
n°935.Séjourné et Dati au gouvernement français : pour Rabat, un ennemi gratifié et une alliée dévitalisée
Ce 11 janvier, le secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler, a annoncé les membres du nouveau gouvernement français, dirigé par Gabriel Attal, poulain du président Emmanuel Macron et déjà rentré dans l'histoire, en raison de son âge : à 34 ans, il devient le plus jeune Premier ministre de la Vème république.
Du côté du Maroc, alors que plusieurs relais de la Macronie au Maroc laissaient entendre que l'arrivée d'Attal à la tête de l'Exécutif français était une bonne nouvelle pour les intérêts marocains, tout a rapidement tourné court ce jeudi : parmi la liste des nommés au gouvernement, on retrouvait notamment Stéphane Séjourné, ex-compagnon d'Attal et précédemment désigné comme bête noire des intérêts de Rabat lors de l'épisode de la résolution du Parlement européen, condamnant le Maroc pour des violations en matière de droits humains. En outre, l’eurodéputé et chef du parti présidentiel français s'était illustré en s'opposant à une résolution similaire, critiquant cette fois-ci Alger.
On se rappellera de la vindicte médiatique ayant visé au Maroc Séjourné, menée par plusieurs médias semi-officiels réputés proches du Renseignement, si ce n'est même s'improvisant par moment comme son porte-parole : c'est le cas d'Assabah, repris pour cela par Le360, présentant Stéphane Séjourné comme étant « l'homme des sales besognes de la France ». « Le vote du parlement européen concernant des journalistes marocains, poursuivis et jugés pour des crimes de droit commun, n’aurait jamais pu avoir lieu sans la mobilisation du groupe parlementaire européen dirigé par le député Stéphane Séjourné (SS), qui n’est autre que le porte-voix des macronistes au sein du parlement de Strasbourg », tirait-on à boulets rouges, pour ajouter plus loin que « les manœuvres de Macron au parlement européen, via le député SS, s’inscrivent dans une nouvelle stratégie visant à redessiner une carte géopolitique où il ne sera pas permis au Maroc, vu par la France comme un sérieux concurrent économique en Afrique, de continuer à jouer un rôle de premier ordre dans le pourtour méditerranéen ».
Dans un autre article, le même média Le360, se prêtait aux allusions tendancieuses, et clairement homophobes, en liant la vie privée d'Emmanuel Macron à l'orientation sexuelle de Séjourné : « la vie privée d’Emmanuel Macron est précieusement cachée. Certains signes ne trompent pas. Il y a d’abord son entourage immédiat et sa garde rapprochée. Ses « mignons », ironise une source française bien au fait du sujet. Citons Stéphane Séjourné, ancien conseiller (et toujours très proche) d’Emmanuel Macron. Ouvertement homosexuel, il est secrétaire général du parti Renaissance depuis 2022, député européen et président du groupe Renew », pouvait-on lire.
De manière on peut plus officielle, c'est aussi Lahcen Haddad, président de la Commission parlementaire mixte Maroc-UE, qui avait présenté Séjourné comme étant l'un des architectes de ladite résolution. L'ex-ministre du Tourisme personnalisait un peu plus l'attaque, en pointant directement du doigt Stéphane Séjourné, affirmant que son groupe politique européen, Renouveau Europe, a toujours été pro-Maroc.
Autrement dit, avant la timide réconciliation entre Paris et Rabat, la crispation entre le Maroc et la France avait pour principale cause, selon la presse nationale, Stéphane Séjourné et sa résolution au Parlement européen, qualifiée d'anti-Maroc. Et c'est cette même personne qui sera aujourd'hui l’homologue du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et avec qui Rabat devra s'entretenir officiellement, jusqu'à éventuellement l'accueillir au Maroc, comme cela été le cas pour sa prédécesseure, la diplomate de carrière, Catherine Colonna.
Rachida Dati mise en sourdine
Autre surprise du nouveau gouvernement français, Rachida Dati, placée à la tête du ministère de la Culture. L'ex-bras droit de Nicolas Sarkozy fait son entrée dans la composition gouvernementale, avec la casquette d'ex-ministre, vu qu'elle avait été, pendant près de deux ans de 2007 à 2009, garde des Sceaux.
Dati récupère un portefeuille ministériel, avec comme dommage immédiat, une trahison à sa famille politique. Dans ce sens, Eric Ciotti, patron des Républicains, n'a pas hésité ce jeudi à bannir Dati, avec un tweet aussi frontal qu'acerbe : « Elle se place en dehors de notre famille politique », souligne-t-il sèchement, avant de préciser qu’« elle ne fait désormais plus partie des Républicains ». « Nous sommes dans l’opposition, nous tirons donc les conséquences de son choix avec regret », conclut-il. Une première pour Rachida Dati qui délaisse désormais le parti les Républicains, héritier de l'Union pour un mouvement populaire (UMP) qu'elle avait rejoint dès 2006, pour un titre ministériel.
Au Maroc, elle s'était faite remarquer en menant la délégation des Républicains, aux côtés notamment du même Ciotti en mai 2023. C'est, selon nos sources, sur ses bons conseils, que le chef de parti de droite avait décidé de déclarer, de manière tonitruante, que sa formation politique reconnaissait la marocanité du Sahara. Celle qui, selon toujours nos informations, entretient des relations personnelles assidues avec plusieurs personnalités de premier rang au Royaume avait ainsi autant jouer la carte du Maroc que porter un coup à l’Elysée dans un contexte de crise entre Paris et Rabat. Pour Ciotti, alors en offensive anti-Macron visant à l'affaiblir au niveau diplomatique, talon d'Achille du locataire de l'Elysée, l'occasion était en or : il fallait prendre position sur un sujet délicat par la diplomatie française. De quoi ravir évidemment le Maroc.
Concrètement, il s'agissait aussi pour le Maroc, ayant accueilli à bras ouverts le binôme des Républicains, de profiter de l'opposition de Ciotti et Dati à Macron, pour capitaliser sur l’appui de représentants d'un grand parti d'opposition en France sur un sujet d'intérêt national et stratégique. Interrogé à ce sujet à Rabat par Le Desk en mai dernier, Rachida Dati avait vivement réagi, contestant toute manipulation de la part du Maroc, et affirmant être maitresse de ses idées, rappelant pour cela avec véhémence sa carrière : magistrate, ministre, avocate, parlementaire, ou encore conseillère à la mairie de Paris.
Cependant, si d’aucuns à Rabat venaient à percevoir la nomination de Rachida Dati au gouvernement français comme une opportunité de raviver la flamme avec la France encouragés par les quelques récents signes de dégel, le bénéfice est très incertain : sans appartenance politique, rejoignant de manière opportuniste le clan présidentiel, Dati n'a aucun poids au sein de l'Exécutif, et pourrait difficilement faire pencher la balance au profit du Royaume. Et encore moins avoir réellement son mot à dire sur un dossier réservé traditionnellement à la cellule diplomatique de l'Elysée et au Quai d'Orsay.
Jadis figure de l’opposition, s’imposant aussi bien sur la scène médiatique que dans les sessions de la mairie de Paris face à Anne Hidalgo, Rachida Dati perd ici toute son aura, sa crédibilité, comme son poids politique qui allait de pair avec son étiquette partisane. D’animal politique, elle passe à simple figurante dans la galaxie de Macron. Nul doute donc que les Républicains ne percevront plus le dossier du Sahara de la même manière, à l’heure où le Maroc y perd un atout et une voix dérangeante pour l’Elysée.
Cela sans oublier que sa nomination vient à la suite de plusieurs informations distillées ces derniers jours par la presse française : on apprenait que le nom du futur responsable du portefeuille du ministère de la Culture allait être décidé par ... Brigitte Macron, épouse du président français. Celle-ci, selon les sources médiatiques de l'Hexagone, préconisait la désignation d'une personnalité people, connue pour la presse et appréciée par celle-ci.
On avançait comme éventuel nom l'ancienne présentatrice télé Claire Chazal ou encore Stéphane Bern, apprécié par une large catégorie de français pour sa passion pour le patrimoine hexagonal. Mais le choix sera autre : Rachida Dati, connue pour son franc-parler, ses clashs médiatiques, mais aussi et surtout, dernièrement, ses multiples apparitions à la télévision, invitée à toutes les émissions de débats, et marquant le coup à chaque fois par des déclarations assassines. Jusqu’ici, plusieurs observateurs français s'interrogeaient quant aux motivations de la Franco-marocaine. On sait maintenant que tout ce ramdam ne valait qu’un maroquin ministériel.
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