jalousie des autres, tout en nous dispensant de cette propension à voir derrière toute critique incommodante un ennemi tapi dans l’ombre, au risque de finir par confondre les ennemis réels avec les ennemis commodément désignés.

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