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28.10.2017 à 13 H 26 • Mis à jour le 30.10.2017 à 16 H 34 • Temps de lecture : 10 minutes
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n°226.Quand l’Amérique de Carter hésitait à soutenir Hassan II au Sahara

Washington vient de déclassifier une série importante de ses câbles diplomatiques datant de 1977 à 1980 consacrés à l’Afrique du Nord. En pleine Guerre froide, l’Administration du président Jimmy Carter explorait avec hésitation les solutions envisageables à l’époque pour une résolution du conflit du Sahara Occidental. Le Desk en rapporte quelques faits saillants

Nouvelle mine d’informations pour les chercheurs en géopolitique : l’Office of the Historian (OH) vient de rendre publique une masse de télégrammes diplomatiques sur les relations extérieures des Etats-Unis avec les pays d’Afrique du Nord sur la période 1977-1980. Ce volume fait partie d'une sous-série qui documente les questions de politique étrangère les plus importantes de l'administration Jimmy Carter. « Il porte sur les stratégies de l'administration pour promouvoir la paix et la stabilité dans le Maghreb dans ses relations avec le Maroc, l'Algérie, la Libye et la Tunisie, et sur le différend régional sur le Sahara occidental », écrit l’OH dans sa présentation.



Une autonomie au Sahara, « sauver la face » de l’Algérie

On y apprend notamment dans une série de câbles datant de juin 1977 que Washington avait poussé à la roue pour qu’une autonomie au Sahara occidental soit proposée aux belligérants. L’option a été catégoriquement rejetée par Hassan II et quelque peu boudée par Houari Boumedienne, alors qu’Alger cherchait, par la voix de Abdelaziz Bouteflika, à l’époque ministre des Affaires étrangères, de « sauver la face » de l’Algérie, selon les termes révélés par ces correspondances. Refroidis, les Etats-Unis qui ne considéraient pas le conflit comme un danger majeur pour l’équilibre des grandes puissances et donc pas « une priorité de premier ordre », ont alors adopté une position de neutralité dans le dossier, préconisant ainsi une solution basée sur un accord régional.


Le président algérien Houari Boumedienne en discussion avec son ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika. INA


Sur les ressorts du conflit, la diplomatie américaine insistait pour dire qu’elle ne « prenait pas pour vérité la souveraineté historique du Maroc sur le Sahara Occidental » et que « la partition du territoire entre le Maroc et la Mauritanie était quelque peu arbitraire » faisant valoir que le tracé n’obéissait pas aux allégeances tribales. Washington accordait peu de crédit aux arguments juridiques de Rabat et estimait qu’il s’agissait d’une « annexion par la force » et que le sentiment pour une indépendance du territoire était « dominant ». Pour autant, et malgré l’appui de Boumedienne à la guérilla du Polisario, les Américains étaient persuadés qu’il était « peu probable que la situation de fait accompli pourrait être inversée ».

 

La position américaine appuyait ainsi la recherche d’un consensus autour d’une « forme d’autodétermination basée sur une représentation élue locale bénéficiant d’une sorte d’autonomie (…) de nature à dépasser les arguments juridiques absurdes avancés de part et d’autre ». Elle soulignait cependant que Hassan II exigeait que « rien ne soit décidé ».

 

La posture du roi s’expliquait à l’évidence par la nature des négociations secrètes en cours entre Rabat, Alger et Nouakchott qu’une série de télégrammes américains révèlent : l’Algérie poussait vers une fédération Mauritanie-« RASD », alors que Hassan II, quoique très hostile à la création d’un « mini-Etat » sous la coupe d’Alger au sud du Maroc, « n’était pas totalement intransigeant » à une « entité » dépendant de la souveraineté du royaume ou tout du moins qui ne lui serait pas « idéologiquement hostile », selon les termes d’un diplomate mauritanien.


Quand Washington faisait l'analogie avec le Protectorat

A l’époque Washington avait pour doctrine d’accepter une administration conjointe du territoire contesté entre Nouakchott et Rabat, faisant même référence dans un câble datant de 1978 à une analogie avec le Protectorat français sur le Maroc, mais ne s’avançait pas sur un quelconque plan de partition impliquant son absorption pure et simple par l’une ou l’autre des nations riveraines. Pour autant, l’administration américaine était consciente d’un fait commenté comme suit : « Hassan II ne peut pas abandonner le Sahara. Ce serait sa fin s'il le fait, et nous suivrons le chemin d'Abdelaziz dont l'empire a été divisé par les Français et les Espagnols ».


 

« En bref, si nous voulons vraiment appliquer ce que nous disons à propos de l'autodétermination du Sahara, et si nous avons l'intention de faire pression sur les Marocains dans cette direction, nous devront être conscient des conséquences à venir. Dans le cas improbable que de telles pressions réussissent, nous pourrions faire face à un désastre de notre politique étrangère avec la création d'un mini-Etat sur la côte saharienne. Si elles ne réussissent pas, nous encourront encore le ressentiment des Marocains, qui pourraient sérieusement nuire à nos intérêts », résume un câble de l’ambassadeur américain Parker daté de juin 1979. Celui-ci préconisait alors de « se taire désormais sur cette option », d’autant que le Département d’Etat américain était dans l’incapacité totale d’analyser avec précision les forces en présence, ni même d’évaluer le recensement des populations concernées, « un mystère total », écrivait-il par ailleurs. Certaines voix assuraient déjà au sein de la diplomatie américaine que la question de la « décolonisation était mal posée, voire obsolète » et qu’il fallait éventuellement envisager de facto « une concession territoriale » au Polisario.


Dans ce sens indique un autre câble de la même année, « en ce qui concerne les solutions possibles, Zbigniew Brzezinski (conseiller du président Carter pour la sécurité nationale, ndlr) a indiqué que Hassan II jouait avec l'idée de transformer la Mauritanie en Etat sahraoui souverain. (Il) a répondu que, par le passé, cela aurait pu être une solution logique et naturelle et que toute la Mauritanie et le Tirs El Gharbia aurait pu être reconstitué en Etat sahraoui. Mais, maintenant il est trop tard. (Il) a déclaré qu'il serait désormais impossible de revenir à un statu quo ante dans lequel les habitants du Sahara occidental pourraient être conduits pacifiquement à voter s'ils voulaient leur liberté ou voulaient être associés au Maroc ».

 

Une diplomatie américaine minée par la contradiction

Un autre son de cloche émanait cependant au même moment de l’ambassadeur des Etats-Unis en poste à Alger qui démontre combien la diplomatie américaine sur cette question sous Carter était à l’évidence hésitante, voire contradictoire : « A cette date, les Etats-Unis ne peuvent pas se retirer de la position en faveur de l'autodétermination au Sahara occidental. C'est notre position, pour le bien ou le mal, et nous sommes coincés avec elle. Pour la changer, ce serait gagner quelques amis et en décevoir beaucoup, surtout les Etats africains. Pendant des années, nous avons utilisé le slogan de l’autodétermination pour apaiser l'OUA. Le rejeter maintenant serait de risquer une aliénation considérable en Afrique. De plus, l'autodétermination est devenue un processus irréversible dans cette moitié du XXe siècle. Le Maroc et le roi Hassan II ont besoin des États-Unis au moins autant que nous en avons besoin. Alors que le roi a souvent aligné ses politiques avec la nôtre, il a agi principalement dans son propre intérêt, pas celui des États Unis. »


Hassan II au sommet de l'OUA à Nairobi. DR

 

Les Etats-Unis étaient aussi à l’époque très sensibles à la situation complexe que vivait l’Espagne à peine sortie du franquisme. Le dossier brulant du Sahara constituait selon différents câbles diplomatiques datant de 1980 une « menace directe pour la stabilité du pouvoir à Madrid ». « La position officielle espagnole est en faveur de l'autodétermination pour le peuple sahraoui. L'Espagne a reconnu le Polisario comme représentant le peuple sahraoui en lutte mais pas représentatif de l'ensemble du peuple sahraoui », notait alors la diplomatie américaine. Dans ce contexte, Carter affirmait « qu'il semblait que Hassan II devenait de plus en plus isolé et qu'il devrait réaliser qu'il avait besoin de l'Espagne. Il était difficile de voir comment Hassan II pouvait espérer obtenir des droits (…) et espérer gagner en exerçant une pression contre Ceuta et Melilla ».


Juan Carlos d'Espagne : Hassan II est «  têtu, têtu, têtu ! »

Dans un memorandum de discussions bilatérales entre Jimmy Carter et le roi Juan Carlos datant de février 1980, ce dernier affirmait : « Le roi Hassan II est très difficile. Vous ne pouvez pas imaginer cet homme. Hassan ne pense rien que de m’appeler pour m’annoncer que le Maroc venait de s'emparer de quelques-uns des bateaux de pêche espagnols. Il se plaint que l'Espagne ne soutient pas le Maroc sur le Sahara. J’ai dit à Hassan II que ce dernier sait très bien ce qui est attendu du Maroc. Et pourtant il ne veut pas changer sa position. Il est têtu, têtu, têtu ! ».

 

Fait à souligner, une inquiétude était perceptible quant au rôle qu’allait désormais jouer le général Ahmed Dlimi. La reine Sofia, présente lors de cet échange, a directement posé la question au Président Carter : « Pensez-vous que Dlimi irait contre le roi ? », a-t-elle lancé. « Je n’espère pas », lui a répondu Carter…Trois ans plus tard, le général Dlimi était tué dans sa voiture dans des conditions jamais élucidées alors qu’il roulait sur le circuit de la Palmeraie à Marrakech…


Hassan II ne veut pas entrainer les Etats-Unis dans « un nouveau Vietnam »

Sur le plan de la coopération militaire maroco-américaine, certains câbles datant de 1977 et 1978 décrivent l’anxiété de Hassan II face au peu d’appui concret de l’administration Carter en termes de livraisons de matériel militaire. A l’époque, le Maroc réclamait des avions de lutte antiguérilla OV-10 et des hélicoptères Cobra que Washington lui refusait ainsi que de munitions pour ses tanks postés sur la frontière avec l’Algérie, mais l’administration Carter était en minorité face à un Congrès qui exigeait des réformes politiques de la part du Maroc.


Le président Jimmy Carter lors d'une allocution au Congrès. EPA


Autre point de discorde avec Carter, le stationnement au Sahara des chasseurs F-5. Washington faisait alors pression sur Rabat pour ne pas utiliser dans le conflit saharien du matériel militaire livré au Maroc dans le cadre de l’accord militaire de 1960. Le conseiller royal Ahmed Réda Guedira avait alors indiqué qu’ils « étaient bons pour la ferraille » et que dans le cas d’un refus persistant des Etats-Unis, l’armée marocaine allait se tourner vers d’autres pays comme la France pour renouveler son aviation militaire.


Manifestement excédé, Hassan II avait affirmé qu’il ne voulait pas entrainer les Etats-Unis dans « un nouveau Vietnam », mais faisait valoir « l’expansionnisme soviétique », qui au même moment livrait du « matériel sophistiqué au Polisario », via l’Algérie. En parallèle, le roi négociait le retrait des bases américaines, notamment celle de Kénitra, mais proposait d’offrir aux forces navales américaines la possibilité d’user de points d’accostage sur la façade atlantique du Maroc pour ses sous-marins nucléaires. Il avait en outre autorisé l’installation secrète de stations de surveillance satellitaires sous couvert de coopération civile. Le roi mettait aussi dans la balance les capacités opérationnelles de la 6ème flotte américaine en Méditerranée. « Si nous perdons le Maroc, la 6ème flotte peut aller en cale sèche », alertait un câble de 1979. Aussi, alors que le Maroc avait décidé d’appliquer unilatéralement son « droit de suite » en pourchassant le Polisario sur les territoires algérien et mauritanien, Washington devait laisser-faire…

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