À 49 ans, natif de Tétouan et installé en Californie, RedOne, de son vrai nom Nadir Khayat, est l’un des producteurs de musique les plus puissants de l’industrie musicale mondiale. Il fréquente les stars, dont nombreuses sont devenues ses intimes, il est leur parolier, conçoit leurs tubes, organise leurs tournées… Il est aussi connu au Maroc pour sa proximité avec le sérail. Un avantage certain dans un pays où toutes les portes s’ouvrent, dès lors qu’il y a patronage royal ou simple affinité avec le Palais.
Il faut dire qu’en retour « le roi du showbiz » fait la promotion du Maroc, notamment à travers ses tubes vantant les atouts touristiques du royaume pour lesquels il convie les célébrités planétaires les plus en vue. Ses liens avec le milieu artistique américain lui permettent ainsi de se démarquer de ses confrères nationaux. Un poids lourd de la scène musicale souhaite se rendre au Maroc ? RedOne est là pour lui dégoter toutes les autorisations nécessaires, trouver les meilleurs palaces pour son séjour et veiller à la réussite de son projet…
Un producteur « royal »
Dans le Tétouan de son enfance, où il grandit « heureux, accroché à sa guitare », d’après son portrait paru dans Paris Match, Nadir Khayat croise « un jour sur la plage de Mdiq » Mohammed VI, alors prince héritier. « Je suis musicien, j’écris mes chansons et j’ai un rêve ! », déclare-t-il au futur roi, qui lui répond, d’après lui : « Surtout n’abandonne jamais ». Il s’envole pour Stockholm à 19 ans, tentant sa chance dans la capitale européenne de la pop. Dix ans plus tard, voyant sa carrière ne pas évoluer à la hauteur de ses attentes, il s’installe à New York. Après des débuts décevants, il réussit tout de même à faire de Bamboo, un remix du hit Hips Don’t Lie de Shakira, l’hymne officiel de la Coupe du monde de football 2006.
RedOne est de retour au bercail à l’été 2011, à l’occasion de la Fête du trône. C’est la consécration dans son pays : le roi Mohammed VI le décore du Wissam du Mérite Intellectuel. L’occasion aussi de boucler la boucle, à la manière d’un Happy Feel Good Movie. « Le producteur rappelle au souverain leur rencontre, presque quinze ans plus tôt. ‘ Je m’en souviens, répond Mohammed VI. Voilà un bon exemple pour les Marocains : il faut croire en ses rêves !’ », raconte le magazine people français.
Depuis, Nadir Khayat devient un habitué du Palais royal. En 2016, il s’affiche aux côtés du souverain dans une tenue décontractée. Le cliché est publié sur les réseaux sociaux du producteur et ne manque pas de créer le buzz. RedOne confiera également que Mohammed VI aura été, la même année, « le premier à visionner » le clip de sa nouvelle chanson, Boom Boom, « digne d’une vidéo promotionnelle pour la destination Maroc », commente Jeune Afrique.
Deux ans plus tard, Faudel, « petit prince du raï » dont la carrière stagnait depuis plusieurs années, raconte à Medi1 que son retour sur la scène s’est fait grâce au roi, qui lui a fait rencontrer RedOne. La même année, ce dernier produit avec une brochette de stars marocaines de la pop commerciale Happy Birthday Sidna, un hommage à l’occasion de l’anniversaire du monarque. Le tube totalise aujourd’hui plus de 32 millions de vues sur Youtube.
En 2019, deux de ses chansons, Happy Birthday Sidna et Welcome Africa, sont choisies pour accompagner la cérémonie d’ouverture des Jeux africains de Rabat, un événement sportif placé « sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI ». Symbole de sa prépondérance sur la scène culturelle nationale, il est cité comme un exemple de réussite dans le domaine artistique par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans sa contribution au Nouveau modèle de développement (NMD).
Au vu de son parcours, RedOne est l’archétype de « l’enfant du bled » qui a réussi : parti de son nord natal, il débarque en Suède en 1991 dont il détient aujourd’hui la nationalité. La fulgurante ascension viendra plus tard lorsqu’il tente sa chance en 2007 en Outre-Atlantique où tout lui réussit en quelques années, malgré des débuts difficiles. Depuis, l’univers de la jet set n’a plus de secrets pour lui.
En affaires, ses productions s’avèrent très lucratives. Scorant des centaines de millions de vues sur Youtube, ses œuvres font rapidement le tour du globe et engrangent de substantielles royalties.
À la tête de ce business en or, RedOne a été tenté, comme de nombreuses autres célébrités de par le monde, par les paradis fiscaux. Des documents issus de l’enquête mondiale des Pandora Papers menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à laquelle Le Desk a été associé, nous révèlent qu’entre 2012 et 2015, il a monté pas moins de 5 sociétés offshores, enregistrées aux Îles Vierges Britanniques (BVI) ou aux Seychelles.
Un « Mérite Intellectuel » qui échappe au fisc...
Tout commence à l’été 2011. RedOne vient à peine d’être wissamisé après sa nomination aux prestigieux Grammy Awards dans la catégorie « Producteur de l’année (non classique) », après des collaborations avec Jennifer Lopez, Mohombi ou encore Porcelain Black. George Short, avocat spécialisé dans le conseil financier au sein de Brownstein Hyatt Farber Schreck, un cabinet de lobbying installé à Denver, dans le Colorado, supervise alors pour le compte de RedOne, la création par Withers Bergman d’Azerria Holdings Limited aux Îles Vierges Britanniques, un des nombreux paradis fiscaux que compte le pourtour caribéen. Aujourd’hui rebaptisé Withersworldwide, Withers Bergman est un cabinet d’avocat installé à Londres mais présent aux États-Unis, en Europe, en Asie et dans les caraïbes.
Pour la création de la société qui dispose aussi d’un compte bancaire offshore, Short et Withers Bergman passent par un cabinet souvent cité dans les Pandora Papers, Trident Trust, l’un des principaux fournisseurs de services d’optimisation fiscale et d’enregistrement de sociétés présents sur l’archipel. Nadir Khayat, seul actionnaire de la société, détient 1 000 des parts à un dollar chacune dont est dotée Azerria. Un seul gérant est nommé pour cette dernière : Alan Melina. Celui-ci n’est autre que le manager de RedOne à travers New Heights Entertainment. Né, au Royaume-Uni, Melina est un poids lourd mondial de la production musicale. Agent de David Bowie au début des années 70, il a également collaboré avec Sade, The Cult, Toni Braxton, Eminem ou encore Aretha Franklin.
Pour s’enregistrer en tant que bénéficiaire d’Azerria Holdings, Nadir Khayat fait usage de son passeport suédois, qu’il a obtenu lors de ses années scandinaves. L’adresse qu’il utilise est une suite perchée dans l’un des plus hauts gratte-ciel de Californie… Il renseigne de sa main le formulaire de Trident Trust pour la création d’Azerria. Il coche ainsi la case qui indique que la société offshore a pour objet notamment de détenir l’usufruit de ses productions intellectuelles.
Au niveau de Withers Bergman, la procédure est contrôlée par Richard LeVine, un spécialiste des régimes fiscaux focalisé sur Israël, le sport, les non-profit (caritatifs) et les créatifs. Ça tombe à pic, puisque RedOne en est un des porte-étendard de l’industrie du divertissement aux Etats-Unis. Quelques mois auparavant, RedOne lançait 2101 Records, son premier label, créé en joint-venture avec le géant Universal Music.
Des sociétés-écrans pour ses hits cash machine
C’est l’année de la réussite pour le Tétouanais. Il enchaîne les tubes et les succès, composant pour Mylène Farmer, produisant pour Quincy Jones et écrivant pour Lady Gaga, qu’il avait découvert quelques années auparavant.
Le 8 août 2011, quelques jours avant l’inscription d’Azerria Holdings au registre des sociétés des BVI, il sort le single suave Kiss Me, réunissant trois superstars de la pop internationale : Nayer, Pitbull et Mohombi. Le tube fait un carton, il totalise aujourd’hui 81 millions de vues sur Youtube dont on comprend ainsi où vont atterrir les droits d’auteur…
Presque deux ans plus tard, la compagnie est rayée du registre des sociétés des BVI. La raison ? Non-paiement des frais annuels de tenue de la société au gouvernement, selon une copie du bulletin officiel local, datée du 13 mai 2013. D’après des échanges de mails consultés par nos soins, George Short est revenu à la charge auprès de Trident Trust, le lendemain de la décision du gouvernement local, afin de rétablir la société.
Dans le même temps, il passe le témoin de la gestion des affaires courantes à Bill Vuylsteke, l’un des fondateurs de Provident Financial Management, basé à Santa Monica, station balnéaire située à quelques enjambées de Los Angeles, où réside RedOne. Provident FM gère les portefeuilles d’une ribambelle de VIP du monde du spectacle, dont le groupe Green Day et Red Hot Chili Peppers, la chanteuse Shakira, et est liée aux comédiens Al Pacino, Lucy Liu et Ben Mendelsohn.
En usant du même schéma que pour Azerria Holdings, RedOne et son manager, Alan Melina, créent une nouvelle société aux BVI, Brightstarz Ltd, le 15 mai 2013, puis RedOne Records Ltd. Pour le binôme, la discrétion n’est désormais que facultative. La première société porte le nom d’une sombre maison de production musicale, Brightstarz LTD DBA Play-Makerz, qui détient la licence exclusive de Habibi I Love You, une collaboration sortie en juillet 2013 entre le nouveau poulain marocain de RedOne, Ahmed Chawki et la superstar américano-cubaine du rap, Pitbull. Naturellement, le tube est l’un des hits de l’été 2013 et sera interprété en français, espagnol et néerlandais afin de séduire l’audimat européen.
Quant à RedOne Records Ltd, enregistrée le 26 mars 2014, elle partage tout simplement le nom du nouveau label de Nadir Khayat, qu’il a créé tout juste quelques semaines auparavant. Associée à Capitol Music Group pour la distribution aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ainsi qu’à Virgin EMI Records pour le reste des marchés, la maison de disque a boosté les carrières de Wayne Beckford, Porcelain Black, Midnight Red et a même produit les hymnes officiels du Real Madrid, le club de cœur de Nadir Khayat, et de la Roja, la sélection de football espagnole.
Aux Seychelles avec un ancien d’Abroun
Alan Melina n’a pas été le seul à accompagner RedOne dans les paradis fiscaux. En janvier 2012, Nadir Khayat ouvre avec un certain Mohamed Boudih, citoyen marocain résidant à Rabat selon les documents auxquels Le Desk eu accès, une société aux Seychelles, du nom de RedMed Management Limited. L’opération est portée par SFM, une société suisse spécialisée dans la constitution de sociétés dans plus de 25 juridictions, dont, outre les Seychelles, les Emirats arabes unis, le Delaware – paradis fiscal étasunien -, les îles Caïmans, les Bahamas et bien d’autres archipels caribéens. Une présence qui fait de ce cabinet un des plus cités dans les Pandora Papers.

S’il continue à se présenter comme citoyen suédois, Nadir Khayat utilise cette fois-ci une adresse marocaine, à Tétouan, montrant pour preuve une facture de téléphonie émise par Maroc Telecom. Son associé, Mohamed Boudih, est selon nos recherches un ancien membre du top management du distributeur d’électroménager marocain Abroun, dont le fondateur, Abdelmalek Abroun, fut le président du club de football de Tétouan de 2004 à 2018. En 2012, au moment de la création de RedMed Development, Boudih officiait en tant que Development Director au sein du groupe tétouanais.
Il le quitte néanmoins en juin 2013, afin de se consacrer à la gestion de sa propre entreprise, RSP Morocco, qu’il avait créée en décembre de l’année précédente. Le départ de Boudih du groupe Abroun coincide, selon des sources officielles consultées par nos soins, avec l’obtention par RSP Morocco, en juillet 2013, de l’autorisation de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) pour la commercialisation du bouquet des chaînes sportives cryptées beIN Sports au Maroc…
Chez SFM, RedOne créera aussi tout seul RedMed Development Limited, la logeant aux Îles Vierges Britanniques, d'après une facture à notre disposition.
Joint sur son adresse mail personnelle et à travers une de ses agences de relations publiques, Nadir Khayat n'a pas répondu à nos sollicitations. À Mohamed Boudih, un message adressé par nos soins est resté sans réponse.
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