Hamid El Mahdaoui, une tête brûlée derrière les barreaux

En 2016, un député du PJD n’avait pas hésité à qualifier Hamid El Mahdaoui de « boulet ». « Il ne faut surtout pas se le mettre à dos. Sinon, il vous suivra partout : au parlement, dans la rue, sur les réseaux sociaux et même au téléphone ». C’est la description qui revient le plus souvent dans la bouche de ceux qui ont eu à faire au patron de Badil.info.
Depuis le lancement de son site en 2014, El Mahdaoui est devenu sans conteste un des visages les plus en vue de la presse électronique, pour sa personnalité iconoclaste, mais aussi par la litanie de procès dont il fait l’objet.
À lui seul, le journaliste feu follet natif de Kenitra cumule plus d’une dizaine de plaintes en justice. Et ses poursuivants se comptent le plus souvent parmi les institutions coercitives de l’Etat : DGSN, ministère de la Justice ou encore l’Intérieur. El Mahdaoui est ainsi devenu un grand habitué des interrogatoires de police. « Quand je n’y suis pas convoqué, je m’inquiète et ils commencent à me manquer », confiait-il récemment, un zeste narquois, à TelQuel. Principal arsenal du journaliste vindicatif : ses vidéos long-métrage diffusées sur Youtube, attirant immanquablement des milliers d’internautes avides de ses périphrases, coups de canifs et envolées lyriques dont il a fait sa marque de fabrique, interpellant les puissants jusqu’au roi Mohammed VI.
De vendeur ambulant à Lakome
Pourtant, l’animal médiatique revient de loin. Tout commence à l’orée des années 2000, à la faculté des lettres de Kenitra, où l’étudiant El Mahdaoui sort du lot, pas par son carnet de notes, mais pour sa gouaille. Pour son verbe enjoué et sa répartie toujours assassine, il est mis en avant pour défendre les moindres revendications de ses camarades. « À un moment, même pour faire des photocopies avec plus de célérité, on avait recours à moi », se plait-il souvent à raconter. Au sortir de l’université, et après plusieurs tentatives infructueuses pour décrocher un emploi, El Mahdaoui se retrouve au chômage. Pour subvenir à ses besoins, il n’hésite pas en 2006 à se convertir en vendeur ambulant hélant le client dans les artères de sa ville natale.
« Je vendais du jus de fruits importé, de quoi épargner de l’argent pour continuer mes études », nous expliquait-il. D’autres racontent qu’il arrondissait ses fins de mois difficiles en vendant sur le trottoir de la mortadelle espagnole achetée de réseaux de contrebande. Le bout du tunnel est enfin atteint après quatre ans de galère, le futur patron de presse décroche un diplôme dans un institut privé de journalisme à Casablanca. Le sésame en poche, il intègre alors Al Ousboue Assahafi, l’hebdomadaire fondé par Mustapha Alaoui, vétéran de la presse nationale, chez qui il ne boucle pourtant pas l’année.
À l’époque, El Mahdaoui, devenu père de famille, était inconnu du grand public. Son passage éphémère à Chouf TV ne le sortira pas non plus de l’anonymat. A son arrivée à Lakome en avril 2013, repêché par Ali Anouzla, il ne détonne qu’en sa qualité de « moulin à paroles » se rappellent ses anciens collègues. Mais en quelques mois, le désormais journaliste accompli, devient la cheville ouvrière du site poil-à-gratter du régime et se voue corps et âme à la tache. Sa spécialité : des interviews où il prend tout son temps et un malin plaisir à cerner les hommes politiques qui se succèdent à son micro. « Tout en évitant la langue de bois, il arrivait des heures durant à tenir la dragée haute à des interlocuteurs souvent médusés comme Hamid Chabat », témoigne un de ses anciens collègues.
Il exerce cependant un journalisme en roue libre, son rapport à la vérité ne tenant souvent qu’à un fil, comme ce fut le cas lorsqu’il commettra un article aux conséquences désastreuses : El Mahdaoui écrit que la gendarmerie royale a tiré sur une foule en colère dans un village reculé faisant plusieurs morts. La suite sera réglée devant un juge.
Ali Anouzla est arrêté le 13 septembre de la même année dans l’affaire de la vidéo attribuée à Al Qaida menaçant le Maroc et son roi. Au sein de la rédaction groggy par la nouvelle, une figure s’impose : El Mahdaoui prend alors la relève du chef et s’improvise porte-parole d’un média combattif, mais décapité.
Face caméra, le journaliste, interrogé par ses confrères sur le devenir de Lakome, adopte une posture menaçante : « Nous hésitions à publier nombre d’enquêtes, mais maintenant qu’on s’en prend à nous, nous n’épargnerons personne », lance-t-il à Hespress. Son élan revanchard ne sera brisé que par l’interdiction du site.
L’épisode va pourtant consacrer El Mahdaoui dans son nouveau rôle de Robin des bois de la presse. Il quitte rapidement Lakome et rejoint Hibapress où ses talents pour déblatérer sans fin se confirment à travers une série d’éditos filmés. El Mahdaoui qui y prend ses aises, toujours sans filets, suscite la colère de vieux dinosaures de la politique qui s’en plaindront à son patron. Résultat : le Kénitri est débarqué. Cette-fois, il décide de se lancer à son compte avec Badil.info, un site taillé sur mesures pour lui.
Les amitiés istiqlaliennes
Pour s’imposer dans la jungle de la presse numérique arabophone, El Mahdaoui usera des mêmes ficelles. Pour se faire, il monte un réseau de soutiens : Tariq Sbai, avocat proche de Hamid Chabat et connu pour ses coups d’éclat et l’ancien magistrat Mohamed El Hani défroqué par Mustapha Ramid. Le trio devenu un temps inséparable aussi bien quand il s’agira de dénoncer des affaires publiques que dans le privé, ne tardera pas à créer le buzz, avec pour principale tête de turc, Ramid, alors ministre de la justice. Les liens d'argent avec ses sources qui orientent ses propos sont pour tous une évidence.
Le ton populiste plait à la masse. El Mahdaoui s’attire le feu des critiques, mais arbore ses procès comme autant de médailles face à son peuple d’Internet. Mais son exercice atteint ses limites lorsqu’il ménage les centres névralgiques du pouvoir pour s’acharner contre les seconds couteaux, lui reproche-t-on alors.
A la question de savoir si la monarchie est pour lui une ligne rouge, il répond avec malice à TelQuel : « Je n’ai aucun problème personnel avec le roi. Il ne m’a jamais rien fait, au contraire des autres ». Le journalisme vengeur est donc acté et assumé. El Mahdaoui se défend toujours d’être libre, même si ses accointances avec des cadres de l’Istiqlal ne sont un secret pour personne. Mais derrière le self made man, la tête brûlée qui ne lâche pas sa proie a pour lui sa réputation d’amuseur des foules, engagé mais clivant, frôlant souvent le ridicule comme lors de cette interview accordée à sa femme pour qu’elle analyse le Hirak ou lorsqu’il s’adresse à ses « chers frères marocains » calé dans les coussins jaunes canari de son salon kitchissime.
La veille de la manifestation du 20 juillet, tard le soir, alors que le calme régnait encore dans les rues d’Al Hoceima, quelques dizaines de personnes étaient regroupés autour d’une seule personne : Hamid El Mahdaoui. Dans le Rif il s'est fait une réputation auprès du Hirak notamment après avoir soutenu la famille du jeune détenu Rabie Alablak qu'il a présenté opportunément comme le correspondant de Badil.Info, tordant encore une fois le cou à la vérité. Mais peu importe l'exploitation de toutes les misères si le succès est au rendez-vous et que la bonne cause soit entendue.
Son activisme l’a mené à la case prison par une justice qui ne lui reconnait pas les attributs de journaliste. Reporters sans frontières et le Committee to protect journalists ont pourtant pris sa défense. Une reconnaissance pour laquelle cet empêcheur de tourner en rond a pris tous les risques et pas seulement ceux du métier.
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