
n°786.Sahara : Quand M. Josep Borrell s’égare !
Le chef de la diplomatie de l’Union européenne s’est récemment fendu d’une déclaration sur le Sahara qui laisse pantois, autant dans sa portée, que dans les libertés qu’elle prend avec la terminologie officielle en usage par les Nations Unies et reprise par la justice européenne.
M. Borrell estime que la solution au conflit du Sahara Occidental passe par l’organisation d’une « consultation du peuple sahraoui ». Or de « peuple sahraoui » il n’est fait référence que dans la littérature du Polisario et les prises de position de ses appuis. En tout état de cause, cette notion n’est pas l’expression officielle consacrée par les Nations Unies, ni même celle utilisée par les juridictions européennes qui tantôt parlent de « population du Sahara occidental » tantôt de « peuple du Sahara occidental » tantôt de « Sahraouis ». J’ajouterais qu’il n’ y a pas plus de « peuple sahraoui » que de « peuple kabyle », sauf peut-être dans l’imagination de M. Borrel qui, il faut l’espérer, s’est sans doute fourvoyé en croyant à l’universalité de l’article 2 de la Constitution espagnole qui introduit une distinction difficile à comprendre pour un Marocain, un Algérien ou un Français : Celle entre la nation et le peuple.
Que la déclaration du diplomate européen exprime ou non une nouvelle position politique sur le dossier du Sahara, elle n’en traduit pas moins, dans le choix des mots, un parti pris explicite en faveur des thèses du Polisario. Sauf à cultiver l’ambiguïté stratégique, elle ne peut donc à la fois s’abriter derrière les résolutions de l’ONU et contrevenir à l’exigence minimale d’impartialité qui s’y rattache. Toujours est-il que la partialité manifeste qui s’y exprime est inacceptable, et au surplus de nature à entretenir le statu quo là où le Maroc n’a de cesse de proposer d’en sortir.
Cette déclaration est d’autant plus surprenante et incompréhensible qu’elle ravive inutilement une controverse que l’ONU avait pris soin de trancher pour dissiper tout équivoque sur le sujet. L’épisode remonte à 2001, date à laquelle l’option référendaire était encore sur la table. L’ONU avait à l’époque fermement rappelé à l’Algérie que le recours à l’appellation « peuple sahraoui », dont elle s’efforçait de banaliser l’usage ne correspondait pas à l’expression officielle en vigueur. Épisode crucial qu’il n’est pas inutile de rappeler au cours duquel, sur fond de controverse sur le référendum, les Nations Unies avaient récusé la prétention de l’Algérie à opérer un tri entre les « Sahraouis authentiques » et ceux qui ne mériteraient pas cette qualification ! On connait la suite et notamment l’impasse à laquelle a conduit l’option référendaire. Au surplus, la controverse est rendue aujourd’hui obsolète par la nouvelle réalité socio-démographique qui ne saurait, en prévision de toute consultation, méconnaitre la légitime reconnaissance d’un « droit du sol » aux habitants sédentarisés qui font vivre ce territoire, en sus du vieux « droit du sang ».
Plus globalement, deux messages à l’adresse de nos partenaires que j’évoque rapidement. Le premier renvoie au fameux principe d’autodétermination, le second lève le voile sur un des aspects de l’entreprise de mystification montée de toute pièce par l’Algérie sur le sujet, et dont les premières victimes sont les populations des camps de Tindouf.
1- Le Maroc n’a jamais été hostile au principe d’autodétermination comme le laisse penser une certaine propagande. Sans aller jusqu’à évoquer les luttes communes entre les populations sahraouies et non sahraouies contre la présence coloniale, il importe de souligner que c’est à l’issue d’une consultation de la Jemâa, représentante des populations sahraouies et cosignataire des accords de Madrid, que le Maroc a récupéré en 1975 les clés des mains du colonisateur espagnol. Autrement dit, l’autodétermination faisait partie intégrante des accords de Madrid.
Le Maroc a par la suite consenti à la voie référendaire comme moyen de réaliser l’auto-détermination. Mais force est d’admettre que cette option, pour avoir été testée sans succès, est devenue aujourd’hui objectivement impossible. Car outre les divergences sur la définition du corps électoral sur une base ethnique et tribale, les données démographiques qui s’imposent aujourd’hui à tous, rendent caduque et absurde une telle hypothèse. Entre-temps les populations du Sahara sont devenues des citoyens à part entière qui élisent leurs représentants dans les différentes assemblées et participent à la vie publique au Maroc.
Enfin et pour sortir de l’impasse, le Maroc s’est efforcé de donner une nouvelle base politique et réaliste à la résolution du conflit. En témoigne la proposition d’autonomie, rappelée par le Roi dans son dernier discours et qui a été jugée « sérieuse et crédible » par plusieurs pays. Il faut la lire et la relire pour prendre la mesure des prédispositions du Maroc sur le sujet.
2- L’assise du régime algérien repose en grande partie sur l’entretien et l’exploitation d’une double rente de situation qui ne se conçoit qu’en négatif et dans un seul rapport d’hostilité : hostilité intermittente à la France par la « rente mémorielle », hostilité permanente au Maroc par la « rente sahraouie ». Cette double rente est ce qui permet à l’armée de maintenir sous tutelle le pouvoir civil en Algérie. Schéma au demeurant classique ou la paix à l’intérieur a besoin d’un ennemi extérieur. On peut en déduire sans prendre trop de risques que l’armée algérienne a intérêt au statu quo, et le cas échéant à l’indépendance formelle d’un Sahara Occidental placé sous sa domination. S’agissant du Polisario, qui peut un instant raisonnablement imaginer l’hypothèse d’une indépendance autrement que dans la dépendance totale de son hôte dont il est tant redevable tout en se condamnant à demeurer l’otage ? C’est pourquoi les dirigeants du Polisario se sont à leur tour constitués leur part de rente qu’autorise le statu quo, en entretenant d’une main de fer une surenchère mystificatrice au détriment du bien-être et de la liberté des populations dans les camps de Tindouf.
Quant au Maroc, qui a de solides raisons de considérer les territoires sahariens comme partie intégrante de la nation, il ne peut raisonnablement concéder davantage que la proposition d’autonomie. Nos partenaires sont ainsi placés face à une alternative : Soit ils prennent acte des efforts du Maroc en appuyant la proposition d’autonomie comme la seule voie pragmatique de résolution du conflit, soit ils continuent de ressasser l’option référendaire au risque de devenir les complices du statu quo et en tire toutes les conséquences.
Ali Bouabid est Délégué Général de la Fondation Abderrahim Bouabid
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