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16.03.2018 à 01 H 42 • Mis à jour le 16.03.2018 à 01 H 42 • Temps de lecture : 12 minutes
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n°280.Un colloque international sur la vérité à l’ère digitale

Ce vendredi, le colloque international organisé par Mediapart pour ses dix ans, au 104 à Paris, réunira des personnalités partageant le souci de la vérité telles que Katharine Viner, rédactrice en chef du Guardian, Roberto Scarpinato, procureur général de Palerme ou encore Patrick Boucheron, historien. A suivre en direct et en vidéo sur Mediapart et sur Le Desk, partenaire de Mediapart au Maroc

A l’ère de la révolution numérique, la question du droit à l’information prend une tout autre dimension. Ses professionnels, journalistes notamment, n’en sont plus les seuls acteurs, concurrencés par les blogueurs, les lanceurs d’alerte, les chercheurs et bien d’autres figures citoyennes.


Son champ s’est élargi au partage direct des connaissances, des expériences et des causes sur le Net, via les réseaux sociaux et toutes sortes de plateformes. Son étendue devient infinie grâce aux mutations technologiques qui démultiplient la conservation, facilitent l’accès aux données et favorisent leur circulation.


Définir l’enjeu démocratique de nos temps de bouleversement et de transition impose donc de sortir du cadre des seules questions journalistiques, en confrontant la notion de « savoir » à toutes les disciplines et pratiques qui en relèvent : enquêtes d’investigation, accès aux connaissances, évolutions du droit, enjeux de vérité, partage des données…


Car le numérique confronte aussi le droit de savoir à une liberté de dire renouvelée et augmentée, au risque que les opinions relativisent les informations et que l’âge de la post-vérité et l’assomption des « alternative facts » ne viennent noyer les vérités de fait.



Il y a tout juste cinquante ans, dans La Crise de la culture, la philosophe Hannah Arendt rappelait déjà que « la liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat ».


Quelques années plus tard, dans son livreDu mensonge à la violence, elle écrivait« la négation délibérée de la réalité – la capacité de mentir – et la possibilité de modifier les faits – la capacité d’agir – sont intimement liées. Elles procèdent l’une et l’autre de la même source : l’imagination ».


Ce n’est en effet pas seulement la vérité des faits qui fonde l’action politique juste, mais aussi notre capacité à imaginer, à délibérer et mettre en forme ce qui a pu être établi ou ce qui en est resté au « seuil de détectabilité », pour reprendre les termes d’Eyal Weizman, fondateur du collectif Forensic Architecture (que l'on peut traduire en français par « architecture d'investigation »), qui viendra de Londres pour participer au colloque organisé à l’occasion des dix ans de Mediapart.


Comment faire, en effet, quand on est journaliste, chercheur, magistrat, bibliothécaire, architecte ou militant des droits humains, pour se réorienter dans un monde où les faits peuvent devenir « alternatifs », la vérité céder la place à la « post-vérité » et les informations être forgées pour mieux tromper ?


Comment agir et réagir lorsque les informations circulent, à l’ère numérique, de manière de plus en plus rapide et massive, et se rendent propices à toutes formes d’altérations, de manipulations, mais aussi de dénégations ? Comment continuer à enquêter et travailler alors que les menteurs et les bonimenteurs ont ajouté à leur arsenal de nouveaux outils ?


La promesse démocratique portée par le numérique est aujourd’hui fragilisée, contestée d’un côté par ceux et celles qui ne veulent voir dans les réseaux sociaux et les territoires digitaux que des zones de non-droit sans toujours bien les connaître ou les pratiquer, et investie, de l’autre côté, par ceux et celles qui profitent des nouvelles libertés et possibilités de prise de parole pour tenter d’y imposer leurs vues parfois très éloignées des exigences et des espoirs démocratiques.


L’enjeu du colloque international organisé vendredi 16 mars de 14 heures à 19 heures, sur le plateau du Centquatre-Paris, à l’occasion du dixième anniversaire de Mediapart, n’est donc pas seulement de réunir des personnalités venues spécialement de Londres, Boston, Le Caire, Rotterdam, Bogota ou Palerme. Il est à la fois de fond et de forme.


Il vise ainsi d’abord à saisir les enjeux démocratiques qui se cristallisent autour des mises en doute de la vérité, des procédures d’enquête, de circulation des informations, de conservation des données, en aval d’une séquence historique marquée, depuis l’élection de Donald Trump, par les craintes que font peser les fake news et la post-truth sur nos fonctionnements et dysfonctionnements professionnels et politiques.


« Outils d’investigation »


Le colloque sera, pour cela, structuré autour de quatre interventions abordant la notion de vérité. Patrick Boucheron, titulaire de la chaire d’histoire des pouvoirs en Europe occidentale (XIIIe-XVIe siècles) au Collège de France et dont la leçon inaugurale, intitulée « Ce que peut l’histoire », avait marqué les esprits, ouvrira la discussion en abordant la question de « la vérité, avant, après », pour reprendre le titre d’un de ses cours, donné l’an dernier.


Comment définir, en histoire, une politique de la vérité qui consisterait moins à fouiller le passé qu’à ouvrir l’avenir ? Pourquoi avons-nous de « sérieuses raisons de douter de la force du vrai dans nos expériences et nos existences politiques »  ? Et à partir du moment où l’indignation morale n’entame en rien la puissance d’un gouvernement « post-vérité », comment tenter l’archéologie du recours à la vérité dans l’exercice du pouvoir ?



La deuxième intervention sera confiée à Eyal Weizman, fondateur de Forensic Architecture, un nom qui désigne à la fois une agence et une pratique théorique, et ne fait pas seulement appel à des architectes, mais aussi à des cinéastes, des ingénieurs du son, des graphistes et des chercheurs. Forensic Architecture cherche à constituer les paysages et les bâtiments en « capteurs » politiques, en « diagrammes des champs de force qui s’exercent autour de lui » et en « outils d’investigation » au service des droits humains, notamment en situation de guerre et de conflits.


En observant les crimes d’État ou de certaines entreprises d’un point de vue citoyen, en mobilisant un savoir aussi bien topographique, balistique que sonore ou architectural, Forensic Architecture intervient autant pour cartographier des destructions d’habitations bédouines dans le désert du Negev, reconstituer une fusillade dans les territoires occupés, détailler une frappe de drone sur un bâtiment au Pakistan, reconstituer architecturalement un centre de détention secret en Syrie à partir des souvenirs de survivants, ou encore enquêter sur la violence environnementale et le changement climatique au Guatemala. L’activité de Forensic Architecture est donc emblématique de la manière dont la vérité, appuyée en particulier sur des outils numériques, peut devenir une arme au service des citoyens.



La troisième intervention, intitulée « Digitalisation et démocratisation : qui est le gardien du savoir  ? », sera menée par l’historien du livre Robert Darnton, qui est aussi directeur de la bibliothèque universitaire de Harvard. À ce titre, il a été au premier rang des débats qui ont agité le monde de la recherche, de l’édition et des bibliothèques autour du projet Google Book Search de numérisation des livres contenus dans les bibliothèques de recherche. Il a aussi été l’un des pivots du « modèle Harvard » de libre accès des articles universitaires des enseignants.


Dans son ouvrage intitulé Apologie du livre, il examine plus particulièrement ce que la révolution numérique fait au savoir et à sa circulation. Loin de « déplorer les moyens électroniques de communication », il y explore les terrains communs « entre le bon vieux livre et le livre électronique » ou les « avantages mutuels » qui peuvent lier bibliothèques et Internet. « Toute tentative pour sonder l’avenir tout en affrontant les problèmes du présent devrait se fonder, je le crois, sur l’étude du passé », y écrit-il. Qu’en est-il alors du futur de la vérité et du savoir ? Qui les détiendra ? Qui y aura accès et sous quelles conditions ?


La dernière intervention, qui servira de conclusion à cette journée de réflexion, s’intitule « Pourquoi la vérité ? ». Elle sera assurée par Roberto Scarpinato, magistrat antimafia, procureur général de Palerme, compagnon et héritier des juges Borsalino et Falcone assassinés par la mafia en 1992.


Ce magistrat est notamment l’auteur d’un texte saisissant sur la peur, publié par Mediapart, et d’un livre, Le Retour du prince, qui s’ouvre sur une métaphore. Il rappelle que les oracles de la Grèce antique étaient souvent aveugles, à l’instar du plus connu d’entre eux, Tirésias. Cette cécité ne tenait pas du hasard, explique-t-il, car « pour accéder à l’essentiel, il est nécessaire de se rendre aveugle à l’inessentiel ».



Savoir hiérarchiser les informations dans le bruit et le brouillage permanents, pour mieux débusquer les vérités essentielles, telle est la conviction de cette figure importante de l’État italien qui vit sous escorte policière permanente depuis plus de vingt ans, et dont les enquêtes ont dévoilé les liens entre la mafia d’en bas, dont la violence est mise en exergue, et la « haute mafia », celle de la bonne société, au croisement des affaires économiques et des clientèles politiques, où règnent l’obscurité et le silence. Et ce même si un tel savoir peut devenir dangereux et douloureux, ainsi qu’il le confiait dans un livre d’entretiens intitulé Le Dernier des juges : « Vous savez ce qui est écrit dans l’Ecclésiaste ? Celui qui accroît son savoir accroît sa douleur. »


Entre ces quatre interventions se tiendront trois tables rondes. La première, consacrée aux défis du journalisme d’enquête à l’âge numérique, réunira Hanneke Chin-A-Fo, journaliste néerlandaise travaillant à la NRC Handelsblad, membre de l’European Investigative Collaborations (EIC), réseau à l’origine des Football Leaks et de la publication des Malta Files  Daphné Gastaldi, journaliste à We Report, un collectif de journalistes indépendants rendu célèbre notamment pour ses enquêtes sur la pédophilie au sein de l’Église catholique française, et Jesús Maraña, fondateur et directeur du site espagnol d’investigation InfoLibre. Elle sera animée par Fabrice Arfi, responsable du pôle enquêtes à Mediapart.


Le deuxième échange, consacré à l’information « en milieu hostile », réunira une journaliste égyptienne, Lina Attalah, fondatrice et directrice du site Mada Masr, l’un des derniers médias indépendants dans un pays où l’approche de l’élection présidentielle entrave de plus en plus la liberté d’informer (Mediapart l’avait rencontrée et interviewée au moment des Rencontres d’Averroès)  Iulia Berezovskaia, rédactrice en chef de Grani.ru, qui pourra évoquer la situation en Russie à deux jours de l'élection présidentielle dans ce pays  Maria Elvira Bonilla, fondatrice du journal en ligne colombien las2orillas.co, lequel constitue également un espace de liberté inédit dans un pays en mutation politique, et Çağla Aykaç, sociologue, membre du réseau des universitaires pour la paix en Turquie, en proie, comme nombre de ses collègues, au raidissement autoritaire du président Erdogan. Cette table ronde sera modérée par Amélie Poinssot, journaliste au service international de Mediapart.


La troisième table ronde, intitulée « Mensonge et vérité à l’ère numérique », accueillera notamment Katharine Viner, la rédactrice en chef du Guardian, dont le texte intitulé « How Technology disrupted the Truth » et la réflexion sur les « alternative facts » ont été des jalons dans la compréhension de la nouvelle ère informationnelle dans laquelle nous sommes entrés à l’heure du tournant numérique. Katharine Viner discutera avec Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d'information de l’État, et Edwy Plenel, président cofondateur de Mediapart, à l’heure où le gouvernement français prépare une loi censée permettre de lutter contre les fake news. C’est Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart, qui les interrogera notamment sur la manière de décrire, nommer – parfois lutter contre – les vérités douteuses, voire les propagandes, venant des États, des algorithmes privés ou des réseaux sociaux. À quelles conditions est-il encore possible de faire le pari positif de la possibilité d'une démocratie approfondie par Internet, même si cette « démocratie internet », pour reprendre les termes du sociologue Dominique Cardon, est aujourd'hui mise en doute, voire en crise ?


Alors que ces sujets articulant démocratie et savoir, ou politique et numérique, sont au menu de différents colloques récents ou à venir, que ce soit au Collège de France (« La démocratie à l’âge de la post-vérité »dont on peut lire notre compte-rendu ici), au Lieu unique à Nantes (« Vérité ou vérités ?) ou au programme de l’Institut d’études avancées de Paris et de la revue Esprit (« Défiance et désinformation, la démocratie en péril ? »), notre pari est aussi formel.


Le journalisme ne saurait en effet se pratiquer seulement à l’intérieur des colonnes d’un quotidien, de même que le savoir a pour mission de se déployer au-delà des lieux qui lui sont consacrés. Les réflexions communes, tout comme les frictions possibles, entre des personnes et des univers qui ont en partage le processus de l’enquête et le souci de la vérité doivent donc aussi s’exprimer en chair et en os, en live, dans la rencontre avec la société. Et, en l’occurrence, dans l’enceinte d’un établissement culturel de la Ville de Paris ouvert à tous et situé dans un des quartiers les plus populaires de la capitale française.


Au plaisir de vous retrouver, donc, vendredi, in real life ou par écrans interposés, puisque le colloque sera retransmis en direct sur notre site.


PS : Le colloque sera retransmis aussi en direct par Le Desk, partenaire au Maroc de Mediapart.


Retrouvez ici le programme et la participation du Desk.


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