En pilotant le Projet du Génome Marocain (PGM), le Centre Mohammed VI pour la Recherche et l’Innovation (CM6RI) entend inscrire le Royaume dans l’ère de la médecine de précision. À travers le séquençage de 109 génomes locaux et la découverte de 1,4 million de variants inédits, c’est une révolution silencieuse qui s’opère. Pour le Pr Saber Boutayeb, à la tête du CM6RI, cette initiative incarne la mission fondatrice du centre : répondre aux grands défis nationaux à travers une science appliquée au service du citoyen
Le Maroc a longtemps avancé dans l’ombre d’une génomique mondiale largement dominée par les populations européennes. Pendant des décennies, près de 80 % des bases de données utilisées en médecine étaient construites à partir d’échantillons caucasiens. Une absence criante des spécificités nord-africaines, qui laissait les médecins du Sud avec des outils de diagnostic peu adaptés à leurs réalités. En lançant le Projet du Génome Marocain (PGM), le Royaume a choisi d’inverser la logique.
Alliance des compétences
À Rabat, dans les locaux du CM6RI, cette ambition prend forme. Interviewé par Le Desk, le professeur Saber Boutayeb, qui dirige cette structure d’excellence, ne cache pas son engagement pour une vision claire de la recherche : utile, ciblée et résolument tournée vers l’impact. Pour cela, le centre mise sur une alliance de compétences — biostatisticiens, bio-informaticiens, ingénieurs — et sur des outils numériques de pointe, comme l’intelligence artificielle, qui permettent de réduire drastiquement les cycles de recherche, passant de près d’une décennie à moins de quatre ans pour certains projets.
Le Projet du Génome Marocain est sans doute le plus emblématique de cette stratégie. Coordonné par le Pr Elmostafa El Fahime, directeur scientifique du CM6RI, il repose sur le séquençage complet de l’ADN de 109 Marocains issus de différentes régions du pays. En mobilisant des technologies de haut débit et des analyses bio-informatiques avancées, les chercheurs ont identifié 27 millions de variants génétiques, dont 1,4 million totalement inédits au niveau mondial. Une première. Ces mutations jamais recensées jusqu’alors posent les bases d’un référentiel génétique marocain, le MMARG, qui ouvre la voie à une médecine de précision ancrée dans les réalités locales.
Jusqu’à présent, les médecins devaient comparer les variants génétiques de leurs patients à des bases construites pour des populations européennes. Une méthode biaisée qui générait de nombreuses erreurs d’interprétation. Des mutations fréquentes au Maroc étaient ainsi jugées inconnues ou suspectes, tandis que d’autres, potentiellement pathogènes, passaient inaperçues faute de correspondance. Désormais, avec un référentiel génétique propre au Royaume, les diagnostics gagnent en fiabilité, les traitements peuvent être ciblés, et les retards thérapeutiques évités.
Les retombées du projet touchent aussi à la pharmacogénomique. En comprenant comment les gènes marocains influencent le métabolisme des médicaments, l’industrie pharmaceutique pourra développer des traitements plus efficaces et moins toxiques. Cela concerne en priorité les maladies chroniques comme le diabète, qui touche plus de 12 % des adultes marocains, ou les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité dans le pays.
Un acte de souveraineté
Mais le PGM ne se limite pas à une prouesse scientifique. Il incarne aussi un acte de souveraineté. Dans un contexte où la génomique représente un marché mondial de près de 30 milliards de dollars (MM $), le fait de disposer de ses propres données génétiques permet au Maroc d’échapper à la dépendance envers les brevets et outils étrangers. Le pays peut ainsi attirer des essais cliniques, proposer des partenariats internationaux sur la base de ses spécificités, et offrir à ses chercheurs une pleine maîtrise de leurs outils.
Le CM6RI, dont les travaux couvrent aussi le séquençage du virus Mpox ou encore l’étude de l’impact de la pollution sur la santé, devient le catalyseur de cette dynamique. Le Pr Boutayeb évoque par ailleurs la perspective de créer un consortium national et d’élargir le projet pour séquencer 1 000 génomes d’ici 2030, notamment dans les régions sous-représentées comme le Nord et le Sud.
L’enjeu n’est pas seulement scientifique. Il est aussi éthique et politique. Former les futurs généticiens, garantir la protection des données, sécuriser les financements, impliquer les citoyens dans une démarche de consentement éclairé : autant de chantiers à mener pour que cette avancée technologique se transforme en progrès concret.
Une médecine où chaque traitement, chaque diagnostic, chaque protocole est pensé à partir des réalités biologiques du pays. Une révolution silencieuse, mais décisive.
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