n°579.Covid-19: Macron craint pour l’Afrique, mais ne coordonne pas avec le Maghreb
L'Elysée a annoncé le 3 avril que le président français s'est entretenu simultanément avec dix dirigeants africains. La conférence téléphonique portait sur « la réponse sanitaire et économique à apporter contre l'épidémie due au Coronavirus en Afrique », précise le communiqué.
Ibrahim Boubacar Keïta (Mali), Abiy Ahmed (Ethiopie), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Paul Kagamé (Rwanda), Macky Sall (Sénégal), Félix Tshisekedi (RDC), Abdel Fattah al-Sissi (Egypte), Uhuru Kenyatta (Kenya), Emmerson Mnangagwa (Zimbabwe) et Moussa Faki, président de la Commission de l'Union africaine ont participé à cette conférence.
Cette conférence téléphonique fait suite à la publication, par des médias français dont notamment l’Agence Ecofin, d’une note diplomatique élaborée le 23 mars par le Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français.
« La crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des Etats, incapables de protéger leur population. En Afrique notamment, ce pourrait être « la crise de trop » qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale). Vu d’Afrique, le Covid-19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique qui va amplifier les facteurs de crise des sociétés et des Etats. Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques », prévient ainsi le document au ton ouvertement alarmiste.
La note répertorie ainsi les principaux dangers d’une « une crise de trop » qui impacterait durablement des appareils d’Etat africains déjà fragiles. « Le taux de médicalisation est quasi-nul et les systèmes de santé nationaux peuvent être considérés comme saturés d’office », prévient la note.
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Le document énumère les différents déclencheurs d’une crise qui deviendrait fatalement politique : « le nombre de décès, l’effet de comparaison défavorables à certains États », dans la mesure où des pays comme le Sénégal et le Rwanda pourraient mieux gérer la crise et la mort d’une personnalité centrale dans d’autres pays qui pourrait mener à la contestation. Autre élément à risque, le secteur de l’informel, présent en force dans des pays de l’Afrique de l’Ouest, relève la note et dont son équilibre demeure fragile. La fragilité structurelle de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville est également mentionnée.
Dans le document, les villes africaines présentées comme de « potentiels épicentres de crises » où les ravitaillements de certains quartiers en eau, nourriture et électricité pourraient facilement flancher. « Le discrédit de la parole institutionnelle » est également mentionné et qui pourrait être encouragé par les thèses complotistes et les rumeurs populaires, juge la note.
En conclusion de la note, tout en rappelant les différents acteurs ayant pu porter la parole institutionnelle (religieux, businessmen, artistes populaires et diaspora), la note ne manque pas de souligner qu’il est nécessaire « d’anticiper le discrédit des autorités populaires », en accompagnant « l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples ».
Un constat partagé par Finactu. « En Afrique, (…) la faiblesse des capacités d’accueil en réanimation et en assistance respiratoire fait que la saturation du système de santé interviendra très vite. Il est donc vital (…) que les autorités réagissent très vite, en avance sur le décompte des contaminations, pour ne pas se trouver, comme le sont l’Italie et certaines régions de France, dépassées par les événements », note le cabinet qui souligne dans un document dédié à la crise du Covid-19 en Afrique « l’absence des filets sociaux qui rend difficilement supportable un confinement total et durable de la population ».
« Avec moins de 20 % de la population employée dans le secteur formel, avec des systèmes de protection sociale inexistants pour le secteur informel, sans régime d’assurance chômage, avec des possibilités très restreintes de soutien de l’économie par les finances publiques, combien de temps les populations et les entreprises tiendront-elles dans un confinement drastique ? », s’interroge l’étude. Finactu avertit que « l’Afrique va devoir inventer son propre modèle de lutte contre le Covid-19 ».
« En Afrique, la crise perturbe déjà des millions de personnes dénuée des moyens de subsistance avec un impact disproportionné sur les ménages pauvres et les petites et les entreprises informelles – et le rythme de cette perturbation est susceptibles de s'accélérer dans les semaines qui viennent. Aucun pays ou communauté est exonéré », constate par ailleurs une étude récente du cabinet Mc Kinsey.
« Les défis sont aggravés par l'effondrement du prix du pétrole », ajoute le cabinet qui estime qu’une « première analyse de l'impact économique de Covid-19 constate que la croissance du PIB de l'Afrique en 2020 pourrait être réduite de 3 à 8 points de pourcentage ».
« La pandémie et le choc des prix du pétrole risquent de faire basculer l'Afrique dans une contraction économique en 2020, en l'absence de mesures de relance budgétaire majeures », conclut McKinsey.
Fait à souligner, les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) n’ont pas été associés au conclave virtuel organisé par Emmanuel Macron. Ils ne sont pas non plus cités par la note du CAPS.
Le Maghreb reste la région africaine, jusqu’à présent, la plus touchée par le Covid-19, au niveau des contaminations mais aussi des décès. Et ni le Maroc ou l’Algérie qui jouent des coudes pour s’impliquer dans la résolution de la crise du Sahel ne semblent donc concernés par cette initiative de Paris.
Dès les premiers jours de la crise due au Coronavirus, et avec la fermeture des frontières, un froid s'était déjà installé entre le Maroc et la France, suite à un tweet jugé « condescendant » du président français demandant au royaume à la mi-mars de s’activer pour le rapatriement des touristes français.
La réponse acerbe de Rabat était venue de sa ministre du tourisme, Nadia Fettah, confirmant la friture sur la ligne.
Ces entretiens téléphoniques interviennent à un moment crucial pour l’image de la France en Afrique : plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les propos du médecin Jean-Paul Mira, chef de service à l’hôpital Cochin de Paris qui a proposé de réaliser des tests de vaccins contre le coronavirus en Afrique.
En France, SOS Racisme a déjà affirmé déposer prochainement plainte auprès CSA, suite à ses propos tenus durant une émission télévisée de la chaîne LCI.
Au Maroc, le Club des Avocats a annoncé qu’il comptait porter plainte à Paris.
De son côté, le réseau Les Panafricaines, « condamne avec la plus grande fermeté les propos insultants, à caractère raciste, tenus sur la chaine LCI, le 1er avril », précise un communiqué diffusé par le groupement de femmes journalistes d’Afrique. « L’Afrique et ses populations n’ont pas de leçon à recevoir d’individus de la sorte. Quelles que soient leurs difficultés, les Africains les abordent dans la dignité et puisent leurs forces dans leurs convictions », souligne le réseau des femmes journalistes d’Afrique basé à Casablanca et qui regroupe des centaines de membres à travers 154 pays du continent africain.
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