n°76.COP 22: Pourquoi le président soudanais Omar El Béchir n’est pas inquiété au Maroc ?
A sa descente d’avion, Omar El Béchir a eu droit au tapis rouge. Le protocole l’exige et ce, sans exception. Le président soudanais a donc été accueilli en grande pompe par Nasser Bourita, le ministre délégué aux Affaires étrangères. Comme de nombreux chefs d’Etat, El Béchir a tenu à assister à la COP 22, la conférence internationale contre le dérèglement climatique qui se tient à Marrakech. Une venue passée presque inaperçue sauf certainement pour la Cour pénale internationale (CPI) et sa procureure la gambienne Fatou Bensouda, qui essaie depuis 2009 de lui mettre la main au collet.
En effet, La Haye a émis deux mandats d’arrêt à son encontre, le premier, le 4 mars 2009 et le second, le 12 juillet 2010. Elle l’accuse de « crimes contre l’humanité », « crimes de guerre » et « génocide » perpétrés entre mars 2003 et juillet 2008 au Darfour. Ce conflit opposait le gouvernement soudanais et plusieurs groupes armés dont le Mouvement/Armée de libération du Soudan (M/ALS) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE). Des accusations qui sont pour le président du Soudan, des « mensonges », comme il l’a qualifié lors d’une interview accordée au Monde Afrique en mars 2015, ajoutant que « la CPI n’a aucune légitimité ».
Le Soudan n’a jamais ratifié le protocole de Rome qui instaure cette instance et il n’est pas le seul. Le Maroc ne l’a jamais fait non plus. Tous les appels de la Haye resteront vains. Le royaume est un ami du Soudan. La preuve en a été faite il y a encore peu. Le 12 juillet 2016, Salaheddine Mezouar, le ministre sortant des Affaires étrangères et de la Coopération qui est également le président de la COP 22, s’était rendu à Khartoum pour remettre un message du roi Mohammed VI à Omar El Béchir, au pouvoir depuis 1989 : « La position du Maroc est constante en ce qui concerne son soutien au Soudan et à son président ».
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Le Soudan, ami depuis toujours du Maroc
Les liens d’amitié qui lient le Maroc au Soudan ne sont pas récents. Ils ont pour ainsi dire toujours existé. Lors d’une interview accordée à La Gazette du Maroc en 2005, Yahya Abd El Galil Mahmoud, l’ambassadeur du Soudan à Rabat rappelait que les relations entre les deux pays « sont empreintes d'un héritage spirituel, culturel et social profondément ancré dans l'histoire (…) Nul besoin de rappeler les liens d'amitié de coopération qui réunissent nos dirigeants en politique et entraide régionale (…) Certes, les relations économiques sont très faibles. »
En effet, d’après le rapport « Relations Maroc-Afrique : l’ambition d’une « nouvelle frontière » » réalisé par le ministère de l’Economie en 2014, le Soudan ne fait pas partie des pays qui ont signé le plus d’accords avec le royaume. Deux ont été scellés et ratifiés : l’accord commercial de type nation la plus favorisée (NPF) en 1998 et l’accord de promotion et de protection des investissements signé en 1999 et entré en vigueur en 2002. Mais les deux pays devraient se rattraper à entendre Mezouar lors de son déplacement en juillet dernier. Il avait expliqué à la presse soudanaise que la rencontre avait pour objectif de renforcer les relations bilatérales. Comme l’indiquait Asharq Al Awsat en juillet 2016, son homologue soudanais Obeid Mohamed avait indiqué de son côté que le comité conjoint maroco-soudanais, présidé par le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane et le premier vice-président soudanais Bakri Hassan Salih, allait bientôt reprendre ses réunions. La dernière remonte à juillet 2012.
Le Soudan, le Maroc et l’Union africaine
En juillet dernier, le Maroc a décidé de demander sa réintégration à l’Union africaine (UA) dont est membre le Soudan. Une organisation qui en mars 2009 avait émis des doutes sur le mandat d'arrêt de la CPI, rétorquant qu’il fallait lutter contre l’impunité mais, en même temps, privilégier le processus de paix, comme le relayait RFI. Depuis, certains pays ont fait bloc devant la justice internationale.
En juin 2015, le gouvernement d’Afrique du Sud qui accueillait le sommet de l’UA, a laissé filer El Béchir alors que le tribunal de Pretoria lui avait interdit de quitter le territoire. En juillet dernier, c’était au tour du Rwanda de refuser de l’arrêter. La ministre rwandaise des Affaires étrangères avait soutenu que « quiconque invité par l’Union Africaine sera à Kigali, et il sera fortement le bienvenu et sous la protection de ce pays ». Un refus des pays membres de l’Union africaine qui ne dénote pas avec celui du Maroc. Alors, trahir cette entente non dite ne pourrait que lui valoir du tort, d’autant plus que le royaume sait qu’il peut compter sur l’appui du Soudan pour revenir sur les bancs de cette organisation africaine. Pour lui renvoyer en quelques sortes l’ascenseur, Rabat, qui est le coordonnateur du groupe africain au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a plaidé fin juillet en faveur de l’adhésion du Soudan au sein de cette instance internationale.
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Le Maroc et le Soudan, des similitudes ?
La position du Soudan a toujours été claire sur le Sahara : Il fait partie intégrante du Maroc. Le 6 novembre 1975, de nombreuses délégations étrangères, dont celle soudanaise, s’étaient déplacées pour participer avec 350 000 Marocains à la Marche verte vers le Sahara. Un territoire qui est devenu source de lutte armée entre le Front Polisario et le royaume. En 1991, un accord de cessez-le-feu est trouvé sous la supervision de l’ONU qui propose de créer la Minurso et d´organiser un référendum. Cette dernière est toujours au cœur de vives tensions entre l’organisation des Nations Unies, le Maroc et le Front Polisario.
La question d’un référendum d’autodétermination a également été mis sur le devant de la scène mais cette fois-ci, au Soudan. Depuis l’indépendance du pays en 1956, deux guerres civiles ont éclaté entre le Nord, à majorité musulmane, et le Sud, à majorité chrétienne. En 2005, Yahya Abd El Galil Mahmoud, l’ambassadeur du Soudan à Rabat soulignait que « le Maroc soutient l'intégrité territoriale du Soudan ». Néanmoins, l’histoire divergera de celle du royaume. En 2009, le Parlement soudanais a approuvé le référendum qui sera organisé deux ans plus tard. En 2011, un nouvel Etat est né : le Sud Soudan. Les relations entre le nord et le sud ne se sont pas pourtant apaisées. Ce n’est qu’en janvier dernier que le président soudanais a ordonné la réouverture de la frontière. Elle était contestée avec le sud. Une tension qui avait alors dégénéré en conflit armé en 2012.
Mais ce n’est pas la seule zone en proie à une bataille. Le Darfour l’est encore et ce, depuis 2003. Fin octobre, Amnesty International avait accusé les forces de sécurité du Soudan, et donc Omar El Béchir, d'avoir perpétré des attaques à l'arme chimique entre janvier et septembre 2016 dans le cadre d'une vaste campagne militaire contre les rebelles. Des accusations démenties par l’intéressé, utilisant de nouveau un même mot, des « mensonges »… En attendant l’ouverture ou non d’une enquête par l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, Omar El Béchir est sous les projecteurs du monde entier à Marrakech, plaidant pour la lutte contre le changement climatique. Bref, face à un Maroc qui ne lâchera pas son allié, la justice internationale est bien démunie.
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